Chocolatine, débaucher, un drôle... Les expressions du Sud-Ouest désormais cartographiées
PARLURE LOCALE•Mathieu Avanzi, linguiste et maître de conférences à la Sorbonne, a tenu une conférence intitulée « Pain au chocolat ou chocolatine ? » lors du festival Philosophia organisé à Saint-Emilion ce week-endElsa Provenzano
L'essentiel
- Le linguiste Mathieu Avanzi était invité à participer au festival Philosophia ce dimanche à Saint-Emilion.
- Il a évoqué les expressions régionales du Sud-Ouest sous la double influence de l'occitan et de l'ancien français.
- L'expert explique que le destin de ces termes locaux est difficile à prédire : certains rencontrent un succès en dehors de leurs frontières et d'autres restent cantonnés à un secteur géographique restreint.
« Pain au chocolat ou chocolatine ? » c’était le titre de la conférence proposée par Mathieu Avanzi, linguiste et maître de conférences à la Sorbonne, ce dimanche, lors de la dernière journée du festival Philosophia, organisé à Saint-Emilion, dont le thème cette année était le langage. Il y a esquissé une géographie linguistique de quelques particularités du français du Sud-Ouest.
Quelques marqueurs régionaux
« Boudu, pour bon Dieu, vous le dites si vous êtes fier d’habiter dans le Sud-Ouest », lance Mathieu Avanzi à l’heure de faire un focus sur le parler de Gascogne. Il passe en revue quelques expressions qui fleurent le terroir comme « A bisto de nas, à vue de nez », « une expression occitane assez directement réutilisée en l’état en français », précise-t-il. Il demande à la salle si elle connaît la signification de « Tcharer » sans obtenir beaucoup de réponses. Il faut dire que ce verbe qui signifie parler, discuter, est surtout utilisé dans les Pyrénées. Le « drôle » ou la « drôlesse » pour parler des enfants sont en revanche bien connus. A l’intérieur même de la Gascogne, il y a donc pas mal de disparités. Est-ce que ça vous espante ? (épate). Ce qui a le plus choqué le linguiste, originaire de Savoie, c’est l’utilisation du verbe débaucher pour quitter son travail. « Ailleurs, quand on va débaucher, on va vous inviter à de mauvaises activités il n’y a que dans l’ouest que vous dites ça ! » plaisante-t-il.
Il est revenu sur les origines du mot chocolatine, (pain au chocolat pour quasi toute la France hors du Sud-Ouest) précisant qu’en 1840-1880, on trouve le mot mais il renvoie à des fruits enrobés de chocolat, des dragées ou des poudres de cacao. Ce n’est qu’entre les années 1950 à 1960 qu’on trouve une première référence, dans un magazine du sud-ouest.
Une région sous influence
« Bordeaux n’a pas vraiment de personnalité linguistiquement, estime le spécialiste. Elle est un peu coincée entre deux tendances, il y a des mots occitans, jamais à vous et des mots vraiment picto charentais, mais là encore jamais à vous. » La région de Bordeaux prend certains marqueurs du sud comme la prononciation du e muet ou du s de moins (10 à 15 % des habitants de Bordeaux le prononcent). Et, sous l’influence du Poitou-Charentes, où les particularités de prononciation existent peu, elle récupère aussi des mots de l’ancien français comme débaucher, embaucher ou benaise (être bien aise). Résultat : elle se trouve à la croisée de plusieurs influences qui au final, en font une région assez riche en expressions locales. Cette situation explique aussi qu’il y ait des habitants avec « des accents à couper au couteau », selon le linguiste et d’autres très légers.
Quel destin pour les expressions locales ?
Chocolatine devenu un mot emblématique ne sera pas pour autant facile à diffuser en dehors des frontières du sud-ouest, estime le linguiste, justement parce qu’il est très identitaire. Qu’en est-il du terme « gavé » (très) bordelo-bordelais ? « Ces intensifieurs sont fortement marqués du point de vue générationnel, au sens où ils coïncident avec des mots d’argots ou de jeunes, commente Mathieu Avanzi. Cela fait un moment que « gavé » est utilisé même par des vieux et repris dans la presse mais on ne sait pas trop ce qu’il va advenir. » Gavé sera-t-il ringardisé par la prochaine génération ? Les expressions régionales sont véhiculées au sein de la famille, de l’école etc. par un processus de mimétisme, dont il est difficile de prédire les effets.
Auteur d’un Atlas des expressions de nos régions, Mathieu Avanzi lance dans une dizaine de jours une application « le français de nos régions » qui permettra notamment via des enregistrements de s’atteler à un atlas sonore, qui s'annonce chantant et bigarré.