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Comment « A musée vous, A musée moi » donne vie aux œuvres d’art sur Arte ?

« A Musée vous, A Musée moi » : Comment cette collection d’Arte donne vie aux œuvres d’art ?

artLa quatrième saison de la série courte humoristique revisite dix nouveaux tableaux. Fouzia Kechkech, la créatrice de cette collection, nous dévoile le travail minutieux qui permet à ces toiles de s’animer pour devenir de mini-fictions
Stéphanie Raïo

Stéphanie Raïo

L'essentiel

  • Arte diffuse à compter de ce vendredi à 20h50 la quatrième saison de « A Musée vous, A Musée moi ».
  • Cette série courte humoristique revisite dix nouveaux tableaux, déclinés chacun en trois épisodes, sur un ton décalé, en mêlant anachronismes et anecdotes sur l'histoire de l'œuvre.
  • « Mon objectif n’est pas de dire aux gens : « Allez au musée ! », mais si la série vous donne envie d’y aller, c’est formidable », confie Fouzia Kechkech, la créatrice de cette collection.

Une femme vêtue de noir, austère, assise seule au milieu d’une pièce grise, regarde droit devant elle. C’est Anna Whistler, le personnage central du tableau Arrangement en gris et noir n° 1, de James Abbott McNeill Whistler, son fils, exposé au musée d’Orsay. L’image reste figée quelques secondes, quand soudain l’œuvre s’anime. Le personnage enfile son casque bleu turquoise et rouge pétaradant pour jouer en réseau aux jeux vidéo. « Salut, ça roule ? », demande-t-elle aux autres joueurs tout en manipulant sa manette de jeu. « Tiens prend ça dans la tête », lance celle que l’on considère comme la « Mona Lisa victorienne » à un concurrent qui a eu le malheur de critiquer son fiston, « le plus grand peintre réaliste ». C’est tout l’art de la série courte « A Musée nous, A Musée moi », dont la saison 4 démarre aujourd’hui à 20h50 sur Arte : nous prendre par surprise avec des saynètes à l’humour décalé afin de nous raconter une œuvre.

Anachronismes et anecdotes

Cette nouvelle salve de trente épisodes revisite dix tableaux, chacun décliné en trois histoires, qui mêlent anachronismes et anecdotes. Ainsi, quand Le Désespéré de Gustave Courbet s’anime, le peintre découvre que son tableau L’Origine du monde a été banni des réseaux sociaux. Les joueurs de carte de Paul Cézanne, eux, n’ont plus le choix : avec la loi antitabac, il va falloir arrêter de fumer la pipe. Quant à la Femme aux yeux bleus de Modigliani, elle anime une chaîne sur les réseaux sociaux et se demande si le CBD pourrait aider le peintre à se libérer de ses problèmes d’addictions. Dans chaque mini-fiction, les comédiens évoluent dans une reconstitution parfaite du tableau évoqué. Mais comment réussit-on à donner vie à une œuvre d’art ? Grâce à un travail minutieux et un souci du détail tel que chaque épisode donne l’impression de plonger dans l’œuvre, comme nous le dévoile Fouzia Kechkech, la créatrice de cette série.

Tout commence évidemment par le choix des tableaux. Elle en sélectionne une vingtaine qu’elle soumet à Arte, aux réalisateurs et aux scénaristes. N’importe quelle toile peut-elle faire l’objet d’un épisode ? « Il y a un cahier des charges, il est économique, avoue Fouzia Kechkech. Il y a des tableaux qui me plairaient comme La Cène ou encore d’autres avec beaucoup plus de personnages, mais sur une série courte, c’est assez complexe. Il y a aussi l’aspect mise en scène : il faut que tous les personnages puissent s’exprimer et ce n’est pas toujours évident. Sur « A Musée vous A Musée moi », au-delà de quatre personnages, cela devient compliqué ». Une fois les dix tableaux de la saison déterminés, elle met en place un dossier pour chaque œuvre, avec des fiches extrêmement documentées qui vont bien au-delà de l’histoire de l’art. Elle y évoque aussi bien l’histoire autour du tableau que les détournements qui en ont été faits. L’ensemble est transmis aux scénaristes. S’en suit le travail avec les directeurs de collection. « Ce qui est important pour créer une proximité avec une œuvre d’art, c’est d’avoir ce lien entre hier et aujourd’hui ». Pour Arrangement en gris et noir n° 1 de James Abbott McNeill Whistler, Fouzia Kechkech se souvient d’articles lus pendant le covid évoquant l’arrivée des jeux vidéo dans les Ehpad pour stimuler les seniors. « Ça part toujours de quelque chose de concret dans l’actualité », résume-t-elle. Pareil pour Jeune décadente. Après le bal de Ramon Casas, dont le personnage devient dans la série une influenceuse qui, pour financer la restauration de son tableau, décide lors d’un live sur les réseaux sociaux de commercialiser l’eau de son bain. Comme l’a vraiment fait une influenceuse l’an passé…

