SOCIETEAirbnb accusé de confisquer les logements du centre-ville bordelais

Bordeaux: Airbnb accusé de confisquer durablement des logements aux habitants, au profit des touristes

SOCIETESelon l’observatoire Airbnb lancé par le socialiste bordelais Matthieu Rouveyre, 84 % des logements entiers proposés par la plateforme sont exclusivement dédiés à la location saisonnière…
Elsa Provenzano

Elsa Provenzano

L’idée de départ des plateformes de location saisonnière comme Airbnb, qui est de rentabiliser des logements inoccupés pendant les vacances de leurs propriétaires, n’est pas du tout mise en cause par le créateur de l’observatoire Airbnb, le conseiller départemental socialiste girondin Matthieu Rouveyre. Mais il montre que le système est « dévoyé de sa fonction première » puisque 84 % des logements entiers Airbnb sont exclusivement dédiés à la location saisonnière, d’après les chiffres captés par son observatoire.

Une professionnalisation des loueurs

En clair, c’est devenu pour certains investisseurs professionnels, qui possèdent souvent plusieurs biens, un business lucratif. Le phénomène contribue alors à faire baisser durablement les offres dans le parc de logements locatifs privés. « A Bordeaux, où il y a très peu de parcs HLM, si votre propriétaire vous dit qu’il ne va pas reconduire votre bail, vous allez où ? pointe Johanna Dagorn, sociologue à l’université de Bordeaux qui a travaillé avec l’élu socialiste. Comme les périphéries sont aussi gentrifiées, vous vous retrouvez en troisième couronne, dans une zone rurale sans service public. » Elle précise que c’est « une logique d’exclusion systémique, qu’il n’y a pas d’intentionnalité ».

Une pression « comparable à celle de Paris »

En 2016, l’élu s’était rapproché de Tom Slee, un « hacktiviste » canadien auteur de Ce qui est à toi est à moi, contre Airbnb, Uber et autres avatars de l'« économie du partage » qui a réussi à collecter les premières données d’Airbnb, peu encline à les diffuser.

Un premier état des lieux est réalisé avec son aide en 2016 mais Matthieu Rouveyre veut aller plus loin et donner à voir l’évolution de ce phénomène à l’échelle nationale et ses impacts sur le parc de logement locatif, en analysant les données du géant de la location saisonnière. Il a donc créé un outil dédié aux données françaises et, il a livré ce mercredi un premier bilan des données collectées depuis octobre 2016 sur Bordeaux, ville à l’attractivité touristique croissante sur laquelle la pression est « comparable à celle de Paris ». C’est-à-dire qu’on trouve 19 offres de logements entiers pour 1.000 Bordelais quand on en trouve 20 à Paris pour le même nombre d’habitants.

Ce qui pousse l’élu à s’intéresser à « l’Airbnbisation » de la ville c’est, dans le cadre de ses fonctions au département, ses rencontres avec des Bordelais confrontés à la difficulté croissante de se loger au centre-ville. « J’ai entendu à plusieurs reprises : je cherche un logement social parce que mon propriétaire met mon logement sur Airbnb », raconte l’élu socialiste, rappelant que 80 % de la population est éligible à un logement social.

5.071 offres de logements sur Bordeaux

Le nombre de logements proposés à la location à Bordeaux sur Airbnb est en pleine explosion : entre mars 2016 et mars 2017, il est passé de 3.095 à 6.588, soit 113 % d’augmentation en un an. L’observatoire ne s’intéresse qu’aux logements entiers, très majoritaires sur le site, qui propose aussi des chambres ou même des chambres partagées. En mars 2017, 5.071 biens sont des logements entiers sur Bordeaux, dont près de 4.260 seraient aux mains de professionnels qui en réserveraient la jouissance aux touristes à la recherche d’un pied à terre bordelais. Les quartiers du centre-ville, des Chartrons et de Saint-Michel sont les plus prisés par les touristes. « Ces deux derniers sont vendus comme des lieux de vie par les guides et le phénomène d’Airbnbisation les vide de ses habitants… », remarque Matthieu Rouveyre.

Des conciergeries ont même vu le jour et proposent à ces propriétaires de prendre tout en charge : l’annonce, la réponse aux messages, l’accueil des visiteurs, l’intendance et la remise des clés.

Quelles solutions ?

Selon Matthieu Rouveyre, qui tire la sonnette d’alarme sur ce phénomène, il faut en tout cas réfléchir à des mécanismes de régulation pour contrôler le parc. « Par exemple, on pourrait fixer un nombre de nuitées au-delà duquel cela devient une activité hôtelière et il faut alors déclarer un changement de destination », explique-t-il.

L’élu et la sociologue travaillent à un ouvrage sur le phénomène en France et dans les plus grandes villes, qui sortira à la rentrée.