« En société » sur France 5 : « Ma hantise serait de faire des émissions de buzz faciles », estime Karim Rissouli
interview•Le journaliste présente « En société », un nouveau magazine hebdomadaire tous les dimanches à 18h40 sur France 5Propos recueillis par Clio Weickert
L'essentiel
- Dimanche, Karim Rissouli présentera le deuxième numéro de « En société » sur France 5.
- Lancé le 17 septembre, ce nouveau magazine hebdomadaire, diffusé à 18h40, met l’accent sur le reportage et l’immersion sur le terrain.
- « C’est un parti pris un peu risqué parce qu’on est toutes et tous habitués à un moment d’accélération où on est abreuvé d’informations en permanence », a estimé Karim Rissouli auprès de « 20 Minutes ».
Prendre du recul, privilégier le travail de terrain, « raconter la France et le monde à hauteur d’hommes et de femmes », voilà le nouveau pari de Karim Rissouli sur France 5. Depuis le 17 septembre, le journaliste présente une nouvelle émission intitulée « En société », diffusée tous les dimanches à 18h40, juste avant « C politique », repris par Thomas Snégaroff. Ce magazine fait la part belle aux reportages, aux grands récits, aux portraits et invite les journalistes de la rédaction à expliquer en plateau les coulisses de leur travail.
Il consacre aussi chaque semaine un long témoignage sur des sujets sociétaux, comme l’inceste, abordé lors du premier numéro avec le juge Edouard Durand, coprésident de la Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants). Un nouveau format ambitieux et un défi de taille à une époque où règne l’emballement médiatique. Karim Rissouli a répondu aux questions de « 20 Minutes ».
Comment est née cette idée de magazine ?
On s’est dit que la parole était reine dans beaucoup d’émissions, y compris dans « C ce soir », une émission de débat où on a enlevé beaucoup d’images par rapport au tout début. L’idée est de renouveler notre façon de raconter la société et l’époque, en mettant l’accent sur le reportage. Dans « C politique », on invitait des intellectuels pour décrypter la société et on essayait de faire coller des sujets et des reportages à notre invité fil rouge. Là, c’est l’inverse, ce sont les reportages, les portraits etc., qui viennent dicter le reste du plateau. Je pense vraiment que ça peut aussi coller au besoin du moment de ralentir. Il y a une forme de fatigue informationnelle qui est exprimée par beaucoup de Français. Le pari est de faire des choix forts et de réussir à s’y tenir.
Tout va désormais très vite, une info en chasse une autre. Comment choisir ses sujets ?
Ça nous force à être meilleur dans nos choix, nos anticipations. Ce que font tous les journalistes d’ailleurs, on ne révolutionne pas le métier. C’est un parti pris qui est un peu risqué parce qu’on est toutes et tous habitués à un moment d’accélération où on est abreuvé d’informations en permanence. Il faut vraiment qu’on arrive à se différencier du hard news, qui est traité par les chaînes d’informations ou les émissions quotidiennes, et à avoir de la valeur ajoutée. Si on n’en a pas, on n’a pas de raison d’être.
Votre promesse est de « raconter la France et le monde à hauteur d’hommes et de femmes ». Vous avez le sentiment que les médias sont parfois déconnectés d’eux ?
Je ne crois pas. Mais je pense qu’on cherche toutes et tous la bonne manière d’incarner la société. Avec mes équipes, nous avions le besoin de retourner voir sur le terrain ce qu’il se passe. Je ne pense pas que les médias ont tendance à ne plus faire leur métier mais c’est vrai que le reportage a tendance à être moins présent. Quand les chaînes infos sont nées, il y avait plus de reportages et moins de duplex ou de plateaux. Maintenant il y a de la parole partout, tout le temps. Le fait de retourner voir sur le terrain c’est peut-être aussi lutter contre une facilité qu’on peut aussi avoir. Car c’est plus simple de faire un plateau avec 4 ou 5 invités en réalité, on peut caler ça le matin et on va discuter ensemble de ce qui se passe dans le monde. Aller sur le terrain coûte plus cher mais c’est extrêmement important de le faire.
Est-ce une façon aussi de se détacher des débats et des polémiques qui agitent parfois la classe politique et ne reflètent pas forcément les préoccupations des Français ?
Ma hantise serait de faire des émissions de clashs et de buzz faciles. Depuis le début nous essayons de faire des émissions qui s’éloignent des polémiques. Parfois on n’y arrive pas et on se plante mais je crois fondamentalement qu’on a une responsabilité en tant que journaliste. On me donne la chance d’animer des émissions qui racontent la société et je n’ai pas envie d’en faire n’importe quoi. Je n’ai pas envie de perdre mon temps dans des polémiques stériles. Mon objectif, mon ambition, c’est qu’après avoir vu « C ce soir » ou « En société », on soit nourri par ce qu’on a vu, que ça alimente notre réflexion. C’est un luxe énorme que nous avons de faire ce métier dans ces conditions-là et j’estime qu’on a une responsabilité a minima citoyenne et aussi politique, au sens noble du terme.
