Sites pornos : Est-il vraiment possible techniquement de bloquer leur accès aux mineurs ?
RISQUES•Alors qu’a été dévoilé un rapport sénatorial sur la pornographie en France, il est toujours compliqué de mettre en place un système efficace pour limiter l’accès des sites aux mineurs. Et le blocage ne se joue pas qu’au niveau techniqueLaure Gamaury
L'essentiel
- Comment limiter l’accès des mineurs à du contenu pornographique en ligne ? C’est l’un des axes du rapport de la commission sénatoriale Porno : l’enfer du décor, sorti en milieu de semaine.
- En France, aucune solution technique n’est pour l’heure proposée aux sites pornos alors même que le législateur leur impose de contrôler efficacement l’âge de leurs utilisateurs.
- Olivier Blazy, professeur en cryptographie et cybersécurité à Polytechnique, a participé à la mise en place d’un prototype en accord avec la Cnil, qui pourrait faire avancer le dossier. « Notre solution est prête pour demain, affirme le chercheur. Mais l’Etat doit désormais discuter, négocier avec les sites, les plateformes, les réseaux sociaux ».
Deux mineurs sur trois de moins de 15 ans ont déjà eu accès à des images pornographiques en ligne. C’est l’une des conclusions édifiantes du rapport de la délégation aux droits des femmes du Sénat, sorti mercredi, et baptisé Porno : l’enfer du décor. Mais si cette proportion est particulièrement alarmante, elle n’est pas nouvelle. Car le législateur peine depuis des années à résoudre le serpent de mer qu’est devenu l’accès des mineurs aux sites pornos. La prochaine étape est prévue mardi prochain, après une période de médiation entre l’Arcom et les principaux sites pornographiques de tubes que sont Pornhub, Tukif, XHamster, Xvideos ou Xnxx, visés en décembre 2021 par une mise en demeure d’interdire leur accès aux moins de 18 ans, et qui tentent par tous les moyens de faire traîner les procédures.
Aujourd’hui, aucune solution évidente n’existe, en effet, pour vérifier l’âge des internautes. Depuis le milieu des années 2000, au moment de la création de PornHub ou de Xvideos, la diffusion du porno est devenue massive, ce qui a « contribué à la recrudescence de contenus de plus en plus "trash" et violents, sans aucun contrôle ni considération pour les conditions dans lesquelles ces contenus sont produits », dénoncent les autrices du rapport. En France, la loi du 30 juillet 2020 sur les violences conjugales rappelle que les sociétés qui exposent les mineurs à des photos et vidéos pornographiques ne peuvent s’exonérer de leurs responsabilités en se contentant de demander à un internaute s’il est majeur. Mais techniquement, comment faire ? Où en est-on sur la vérification de l’âge en ligne ? Pourra-t-on un jour s’appuyer sur une solution viable ?
Une solution technique est disponible en France
On en parle peu mais en France, une solution technique a été mise au point conjointement par la Cnil, le Pôle d’expertise de la régulation numérique (Peren) et Polytechnique. « Le code source est prêt et tout le monde peut faire tourner la solution sur sa machine », assure Olivier Blazy, professeur en cryptographie et cybersécurité à l’école Polytechnique, qui travaille depuis un an sur un système de vérification de l’âge des internautes. Pour mettre au point ce prototype, deux aspects ont été déterminants : « il nous fallait garantir à la fois que la personne était bien majeure et la protection de la vie privée des personnes », expose l’expert.
« Nous avons misé sur une solution d’un tiers de confiance qui connaît déjà notre âge », poursuit-il. Ainsi, l’internaute pourrait faire appel à France Connect, à sa banque, à son opérateur téléphonique, pour qu’il délivre un jeton temporaire attestant de son âge. « Ce token pourra être présenté à n’importe quel site sans qu’il ne sache qui l’a généré. De même, le tiers de confiance à qui on l’aura demandé ne pourra savoir pour quel site - pornographique, de vente d’alcool, de casino, voire pour un réseau social - il est destiné ».
