Bordeaux: Le nouveau restaurant du «Jardin Pêcheur» emploie 90% d'handicapés
INSERTION•Et la moitié d'entre eux sont issus de quartiers prioritaires...Laetitia Dive
Pendant dix ans, Eric a dirigé un restaurant gastronomique en Slovénie. « Le meilleur du pays », selon son chef actuel, puisqu’il avait été choisi par le gouvernement pour représenter la cuisine slovène lors d’événements à l’étranger.
Mais sa maladie prend le pas sur son métier et en 2010, il fait « une sorte d’AVC » qui le rend hémiplégique. Le cuisinier est alors contraint d’abandonner sa passion… jusqu’à sa rencontre avec Pierre Maly, le patron du Jardin Pêcheur : « Grâce à lui, j’ai pu reprendre ici ce métier fabuleux ».
Trois sourds profonds en cuisine
Dans son restaurant, le gérant emploie 31 salariés… dont 90 % sont handicapés, à l’image d’Eric. « Beaucoup ont des problèmes psychiques. En cuisine on a trois sourds profonds, on a des déficients visuels et aussi une directrice en fauteuil », raconte Pierre Maly. Le seul « valide » de l’établissement, c’est le chef cuisinier qui s’adapte sans cesse aux autres : « Ils lisent sur les lèvres, échangent quelques signes. On écrit aussi plus gros pour les malvoyants ».
Ouvert début mars, Le Jardin Pêcheur est le second restaurant ouvert par Pierre Maly, dix ans après avoir réussi l’expérience à Trélissac. L’enseigne bordelaise est située dans le quartier des Bassins à Flot, à quelques pas du pont Chaban-Delmas. Dans cette zone où se trouvent écoles supérieures et entreprises, il grappille peu à peu une clientèle régulière et dispose de 300 couverts midis et soirs du lundi au dimanche.
Du frais et du « fait maison »
« Entre nous il y a une très bonne ambiance, tout le monde est là pour aider l’autre. Si quelqu’un a un petit malaise, on ne le laisse jamais seul », explique Eric. Ne pouvant travailler que trois heures par jour en raison de son handicap, Pierre Maly lui a proposé un contrat particulier : « Il vient le matin de 8h à 11h et s’occupe de la mise en place : il prépare le foie gras, le chutney… »
Car l’établissement se targue de ne proposer que du frais et du « fait maison » : « On fume nous-même le saumon et l’esturgeon », raconte le chef de l’établissement. Pareil pour la pâte à tarte, confectionnée sur place. En cuisine, un hachoir réfrigéré permet aux cuistots de préparer la viande eux-mêmes. « Et tous les jours, on propose une suggestion en entrée, en plat et en dessert selon les arrivages ».
Pour Pierre Maly, le fait que ses employés ne soient pas ou peu qualifiés en restauration n’est pas un bémol, au contraire : « Ils compensent avec une immense motivation ». Le restaurateur se souvient avec émotion du jour où, après avoir travaillé en étroite collaboration avec plusieurs acteurs de l’emploi, il a annoncé à 17 d’entre eux qu’ils étaient embauchés : « Beaucoup avaient les larmes aux yeux. Pour certains cela faisait des mois voire des années qu’ils ne trouvaient pas de travail ».