Bordeaux: «Les pesticides changent le goût tant dans l'eau que dans le vin»
INTERVIEW•Ce vendredi un débat sur le thème « Effets et goûts des pesticides » est organisé à Moulis-en-Médoc par le collectif Info Médoc Pesticides. Professeur de biologie moléculaire, Gilles-Eric Séralini est l’un des intervenants…Propos recueillis par Elsa Provenzano
L'essentiel
- Gilles-Eric Séralin est coauteur d’une étude qui montre qu’il est possible de caractériser les pesticides au goût et cela nuirait, selon certains spécialistes, à la qualité de la dégustation.
- Il sera vendredi à Moulis-enMédoc pour le débat organisé par le collectif Info Médoc Pesticides : « Effets et goûts des pesticides ».
- « On découvre que les pesticides empêchent les arômes de se développer dans le raisin, la littérature scientifique le montre. Les pesticides tuent les champignons et donc les levures […], on doit alors en rajouter ce qui donne un goût plus caricatural. »
Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire et de toxicologie à l’université de Caen a travaillé avec le chef cuisinier Jérôme Douzelet et d’autres « nez » pour effectuer une recherche parue en décembre 2017, sur les caractéristiques gustatives des pesticides aux doses où on les retrouve dans le vin. Ils ont publié ensemble en janvier 2018 Le goût des pesticides dans le vin, chez Actes Sud.
Ce vendredi, les auteurs participeront à 20 h à un débat sur le thème « Effets et goûts des pesticides », organisé par le collectif Info Médoc Pesticides à la salle des fêtes de Moulis-en-Médoc. Gilles-Eric Séralini répond aux questions de 20 minutes sur son étude.
Comment avez-vous mené cette étude sur le goût des pesticides ?
Jérôme Douzelet est le vrai découvreur du goût des pesticides. Je l’ai rencontré dans son hôtel-restaurant bio de Barjac dans le Gard. Il a eu l’idée d’essayer de reconnaître la présence de pesticides en les diluant dans l’eau, en respectant les doses auxquelles on les retrouve dans l’alimentation. Je l’ai testé et j’ai remarqué que c’était un vrai « nez ». J’ai alors voulu étendre l’expérimentation. En tout, 71 spécialistes (œnologues, vignerons, cavistes et chefs cuisiniers) ont participé à l’étude lors de 195 tests. Les pesticides changent le goût tant dans l’eau, là où ils sont caractérisés, que dans le vin. Ces spécialistes vont y retrouver les goûts des pesticides qu’ils ont appris dans l’eau. Cela n’avait jamais été fait, c’est un test de primo détection qui n’a rien à voir avec une analyse sensorielle, pour laquelle on a des référentiels.
Qu’est-il ressorti des dégustations de ces experts ?
A l’aveugle, ils préféraient toujours les vins bios en goûtant deux vins (un bio et un autre non bio) qui étaient de mêmes cépages, de mêmes terroirs et de mêmes millésimes. On dépense 1.000 euros par couple de bouteilles pour rechercher jusqu’à 250 pesticides, c’est donc un investissement considérable. 78 % de ces experts préfèrent les vins bios à l’aveugle, 85 % d’entre eux identifient au moins un pesticide dans l’eau et 58 % les identifient à chaque fois. Enfin, 57 % reconnaissent la présence des pesticides dans le vin.
Quelle est la conclusion principale de cette étude ?
Les vins biologiques ne contiennent pas de pesticides en comparaison des vins non biologiques qui sont leurs voisins, de la même année. Sur une centaine qui a été analysée, on trouve des résidus (de pesticides) dans un seul vin biologique mais en dessous du seuil de quantification. Et, pour 98 % des vins non biologiques, on trouve en moyenne 3.000 fois et jusqu’à 11.000 fois la dose de pesticides autorisée dans l’eau du robinet. C’est une différence considérable entre les deux types de vins. Je savais qu’il y en avait, d’autres études l’avaient montré, mais je n’imaginais pas un tel différentiel. On montre qu’aux doses autorisées dans l’eau du robinet, le roundup (qui est 1.000 fois plus toxique que le glyphosate car il contient des poisons cachés à base d’arsenic et de pétrole) donne des maladies chroniques des reins et du foie et, des tumeurs mammaires.
Certains spécialistes ont-ils été surpris ? Comment ont-ils qualifié ces goûts ?
Certains cavistes ont réagi en disant « toute ma vie j’ai goûté ça et je ne savais pas que c’était un pesticide ». Ils l’attribuaient aux tanins ou aux levures avec un goût de fraise tagada, par exemple. On peut apprendre à faire la différence entre des goûts de sulfites, de levures et de pesticides. Jérôme Douzelet, le vrai spécialiste, parle de goûts de pneus brûlés et de bois. Il évoque des goûts asséchants et durables qui coupent la longueur en bouche.
On peut dire que votre message revient à dire que les pesticides nuisent à la qualité de la dégustation ?
Oui, on découvre que les pesticides empêchent les arômes de se développer dans le raisin, la littérature scientifique le montre. Les pesticides tuent les champignons et donc les levures (qui, elles, permettent la fermentation) puisque ce sont des fongicides, on doit alors rajouter des levures qui donnent un goût plus caricatural. Souvent même, les conventionnels rajoutent des levures aromatiques pour que le vin ait toujours le même goût à chaque millésime. Les vins nature (sans ajout de levures) ont un goût plus variable. Les arômes du vin et d’autres fruits ou d’autres plantes stimulent le phénomène de détoxification, ils stimulent les gènes éboueurs dans notre foie. Là, on rentre sur d’autres de mes études mais qui complètent celle-là. Le goût c’est important car c’est le premier niveau de détoxification.
Pourquoi avez-vous accepté de vous rendre à Moulis dans le Médoc ?
C’est la mission d’un professeur d’université de prendre part au débat public. Il y a tellement de lobbies et de controverses que ne pas dire la vérité s’avère dommageable à la santé publique.
Je crois en la qualité du travail des vignerons mais je pense qu’ils se sont fait avoir par les lobbies qui leur ont fait croire que les pesticides étaient indispensables. Je ne veux incriminer personne mais mettre des produits à base de pétrole sur du vin, ce n’est pas sain.