Toussaint : Comment se préparer à sa mort numérique ?
TOUSSAINT•Les questions autour de la mort numérique se font de plus en plus présentes à mesure qu’Internet pénètre chaque moment de la vie. Mais la loi a du mal à suivreLaure Gamaury
L'essentiel
- À l’occasion de la Toussaint, 20 Minutes explore les aspects de la mort numérique, des données aux hommages en passant par les dernières volontés des défunts.
- Nous laissons de « nombreuses traces en ligne, qui créent une sorte d’immortalité numérique », analyse Vanessa Lalo, psychologue clinicienne, spécialisée dans les pratiques numériques.
- Comment penser et préparer cet après dans le monde à 100 à l’heure de la vie virtuelle ?
«Quand on perd quelqu’un, les gens ont souvent beaucoup de conseils. On m’a préparée à gérer l’enterrement, le notaire, la tristesse, la colère. Par contre, on a oublié de me parler d’un truc. Personne ne m’a prévenu qu’Internet était peuplé de fantômes. J’ai compris assez vite que le numérique allait compliquer mon deuil. (…). Mon quotidien en ligne était plein d’embûches. Dans ma boîte mail, je tombais sur ses mails. J’ai aussi dû supprimer "Maman" de ma liste de contacts parce que son numéro de téléphone avait changé de propriétaire. Ma mère avait déjà disparu de ma vie, elle a aussi disparu de mon smartphone. », témoigne la journaliste Lucie Ronfault, dans sa série « Mort à la ligne » du podcast Programme B. Elle y aborde les sujets de l’après-numérique des personnes défuntes.
Car aujourd’hui, c’est évident : nous laissons de « nombreuses traces en ligne, qui créent une sorte d’immortalité numérique », analyse Vanessa Lalo, psychologue clinicienne, spécialisée dans les pratiques numériques. Or, que se passe-t-il si le défunt n’a pas laissé de directives spécifiques sur ces traces et si les héritiers ne pensent pas aux données en ligne ? Est-il important de préparer sa mort numérique et pourquoi ?
Les réseaux sociaux mais pas que…
Chez Repos Digital, une start-up qui a moins de deux ans, cofondée par Kylian Weydert, les services proposés permettent de gérer tout l’après-numérique des personnes défuntes à la place de leurs proches : « Il est important de s’occuper des réseaux sociaux, souvent très mal adaptés après un décès avec des notifications et des rappels indélicats, d’éviter le piratage des divers comptes du défunt, de récupérer les biens numériques, qu’ils soient non financiers comme les photos et les vidéos stockées sur les divers clouds jamais récupérés, ou de l’argent sous forme de cryptomonnaies ou sur des sites de paris, d’e-commerce, de neo-banque, et enfin d’éviter, dans un souci d’écologie de stocker inutilement des données polluantes d’une personne décédée ».
Si la question des réseaux sociaux est sans doute la plus évidente, elle est aussi la plus avancée : aujourd’hui, « il est possible de transformer les comptes Facebook, Instagram et LinkedIn en murs de commémoration, assure Kylian Weydert. Pour les autres, des démarches sont nécessaires pour les fermer ». Plus ou moins efficaces et plus ou moins longues. Il raconte le cas d’une famille accompagnée par Repos Digital, qui « depuis dix mois tente de clôturer des comptes mail chez Microsoft. C’est un enfer. On échange avec des ingénieurs basés à Seattle ». Bref, des démarches loin de tout repos pour l’entourage.
Allègement de la charge mentale post-décès pour les proches
« J’ai commencé à travailler sur ce sujet de la mort numérique il y a quelques années à cause d’une expérience personnelle, expose Vanessa Lalo. J’ai reçu sur Candy Crush une vie de la part d’une amie décédée ». Un véritable électrochoc pour la psychologue qui a alors constaté que les discussions sur le devenir des données numériques entre proches étaient quasiment inexistantes. Et les services proposés encore très peu nombreux. « Malheureusement pour l’heure, il n’y a ni outil, ni process, ni méthode, abonde Kylian Weydert. Le niveau de complexité varie d’un site à l’autre. C’est chronophage, fastidieux et très peu transparent, un véritable parcours du combattant. »
Pourtant, insiste Vanessa Lalo, « il est vraiment important de prévoir sa mort numérique même si le sujet est très récent ». Car si en 2022, la majorité des décès concernent des personnes moins sujettes à une vie numérique dense, les plus de 40 ans n’étant que 4 % à penser à créer une page hommage en ligne selon une étude de 2019 « Les Français et les obsèques » par exemple, la progression à vitesse grand V du numérique dans la vie va créer de plus en plus de fantômes en ligne. A ce sujet, des chercheurs d’Oxford ont d’ailleurs conclu, d’après les données d’inscription sur Facebook et de décès, qu’en 2070, il y aura plus de morts que de vivants sur le célèbre réseau social créé par Mark Zuckerberg.
Le flou juridique de la gestion des données après la mort
Comme le précisait Kylian Weydert, ces masses de données stockées posent aussi la question de la pollution qu’elles génèrent. Sur The Conversation, la professeure de droit privé et de sciences criminelles à l’université Clermont Auvergne, Anne-Blandine Caire rappelait en 2020, « que pour une entreprise comme Facebook, le stockage des données post-mortem équivaut à l’impact environnemental d’un pays comme le Burkina Faso ». En pleine hype de la sobriété, difficile d’envisager le stockage sur le long terme donc.
Or, la loi, même si la France est plutôt précurseure sur le sujet, est pour l’instant encore floue. En 2016, la loi Internet et liberté datant de 1978 a été modernisée grâce à un texte de loi pour une liberté numérique, qui permettait de créer un droit de testament pour nos données en ligne. Mais le décret d’application n’a jamais été publié au Journal officiel. « En anticipant notre mort numérique, c’est aussi un moyen de choisir l’image que nous laissons, la façon dont se passeront les choses après notre disparition, ça peut être intéressant et rassurant de l’aborder sous cet angle-là », précise Vanessa Lalo.
Le rôle prépondérant du notaire
Et si pour éviter les futurs cimetières numériques, la solution venait des notaires ? « Concrètement, une personne sensibilisée à ces enjeux peut d’ores et déjà se tourner vers son notaire, pour inventorier les comptes, procéder aux démarches, nommer un référent pour la fermeture des différents comptes par exemple, et inclure les biens numériques dans la succession des personnes, recenser ses comptes avec identifiants et mots de passe », conseille Kylian Weydert. C’est aussi un moyen, en désignant un légataire, d’éviter toute forme de conflits entre ses proches, la Cnil indiquant encore aujourd’hui que « par principe, un profil sur un réseau social ou un compte de messagerie est strictement personnel et soumis au secret des correspondances », mais « l’article 85 de la loi Informatique et Libertés, relative à la protection des données personnelles prévoit que les héritiers d’une personne décédée justifiant de leur identité peuvent demander au responsable d’un fichier de tenir compte du décès de celle-ci ».
Pas de révolution à prévoir donc puisque rédiger son testament et préparer l’après-décès se fait déjà chez un notaire, il faut juste penser à y inclure la partie numérique. « On peut l’aborder tous ensemble en famille au même titre que le don d’organes. Ça peut se faire de manière légère sans plomber forcément la discussion mais en étant conscient de l’importance que ça peut revêtir », note Vanessa Lalo. Et si finalement l’important, c’était de lever le tabou sur le sujet ? Allez Noël, c’est dans moins deux mois, on prépare ses sujets, quelques blagues, et au menu ce sera mort numérique, don d’organes et un « tu préfères être incinéré ou enterré ? ». Réjouissances, nous voilà !
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