Trouver la bonne personne

Prochaine étape ? Le décor. « Généralement c’est celui qui semble le plus simple qui nous donne le plus de fil à retordre », précise-t-elle. L’équipe se met d’accord sur une patine, puis c’est du sur-mesure pour chaque tableau. D’où l’intervention d’artisans tels les sculpteurs ou les peintres. « Le Baiser de Francesco Hayez (1859) est le décor le plus impressionnant de cette saison. Les ornements ont dû être retravaillés, sculptés. C’était monumental ». Des spécialistes des effets spéciaux ont également œuvré sur l’estampe Portrait de Yatsuyama de Kitagawa Utamaro (vers 1795). « Il faut que cela soit une nécessité soit du scénario, soit de l’esthétisme du tableau. Sinon, j’aime l’idée d’avoir de vrais décors et de travailler avec des artisans passionnés, indique-t-elle. Pour cet épisode, où cette ancienne courtisane devient Otaku, fan de mondes virtuels, on a récréé une architecture et un univers comme dans un jeu vidéo. C’est une création totale en animation ».

Les costumes se doivent également d’être à l’identique du tableau. Ils sont loués, sauf exception. « Pour la tenue de la jeune fille du tableau de Hayez, la couleur du tissu n’est pas disponible en location. Les artistes sont très fantaisistes : ils créent des tenues, certaines n’ont même pas existé ou sont des mélanges de période. Donc ces costumes, on doit les fabriquer », explique Fouzia Kechkech. S’ajoute le travail d’une directrice de casting. « Il commence à partir du moment où on a écrit les textes. C’est un boulot énorme de trouver la bonne personne, qui allie le jeu, la comédie et la ressemblance. Cela peut prendre deux à trois mois. Dans la charte, on doit également prendre en compte l’échelle du tableau donc cela joue sur la taille des comédiens choisis », note-t-elle. Vient enfin le tournage. Le réalisateur doit respecter les perspectives du peintre et la profondeur de champ. « Leur terrain de jeu, c’est le cadre du tableau, ils ne doivent pas en sortir, précise la créatrice. Dès le départ, ils ont le même défi : celui de la mise en scène. C’est ce qui fait la force de la série. Par exemple, dans Les joueurs de cartes de Paul Cézanne (entre 1890 et 1895) cette saison, les personnages essayent de s’enfuir de cette œuvre. Mais on n’invente rien autour du tableau ».

Se décomplexer par rapport à l’œuvre d’art

Présente à l’antenne depuis 2018 sur Arte, « A Musée vous, A Musée moi » permet donc une approche ludique autour d’une œuvre. Est-ce que cela donne aux téléspectateurs l’envie d’aller au musée ? « Les gens m’envoient sur les réseaux sociaux des messages en ce sens, reconnaît Fouzia Kechkech. Ce qui me frappe dans les retours, c’est que les gens disent : "On ne verra plus jamais de la même façon un tableau. Maintenant quand on en voit un, on voit une histoire". Mon objectif n’est pas de dire aux gens : "Allez au musée !", mais si la série vous donne envie d’y aller, c’est formidable. Et si cette série vous permet aussi de vous décomplexer par rapport à l’œuvre d’art, si elle vous raconte une histoire qui vous ressemble, c’est formidable aussi ».