INTERVIEWEn dix ans, le festival du film Fifib de Bordeaux est entré chez les grands

Bordeaux : « Cinéma indépendant ne veut pas dire intellectuel »... Comment le festival Fifib est entré dans la cour des grands

INTERVIEWDirectrice et cofondatrice du Festival international du film indépendant de Bordeaux, Johanna Carraire revient pour « 20 Minutes » sur la genèse de cet événement qui a su s’imposer dans le paysage cinématographique français
Mickaël Bosredon

Mickaël Bosredon

L'essentiel

  • Le Fifib a été créé il y a dix ans par deux amies férues de cinéma.
  • Très rapidement il a attiré des têtes d’affiche, d’Abel Ferrara à Alejandro Jodorowsky.
  • Pour son anniversaire, et après la crise du Covid-19, le Fifib propose du 13 au 19 octobre une programmation qui se veut encore très riche, et surtout positive.

Dix ans qu’il met le cinéma indépendant du monde entier sous les projecteurs. Le Fifib (Festival international du film indépendant) de Bordeaux organise du 13 au 18 octobre sa dixième édition, avec encore une fois une myriade de têtes d’affiche, de Charlotte Gainsbourg à Jacques Audiard en passant par Sandrine Kiberlain. Et une programmation très dense avec notamment quelque 110 projections de films au menu. 20 Minutes a interrogé l’une de ses deux cofondatrices, Johanna Carraire.

Johanna Carraire
Johanna Carraire - Fifib

En dix ans, le Fifib s’est imposé comme un festival incontournable dans le paysage cinématographique français. Comment en êtes-vous arrivé là ?

Le Fifib au départ, c’est une histoire d’amitié assez simple. Avec Pauline Reiffers, on aimait aller au cinéma ensemble, puis on a commencé à organiser des petits programmes ciné auxquels on conviait nos amis, venait qui voulait. Un jour, on s’est dit que ce serait chouette de créer un festival de cinéma à Bordeaux, sachant qu’il n’y en avait plus du tout à cette époque-là. On a rencontré des professionnels, des critiques, et petit à petit une équipe s’est montée et ça s’est fait. Il y avait une forme de naïveté, on ne se rendait pas compte de ce qu’on était en train de faire, ni de l’ampleur que cela prenait.

Rapidement vous avez réussi à attirer des têtes d’affiche. Est-ce que vous retenez quelques moments marquants de ces premières éditions ?

La deuxième année, nous avions programmé La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche qui est venu, en plein scandale autour du film. Il était très stressé. La même année nous avions Abel Ferrara également, et ça a été rock’n’roll car c’est un personnage un peu fantasque. Un soir par exemple, alors que nous étions en plein dîner dans un château du Bordelais avec des partenaires et des invités, il a décidé d’organiser sur un coup de tête une projection privée d’un film à l’Utopia à Bordeaux. Il était minuit et il a emmené 200 personnes voir ce film. Une autre année, nous avons perdu Philippe Katerine un soir dans Bordeaux, que nous avons retrouvé après une petite virée dans une coloc étudiante…

Est-ce qu’il y a eu une bascule, un moment où le festival a changé de dimension ?

Clairement, en 2019, lorsque nous avons eu deux gros invités connus internationalement, Alejandro Jodorowsky et James Gray. Jodorowsky est quelqu’un qui déchaîne les passions, des gens voulaient qu’il baptise leur enfant pendant sa masterclass qui était pleine à craquer. Et James Gray a préféré Bordeaux au festival Lumière de Lyon qui se tient en même temps, et qui est pourtant le gros festival qui attire toutes les stars.

Pour vos dix ans, vous avez encore du beau monde, vous vouliez organiser une édition particulière cette année ?

Nous voulions bien sûr de belles têtes d’affiche, mais sans perdre la rareté et la découverte, qui sont notre ADN. Ainsi, nous proposerons une rétrospective John Sayles, et nous aurons des films de Laura Mulvey, grande prêtresse de la pensée féministe au cinéma, qui a inventé le terme de "male gaze", le "regard masculin" de tous ces films réalisés par une certaine classe d’hommes, qui donnent de la femme une image très formatée, souvent réduite à l’objet de désir. A côté, nous aurons Jacques Audiard, que l’on invite tous les ans et qui vient enfin cette année, alors qu’il se déplace très peu. En revanche, après la période que l’on a vécu, on ne voulait pas de films trop déprimants, trop lourds, pour cette édition. Nous voulons montrer aux gens des œuvres qui, même si elles peuvent être difficiles, portent toujours une lueur d’espoir.

Vous avez la réputation d’être un festival qui attire un public majoritairement jeune, vous confirmez ?

Tous nos invités nous le disent. Nous avons réalisé une enquête l’an dernier, il en est ressorti que 68 % de notre public avait moins de 35 ans, et 40 % moins de 25 ans. C’est une particularité, car les festivals attirent plutôt des seniors, et c’est aussi un peu pour cela qu’Audiard vient montrer son film ici cette année. Cela prouve que les jeunes ne passent pas leur vie devant Netflix, à condition de leur proposer des choses un peu différentes.

Vous avez aussi réussi à ne pas vous enfermer dans une case de festival "intello", non ?

Oui, nous avons voulu créer un événement accessible à tous. Indépendant ne veut pas dire intellectuel. Nous voulons montrer un cinéma qui prend des risques, des artistes qui ont des choses à dire et qui sont dans l’innovation.

Programme complet sur fifib.com