Pourquoi les lesbiennes se retrouvent-elles à swiper des profils d'hommes hétérosexuels sur Tinder ?
ORIENTATION•Pour les femmes lesbiennes, bisexuelles ou pansexuelles, Tinder peut s'avérer être un parcours semé d'embûches. Souvent, ces dernières se retrouvent face à des profils de couple, de femmes hétérosexuelles ou plus étonnant... d'hommes hétérosexuels.Pauline Ferrari
L'essentiel
- Faux profils, couples à la recherche d'un ménage à trois, et profils d'hommes hétérosexuels : pour les femmes à la recherche de femmes, Tinder peut s'avérer être semé d'embûches.
- Du côté de Tinder, le système mis en place permet aux utilisateurs plus de «choix» dans les profils proposés, en allant au-delà de l'orientation sexuelle.
- Mais l'algorithme de l'application privilégierait certains critères des utilisateurs ... Et pas forcément celui de l'orientation sexuelle.
Cette année, Tinder fête ses dix ans, et c’est l’occasion de constater à quel point l’application de rencontre a changé notre manière de nous rencontrer. Si les histoires de bébés Tinder sont légion, c’est un peu plus compliqué pour celles qui sortent du modèle hétérosexuel : le faible nombre de lieux de sociabilités lesbiennes (à Paris, ces bars se comptent sur les doigts d’une main) et deux ans de pandémie ont poussé nombre de femmes à aller faire un tour du côté des applications de rencontre, dont la plus connue, Tinder. D’autant qu’il existe (très) peu d’applications spécialisées pour les femmes queers. Les seules qui se détachent, comme Zoe ou Her, sont américaines, et comptent peu de membres en France.
C’est une expérience peu plaisante que vivent celles qui s’inscrivent sur Tinder : les femmes qui cherchent des femmes sur l’application de rencontre se retrouvent bien souvent à swiper des profils de couples, de femmes hétérosexuelles… mais aussi d’hommes hétérosexuels. Un bug dans la matrice pour nombre d’entre elles, mais qui se répète parfois tous les quatre ou cinq profils. En effet, dans une enquête menée par le journal Libération en juillet 2021, on apprend que « jusqu’à un profil sur quatre proposés à un profil lesbien serait en fait celui d’un homme hétérosexuel ». De quoi écarter la piste d’un simple grain de sable dans la machine.
Faux profils, couples en recherche de licorne et profils hétéros
Parmi les désagréments que peuvent rencontrer celles qui swipent à la recherche de l’amour de leur vie (ou d’une nuit), les faux profils qui cherchent à obtenir des photos dénudées, les personnes s’étant trompé dans le renseignement de leur genre ou de leur orientation sexuelle, ou plus agaçant encore, les profils de couple à la recherche d’une « licorne », c’est-à-dire une femme pour un ménage à trois. « Tinder en mode lesbienne c’est une horreur, il y a 3 tonnes de couple heteros qui cherchent une nana » témoigne une utilisatrice sur Twitter. Au-delà des couples, de nombreuses utilisatrices de l’application ont signalé être tombées sur des profils d’hommes hétérosexuels : une absurdité pour celles qui ont le sentiment que leurs préférences ne sont pas respectées par l’application.
Interrogé à ce sujet, Tinder France nous a indiqué que l’algorithme de son application fonctionnait selon un système d’arborescence : en s’inscrivant sur l’application, chaque utilisateur ou utilisatrice va choisir son identité de genre, son orientation sexuelle ainsi que la « typologie » de personnes qu’on souhaite rencontrer. À savoir « hommes », « femmes » ou « tout le monde ». De fait, les hommes hétérosexuels qui ont choisi de voir « tout le monde » vont avoir accès aux profils de femmes, peu importe leur orientation sexuelle. « Cela va confrontrer les utilisateurs à d’autrs identités de genre et d’autres orientations sexuelles, car on veut laisser le choix de rencontrer des gens que je ne pourrai pas rencontrer autrement, peu importe l’orientation sexuelle. Car on prend aussi en compte les personnes bisexuelles ou en questionnement sur leur orientation sexuelle » nous explique Tinder. Concernant l’omniprésence de profils d’hommes hétérosexuels dans les choix de profils proposés aux femmes lesbiennes, bies ou pansexuelles, Tinder assure être « conscient » de ce problème, et de travailler pour « essayer de changer l’arborescence ». « Ce n’est pas parfait mais c’est perfectible » assure l’application.
Les algorithmes privilégient certains l’âge et le sexe… Mais pas l’orientation sexuelle
Pour la sociologue et chercheuse spécialisée dans les algorithmes d’applications de rencontre Jessica Pidoux, il ne faut pas oublier que le principal but des applications de rencontres comme Tinder est que les utilisateurs « continuent à parcourir les profils pour passer le plus de temps possible sur l’application », quitte à proposer des profils qui sortent des conditions posées par les utilisatrices. Pour elle, ce système d’arborescence est loin d’être neutre, et créé une asymétrie genrée entre les préférences établies par les hommes et les femmes. « Ma préférence dépend des critères de l’autre : on se retrouve avec des préférences unidirectionnelles et des conditions, comme l’âge ou le sexe, pour être rendu visible ou non » développe-t-elle. En clair, l’algorithme a besoin d’une classification pour fonctionner, et donne un poids plus important à certains critères (l’âge ou le sexe) plutôt qu’à d’autress, comme l’orientation sexuelle. « De fait, les choix sont plus ouverts, et il y a plus de profils à voir » conclut Jessica Pidoux.
Croire que les algorithmes sont neutres, que ce sont des machines froides qui n’ont aucune incidence sur nos vies réelles est un leurre, selon Jessica Pidoux. « Tinder se voit comme un facilitateur, un intermédiaire, alors que non, l’application a une responsabilité » explique-t-elle. En priorisant certains critères, Tinder et les autres applications de rencontre encouragent ses utilisateurs et utilisatrices à rester en ligne, et possiblement à acquérir certaines options payantes. Mais surtout, Jessica Pidoux craint que l’exposition de personnes queer à des profils hétérosexuels ait pour effet de mettre en danger certaines personnes qui ne sont pas encore out auprès de leur entourage. « Tous ces paramètres ne permettent pas de sécuriser ces communautés » conclut-elle. Pour les femmes à la recherche de femmes, il va encore falloir swiper quelques profils hétérosexuels pour espérer trouver l’amour.