Bordeaux a fait parler les fossiles de «L'Homme de Tourville»
SCIENCES•C’est au laboratoire Pacea de Bordeaux que les analyses sur «L’homme de Tourville-la-Rivière» - un pré-néandertalien dont la découverte a été révélée jeudi - ont été réalisées durant quatre ans…Mickaël Bosredon
La datation à environ 200.000 ans des os d’un bras humain découverts à Tourville-la-Rivière (Seine-maritime), a été possible grâce à quatre années d’analyses au sein du laboratoire Pacea (De la préhistoire à l’Actuel, Culture, Environnement, Technologie) de Bordeaux. L’annonce de cette découverte «exceptionnelle» a été faite jeudi à Paris, au moment de sa publication dans la revue scientifique américaine Plos One, mais remonte à septembre 2010.
Deux scientifiques bordelais sont, entre autres, à l’origine de cette révélation, Bruno Maureille (CNRS, directeur de l’unité Pacea, Université de Bordeaux) et Jean-Philippe Faivre, préhistorien (CNRS, Université de Bordeaux). Responsable de ces fouilles, et donc découvreur de ces fossiles, Jean-Philippe Faivre explique avoir décidé «très rapidement de les acheminer à Bordeaux, car le laboratoire Pacea est un pôle d’excellence de l’étude pré-néandertalienne en Europe.»
«Quatre ans d’étude, ce n’est pas très long»
Il aura donc fallu quatre années d’études aux scientifiques de tous bords pour en apprendre davantage sur ces ossements, et surtout les dater. «Quatre ans, ce n’est pas forcément très long, précise Jean-Philippe Faivre, parfois cela dure une dizaine d’années. Il faut bien comprendre le travail qui a été réalisé, notamment d’imagerie, avec un scanner tridimensionnel, qui a pris à lui seul pas moins d’un an.»
A l’arrivée, les scientifiques ont pu déterminer que ces trois ossements, humérus, cubitus et radius, provenant du bras gauche d’un même individu, remontaient entre -236.000 ans et -183.000 ans, donc à la lignée des pré-néandertaliens, les néandertaliens se situant plutôt entre -118.000 et -30.000 ans. «C’est une découverte extrêmement rare, souligne Bruno Maureille, particulièrement dans l’Europe du Nord ouest. Seuls 12 sites de cette période ont été mis au jour dans l’ensemble de l’Europe.» L’un d’eux avait déjà été découvert en France, à Biache-Saint-Vasst (Nord-Pas-de-Calais).
«Une crête osseuse qui peut résulter d’une sollicitation du bras»
«Ce qui est intéressant, c’est que les trois ossements proviennent du même spécimen, souligne encore Bruno Maureille. Nous avons découvert une crête osseuse au niveau de l’insertion du muscle deltoïde, qui peut-être le résultat d’une sollicitation répétée du bras, que l’on pourrait éventuellement associer à un mouvement de lancer, mais là, c’est de la spéculation. Il s’agissait d’un individu pas spécialement robuste, et sans doute d’un adulte, puisque les os avaient terminé leur croissance.»
Cette découverte a été réalisée par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), lors de fouilles en prévision de l’exploitation d’une carrière de sable et de graviers. «Nous savions où nous allions, puisque ce site avait déjà révélé depuis 1967 des ossements d’animaux (auroch, cheval, chevreuil, sanglier) et de silex travaillés, remontant à la fin d’une période interglaciaire, indique Jean-Philippe Faivre. Il y avait donc une possibilité que nous trouvions des restes humains, mais nous ne nous y attendions pas.»
Des fossiles très endommagés
La fouille, qui s’est réalisée sur un territoire d’1 hectare durant quatre mois et demi, a permis aussi de mettre au jour un millier de restes d’espèces animales et quelque 700 outils de pierre.
Les fossiles humains de «L’homme de Tourville-la-Rivière», comme il est désormais appelé, sont pour l’instant conservés à Bordeaux. «Nous ne connaissons pas encore leur future destination, mais de toute façon des moulages ont été réalisés pour permettre de poursuivre les études, car les os sont très endommagés, et difficilement manipulables», indique Jean-Philippe Faivre.