Face à la prolifération des fake news, de nombreux médias consacrent de leur temps à les « débunker ». La question s’est-elle posée pour ce nouveau format ?
Ce n’est pas l’esprit de cette émission où le reportage nous guide et non la chronique. Même si on reste très attentif à ça évidemment. Après, on a décidé de faire venir les reporters en plateau, pas pour debunker mais pour raconter leur travail, être transparent. C’est un enjeu très fort quand on parle de fake news, de post-vérité, de défiance envers les journalistes. Nous devons être le plus transparent possible sur notre manière de travailler et les questions qu’on se pose.
Il y a donc une volonté de transparence, d’expliquer votre démarche ?
On est quand même l’un des deux trois métiers les plus détestés en France aujourd’hui et il faut aussi essayer de comprendre pourquoi. Je suis toujours partisan de reconnaître ses erreurs, de faire des mea culpa quand on se trompe. Et d’essayer de retisser un lien de confiance avec celles et ceux qui nous regardent. C’est fondamental dans une démocratie que la population ait confiance en ses médias. C’est tout l’enjeu du moment de ce qu’on appelle la post-vérité. Si on ne se met pas d’accord sur des faits, on ne peut pas débattre. Pour pouvoir vivre en démocratie sereinement il faut d’abord s’entendre sur des faits et nous avons besoin des journalistes aussi pour ça, pour les établir.
L’Arcom alerte régulièrement sur la représentation des femmes tout comme la diversité à la télévision. Pour votre premier numéro, vous avez invité trois femmes franco iraniennes pour revenir sur l’année qui s’est écoulée depuis la mort de Mahsa Amini. Est-ce un point sur lequel vous avez une vigilance particulière ?
La représentation de la diversité, notamment de la parité homme femme, c’est une obsession chez nous, mais on n’y arrive pas non plus. On n’est pas forcément meilleurs que les autres là-dessus, on doit faire des progrès. On doit être à 60 % d’hommes et 40 % de femmes. En faisant « C politique » avec cet invité fil rouge qui acceptait de répondre sur plein de sujets différents pendant 1h20, on s’est rendu compte que beaucoup de femmes refusaient de venir, expliquant ne pas se sentir légitimes sur tous les sujets. Là où souvent des hommes se fichent un peu de ne pas l’être et acceptent de venir. C’est assez frappant. En supprimant cet invité fil rouge et en faisant venir des gens sur des thématiques très précises, je pense qu’on va atteindre la parité. Ce sera un format qui sera sûrement plus paritaire et plus égalitaire.
Des émissions de magazine ou de reportage sont très installées sur des chaînes concurrentes à la même case horaire. Comment trouver sa place et se distinguer ?
On a un ton très différent de « 7 à 8 » sur TF1 ou de « 66 Minutes » sur M6. C’est aussi une volonté de se dire qu’il y a un public qui a envie de reportage à cette heure-là et il n’y a pas de raison qu’on n’arrive pas à les convaincre de venir nous regarder. C’est un défi mais je pense qu’on a les armes pour le relever. Nous allons aussi proposer du reportage, à notre manière, avec notre valeur ajoutée à nous. Quelqu’un qui regarde « 7 à 8 » aujourd’hui peut très bien regarder « En société » demain. Ou regarder les deux !
A l’automne, vous présenterez un nouveau format intitulé « En terre opposée ». Quel en est le principe ?
L’idée est de se dire qu’on peut être utile et qu’on peut essayer de faire reparler des France qui ne se parlent plus ou qui ne se connaissent pas. De faire aussi sortir des plateaux télé des intellectuels, des artistes engagés ou des politiques et de les emmener vivre une expérience en terre opposée. Pour la première, la militante écologiste Camille Etienne s’est rendue sur le circuit de F1 du Castelet dans le Var à la rencontre de Français qui sont amoureux de leur voiture. Le fait qu’elle accepte de venir, qu’elle passe du temps à les rencontrer et noue des relations quasi amicales avec eux – qui pensent pourtant l’inverse d’elle sur le plan idéologique –, ça crée un débat différent, avec de l’empathie. Même si à la fin on ne finit pas par réconcilier tout le monde, nous ne sommes pas non plus naïfs. En tout cas les gens s’écoutent davantage et je trouve que ce sont des expériences très frappantes.
Cette société fracturée est justement au cœur de votre nouvelle émission « En société ».
On nous parle beaucoup et c’est en partie la réalité, de société archipelisée, fracturée, abîmée… Ça fait partie des questions de société aujourd’hui mais je pense que la société est beaucoup plus riche que ça. Je ne veux pas me résoudre à ce qu’on soit juste des archipels qui ne communiquent plus. Faire société c’est quelque chose dans lequel je crois encore. Après, on a chacun notre part à apporter et à notre niveau de journaliste c’est aussi l’ambition de cette émission.
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