Bordeaux: Les squats sont repoussés de plus en plus en périphérie
SOCIETE•Plusieurs dizaines de squats existent sur l’agglomération bordelaise. Etrangers, saisonniers et marginaux s’y côtoient…Elsa Provenzano
L'essentiel
- Plusieurs dizaines de squats abritent environ 1.200 personnes sur l’agglomération bordelaise, selon Médecins du Monde.
- Les squatteurs ont des profils très différents mais tous se retrouvent de plus en plus repoussés en périphérie de Bordeaux.
«Bien sûr qu’il y a des règles dans un squat, lance une jeune femme venue du Sénégal, qui vit depuis sept mois dans l’un d’eux à Pessac, dans la banlieue bordelaise. On ne tolère pas de violences, pas d’embrouilles, pas d’alcool ni de drogues et pour le ménage, c’est chacun son tour. » Elle se débrouille en vendant des plats cuisinés et cotise avec les autres occupants pour régler la facture d’électricité. « C’est ici que je prépare mes plats, dans cette grande cuisine », explique-t-elle en faisant visiter le logement.
C’est un collectif « d’ouvreurs de squats » qui a orienté la plupart de la vingtaine d’occupants vers cette habitation vide, qui est destinée à être rasée pour la construction d’un parking. La veille de notre venue, des mineurs viennent d’arriver de Guinée mais ils ne sont que de passage dans ce squat. Mine de rien, la jeune femme veille sur ces adolescents un peu déboussolés : « tu n’avais pas mis quelque chose sur le gaz », lance-t-elle à l’un d’entre eux. Selon les estimations de Médecins du Monde, qui visite ces lieux dans le cadre de sa mission squats, il y aurait une cinquantaine de squats sur l’agglomération bordelaise, abritant environ 1.200 personnes. La préfecture avance le chiffre de 843 personnes recensées dans 98 squats identifiés en Gironde, sachant que 80 % des squats du département se situent sur l'agglomération bordelaise.
Environ 200 Sahraouis occupent une usine désaffectée
De la maison inoccupée par quelques personnes à la faveur d’un problème de succession à l’usine désaffectée où vivent plusieurs centaines d’occupants, il existe des types de squats très différents. « On ne peut pas couvrir tous les besoins, donc on priorise nos interventions sur une vingtaine de sites, accueillant environ 600 personnes », explique Morgan Garcia, responsable de la mission squats Bordeaux à Médecins du Monde. Elle œuvre à orienter les personnes qui connaissent des problèmes de santé vers le centre de soins de l’organisation ou des structures de droit commun, dans un souci d’autonomiser un maximum les bénéficiaires.
Le camp bordelais de 200 Sahrarouis est le plus important de l’agglomération. « Ils n’ont plus d’électricité et pas de moyen de chauffage, pointe Morgan Garcia, alors que les températures sont descendues en dessous de 0 [degré] ces derniers jours. On a interpellé les pouvoirs publics sur leur situation mais rien n’est fait. » Expulsés à plusieurs reprises depuis leur arrivée à Bordeaux fin 2013, les Sahraouis occupent aujourd’hui une usine désaffectée, un peu isolée. « Beaucoup sont des demandeurs d’asile qui devraient être logés dans des CADA [centre d’accueil de demandeurs d’asile] », souligne Morgan Garcia.
« Parmi les squatteurs beaucoup n’ont rien, estime maître Romain Foucard, qui les défend devant les tribunaux. Il y a des saisonniers italiens et espagnols, des demandeurs d’asile et des familles aussi. »
Des squats autogérés
Alex vit dans un squat à Pessac, et ce militant a contribué à mettre à l’abri « une centaine de personnes » qui vivent dans des logements inoccupés de façon temporaire. Cet « ouvreur de squat », s’il ne nie pas l’existence de violence dans certains squats, met aussi en avant des squats propres et autogérés parfois occupés par des familles : « On fait tout pour ne pas entasser les personnes. »
Maéva, jeune femme pétillante de 22 ans, a fait le choix de vivre dans un squat à Bègles avec son chien Pirate qu’elle ne quitte pas des yeux, en bonne harmonie avec celui qu’elle appelle son « cooccupant ». Après un bac obtenu avec mention, elle part soutenir le mouvement des zadistes de Notre-Dame-des-Landes. Insatisfaite par « un fonctionnement de société qui l’écrase » et dans lequel elle ne trouve pas de sens, elle a fait le choix d’un confort de vie minimum.
Elle effectue depuis plusieurs mois un service civique par le biais duquel elle travaille dans un jardin partagé. Elle pratique aussi assidûment les arts plastiques. Si dans les squats « il y a beaucoup plus de mecs », elle ne se sent pas en danger ayant « toujours su bien s’entourer ». Elle est fière d’entretenir de « très bons contacts avec ses voisins » et assure pouvoir compter sur un bon réseau social d’entraide. « Dans un squat, ce n’est pas la loi de la jungle », souligne-t-elle. Une éventuelle expulsion ne l’effraie pas car elle estime qu’elle pourra trouver un nouveau squat facilement, grâce à son réseau.
Invisibilisation des squats
« Depuis l’évacuation du squat de l’avenue Thiers, on observe une fragmentation des lieux squattés, relève Morgan Garcia. Les personnes, dont le nombre reste stable, sont reléguées dans les communes périphériques. » A Mérignac, le Haillan, Bègles et sur la rive droite, de nouveaux squats se sont installés mais ils sont de plus en plus invisibilisés.
« Dans la plupart des cas, les collectivités publiques sont propriétaires des terrains et ce n’est pas difficile alors d’en confier la gestion à une association pour ceux qui sont occupables, estime maître Romain Foucard. L’exemple très évocateur est celui de la Ruche, rue du Mirail, dont le propriétaire est la région ». L’avis d’expulsion n’a pas été mis en application par l’institution régionale dans ce squat pour mineurs , toujours en activité, dans lequel elle a réalisé des travaux de sécurisation.