BILANLes crieurs de rue, porte-voix des changements d'humeur des déconfinés

Déconfinement à Bordeaux : Les crieurs de rue, porte-voix des changements d'humeur des déconfinés

BILANDepuis la mi-avril, les crieurs de rue créent du lien dans les quartiers de Bordeaux et relaient les coups de gueule ou les coups de cœur des habitants
Marion Pignot

Marion Pignot

L'essentiel

  • La ville de Bordeaux a relancé les crieurs de rue pendant le confinement lié à l’épidémie de Covid-19. Deux fois par semaine, Günther Galbert et ses acolytes ont chaque jour occupé l’espace public et créé du lien dans les quartiers ciblés par la municipalité.
  • Déconfinement oblige, les rendez-vous ont désormais lieu les samedis. Les habitants peuvent continuer d’envoyer des messages à la mairie, qui les transmettra aux comédiens en charge de les crier dans la rue ou sur les marchés.
  • Les crieurs ont souvent relayé les coups de cœur des Bordelais, même des demandes en mariage. Post-11 mai, ils remarquent que la « parenthèse enchantée est terminée ».

Le confinement et le monde d’après. Depuis ce samedi, les crieurs de rue, appelés à la rescousse par la ville de Bordeaux pendant le confinement, ajustent leurs numéros. De claquettes pour certains, de danse ou d’échasses pour d’autres. Mobilisés pour proposer un peu de culture aux Bordelais confinés, les huit artistes* n’animeront plus en binôme la vingtaine de lieux préalablement ciblés par la mairie. Désormais, ils sillonneront les samedis les petits marchés de Gaviniès ou du Grand Parc mais aussi les rues du centre-ville de Bordeaux **.

a

« Les voitures et les nuisances sonores sont revenues alors on revoit la copie. Le confinement est terminé », explique Olivier Villanove de l’agence Géographie Affective. Un brin nostalgique le claquettiste-cycliste en chaussettes bleues ? Avec son acolyte, Rémi Labrouche, le comédien a rendez-vous samedi en fin d’après-midi près de la Bourse du Travail pour enchanter l’apéro de déconfinés, « des têtes connues, les habitués qui nous attendaient aux fenêtres ». Il se rappelle : « La mayonnaise a pris tout de suite. Les isolés étaient heureux de nous voir. Ils le sont encore mais il faut nous réadapter au retour des usages de la vie et à cette sortie de confinement qui, finalement, s’avère anxiogène pour beaucoup de gens. »

« On a certainement sauvé un couple sur ce coup-là »

Post 11-Mai, les quatre binômes de comédiens, de circassiens ou de danseurs devenus crieurs ont poussé quelques coups de gueule « parfois applaudis, souvent hués » mais ils se sont surtout fait écho de déclarations d’amour, voire d’une demande en mariage. Près de 400 messages ont été déposés sur la boîte mail de la mairie ou sur le répondeur, assure Yohan Delmeire, responsable culture à la coordination du projet. Certains, « trop chouettes », ont même eu l’honneur d’être déclamée à la porte des intéressés. Comme à celle de ce conjoint chahuté par une amoureuse enceinte. « On a certainement sauvé un couple sur ce coup-là en choisissant de jouer les facteurs, se rappelle Olivier. On est aussi allés chanter des "joyeux anniversaire" ou lire un message de réconfort à une étudiante dont le concert de fin d’année avait été annulé. »

Olivier Villanove et Rémi Labrouche de l'agence Géographie affective ont venu à la rencontre des confinés avec leur numéro de claquettistes-cyclistes.
Olivier Villanove et Rémi Labrouche de l'agence Géographie affective ont venu à la rencontre des confinés avec leur numéro de claquettistes-cyclistes. - Agence Géographie affective

Le reste a été déclamé au hasard des quartiers. Tels les slams « souvent travaillés », les poèmes « pas tous de bons goûts », les recettes de cuisine réinventées ou les questions posées aux voisins : « J’en suis à boire un verre pour l’apéro, le reste de la bouteille pour le moral. Et vous ? » Entre deux criées, Günther Galbert jouera des échasses ou Rémi et Olivier leurs sketches de cyclistes amateurs de danse qui « s’approprient l’espace public façon West Side Story ».

« Le doigt d’honneur n’est pas un geste barrière »

Durant ces sept semaines de criées, Olivier a cependant senti le vent tourner : « On parlait du monde d’après mais aujourd’hui les messages que l’on reçoit sont un bond dans le monde d’avant. » Les Bordelais semblent lassés, en colère, déçus. Les coups de gueule ont pris le dessus. « On reçoit des "le doigt d’honneur n’est pas un geste barrière", des "après des semaines à applaudir les éboueurs pourquoi jetez-vous vos masques par terre", des réflexions sur ce mètre de distance qui n’est pas respecté ou sur les laissés pour compte du déconfinement. On est bien dans le principe de l’agora, mais plus dans cette parenthèse enchantée, cette bulle d’humanité ».

Günther se fait plus mesuré. Il note l’espoir dans les propos des déconfinés. « J’étais dubitatif à l’idée de continuer les criées avec le souci supplémentaire des gestes barrières. Mais on se retrouve autrement et les gens recherchent toujours le contact avec l’extraordinaire », assure le comédien qui a enchanté les habitants de la Benauge pendant plus d’une heure samedi dernier.


Notre dossier sur le déconfinement

Olivier ou Günther, en panne de planches, s’avouent heureux de pourvoir continuer à faire rêver. Samedi, à la cité les Cheminots, à Belcier ou près de la Bourse du Travail, ils retrouveront ceux dont ils ont parfois croisé les yeux humides ou qui les attendent, comme Martine, qui « écrit des chansons et des textes et est là depuis le début », explique Günther. « On reste leurs bonbons dans ce désert de programmation artistique et alors que les seuls choix culturels proposés sont virtuels. On est bien réels et notre spectacle est vivant, glisse Olivier. Ça nous fait aussi du bien de jouer, mais je crois qu’on ne retrouvera plus la même douceur. »

* Gaëtan Ranson et Sonia Le-Ny du collectif La Flambée, Günther Galbert, Elsa Moulineau, Cécile Maurice et Olivier Colombel de la compagnie Bourgrelas, Olivier Villanove et Rémi Labrouche de l'agence Géographie Affective.

** La mairie ne souhaite pas communiquer sur le parcours des comédiens, afin d’éviter les attroupements et que soit respecter les gestes barrières.