Pas d’IA, contrairement à l’Allemagne notamment
L’équipe de chercheurs a regardé du côté de ses voisins européens pour déterminer la voie à suivre. « Le Royaume-Uni a tenté, il y a quelques mois, le contrôle d’âge via un code à retirer dans un bureau de tabac. Le côté vraiment peu pratique, et une forte résistance des utilisateurs, ont eu raison de cette solution », déroule Olivier Blazy. De notre côté de la Manche, les deux piliers recherchés ont justement été la facilité d’accès et la confiance de l’internaute, histoire de ne pas reproduire les écueils britanniques.
Côté allemand, les solutions qui se démarquent sont encore différentes et font appel à l’intelligence artificielle. Un choix mis de côté par les Français. Olivier Blazy encore : « Nous avons préféré que la première vérification se fasse via un processus humain. Le problème de l’intelligence artificielle, c’est qu’elle utilise une solution de probabilité et ne peut garantir la protection des données. Il lui manque aussi le côté preuve irréfutable sur l’âge de l’utilisateur ».
Sans parler de la marge d’erreur - de l’ordre de cinq ans - qu’elle présente. Sous entendu : une telle solution ne validerait l’accès aux sites pornos qu’aux plus de 23 ans, ou ceux qu’elle identifierait comme tels, et pour les réseaux sociaux, par exemple, aux plus de 18 ou 20 ans. Impensable qu’elle passe autant de résistances en France. « Je pense qu’on est les seuls à proposer notre solution, ajoute le chercheur. Elle a vocation à être appliquée au niveau européen, mais c’est le régulateur qui en décidera ».
L’identité numérique, la grande sauveuse ?
Mais alors, si des solutions techniques viables existent, pourquoi la mise en place prend-elle alors tant de temps ? Car le législateur n’a pas attendu pour faire passer des lois, demandant le contrôle strict de l’âge des utilisateurs des sites pornos. « On a commencé à travailler sur le prototype il y a environ un an, quand l’Arcom s’est mise à envoyer les premières mises en demeure aux sites concernés, se remémore Olivier Blazy. Il fallait rapidement proposer une solution ».
Pourquoi ne pas avoir attendu la généralisation de l’identité numérique, qui devrait, à terme, permettre cette vérification de l’âge ? « Dans un monde idéal, on aurait patienté jusqu’à ce que la e-carte d’identité soit opérationnelle et déployée ». Comme le pointe le rapport de la commission sénatoriale, il y a urgence à protéger les mineurs en ligne. « Notre solution est prête pour demain, affirme le chercheur. Mais l’Etat doit désormais discuter, négocier, avec les sites, les plateformes, les réseaux sociaux. C’est un long cheminement politique qui s’ouvre ».
Entre les mains des décideurs… et des parents !
Et si finalement, la décision venait des plateformes et des réseaux sociaux ? Instagram donne l’impression de se lancer sur ce terrain avec la mise en place d’un test pour vérifier l’âge. « Ce serait un sacré pas en avant, avance Olivier Blazy. Car alors, de nombreux sites emboîteraient le pas à ces géants du Web. » Impossible pourtant de ne pas imaginer des poches de résistance, notamment parmi de petits sites indépendants ou du côté des défenseurs farouches de la liberté du Web. Mais la protection des mineurs est ici en jeu.
Et puis, ajoute Olivier Blazy, il faut se demander quel est le but recherché. « Est-ce d’empêcher les mineurs d’accéder à du contenu pornographique sans vraiment le chercher, ou de trouver comment proscrire totalement l’accès aux sites pornos même aux plus motivés des adolescents ? Car nous savons comment mettre en place une mesure de protection efficace, mais pas une solution parfaite ». En effet, quand on parle contournement, on pense immédiatement VPN. Et, dans une moindre mesure, contrôle parental, un autre serpent de mer qui cristallise de nombreuses crispations. Mais pour les parents en PLS, éviter l’open bar actuel sur les contenus pornos ne serait-il pas déjà un soulagement ?
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