VIDEO. Vincent Manilève: «Mettre des vidéos sur YouTube, ce n’est pas un métier viable, les Youtubeurs professionnels sont très rares»
INTERVIEW•Dans son livre sur YouTube, Vincent Manilève explore les dessous du fonctionnement de la plateforme vidéo à travers l'expérience des YouTubeurs...Benjamin Chapon
Journaliste spécialisé dans l’étude de YouTube et des YouTubeurs, Vincent Manilève est l’auteur de YouTube, derrière les écrans. Ses artistes, ses héros, ses escrocs ( Lemieux, 240 p., 18 €), une enquête approfondie et passionnante des acteurs principaux de la plateforme.
Pour 20 Minutes, Vincent Manilève revient sur les arcanes ancore obscures de YouTube.
A la lecture de votre livre, on constate que YouTube semble rester un mystère, même pour vous…
L’algorithme de YouTube est instable et insaisissable, de même que le système de monétisation qui change de règles en permanence. YouTube est une plateforme au fonctionnement totalement opaque. S’intéresser à YouTube nécessite une veille permanente. Et même en s’y consacrant à temps plein, on rate beaucoup de choses. 400 heures de vidéos sont mis en ligne chaque minute…
Pour ce livre, vous vous êtes penchés sur les acteurs principaux de YouTube, les Youtubeurs. Est-il difficile de les contacter ?
Ils se méfient souvent des médias et considèrent, à juste titre, qu’ils n’ont pas besoin de nous. J’ai mené plus de 50 interviews. Parmi elles, j’ai eu des bonnes surprises comme Cyprien qui m’a très vite répondu à un mail envoyé sur sa boîte pro. D’autres m’ont posé des lapins, et certains sont carrément injoignables. Les attachés de presse qui s’occupent de YouTubeurs n’ont parfois même pas leur numéro de téléphone…
Pourquoi y a-t-il cette méfiance vis-à-vis des médias traditionnels ?
Il y a eu des précédents regrettables, de la condescendance et de l’incompréhension. La plupart du temps, dans les médias, on parle des YouTubeurs pour évoquer leur salaire ou des polémiques sordides. Ils ont créé leurs chaînes par rejet des formats de la télévision traditionnelle de flux. Même si certains sont avides de reconnaissance, ils ne sont pas à l’aise avec des médias qui connaissent mal leur travail.
Dans votre livre, vous parlez des stars mais aussi des escrocs…
Il y a des escroqueries plus ou moins graves, ça va du détournement de mineurs avec des arnaques ou des pièges pour soutirer de l’argent aux jeunes internautes. Mais il y a aussi toutes sortes de moyens pas très éthiques pour gratter des vues, des petites malhonnêtetés pour faire de l’argent. YouTube est un reflet de la société dans ce qu’elle a de meilleur et de plus dérangeant. N’importe qui peut faire des vidéos et donc, n’importe qui fait des vidéos sur YouTube.
Le succès de quelques stars de YouTube peut faire croire qu’il s’agit d’une carrière viable…
Je veux dénoncer ça. L’immense majorité des YouTubeurs ne vit pas de ses vidéos. La plupart abandonnent vite ou continue ça comme un hobby, avec un boulot à côté. Quelques boîtes ou marques ont essayé de monter des sortes de « YouTube Academy » mais ce genre d’initiative est très mal vu par les YouTubeurs. La plupart se sont formés seul au format grâce à des tutos trouvés sur YouTube. On devient YouTubeurs par soi-même. Mais mettre des vidéos sur YouTube, ce n’est pas un métier viable, les Youtubeurs professionnels sont très rares. Il ne faut pas espérer, ni faire espérer, pouvoir vivre de ses vidéos.
Mais y a-t-il un portrait du YouTubeur type ou un YouTubeur médian ?
Je ne pense pas. Il y a une très grande diversité de YouTubeurs même si l’algorithme YouTube la gomme souvent… Si on cherche on peut trouver tout et n’importe quoi.
Que se passerait-il si le CSA décidait d’observer YouTube ?
Ils se taperaient la tête contre les murs… Franchement je leur souhaite bon courage. Il y a des contenus formidables, passionnants mais aussi beaucoup de vidéos très problématiques avec du sexisme, du racisme, des personnes qui appellent à se faire justice soi-même… Il y a eu un récent scandale de travail dissimulé d’enfants utilisés par leurs parents pour des vidéos. Mais pour de mauvaises raisons, YouTube est souvent très lent à supprimer les contenus hors-la-loi. Il faut toujours une polémique à l’échelle mondiale pour que la plateforme accepte de supprimer une vidéo qui fait beaucoup de vues. Avant de filmer le cadavre d’un pendu au Japon, Logan Paul avait publié de nombreuses vidéos dérangeantes. Mais il a fallu ce scandale pour que YouTube cesse de le promouvoir et le sanctionne.
Les jeunes spectateurs de YouTube continueront-ils à regarder la télévision ?
De moins en moins, et certainement pas en flux à heure fixe. Il est amusant de constater que la nouvelle génération de YouTubeurs s’est lancée à fond dans une sorte de télé réalité de leur vie intime qui agace beaucoup la première génération de YouTubeurs qui voient ça d’un mauvais œil et critiquent leurs pratiques. Un peu comme eux-mêmes étaient mal vus par la télévision traditionnelle aux débuts de YouTube…