L’ENFANT ET l’écran (5/5)Les filles sont-elles encore les mal-aimées des dessins animés ?

Les filles sont-elles encore les mal-aimées des dessins animés ?

L’ENFANT ET l’écran (5/5)Depuis quelques années, la question du genre est venue se greffer à celle des représentations sociales dans la production de séries d’animation
Gilles Durand

Gilles Durand

L'essentiel

  • La production de séries d’animation pour enfants a le vent en poupe et les programmes se multiplient aussi bien à la télévision que sur les plateformes.
  • Comment s’y retrouver et faire le tri dans cette jungle de la programmation jeunesse, 20 Minutes vous donne quelques pistes.
  • Dans ce cinquième et dernier épisode, on se penche sur la question du genre et on tente de répondre à une question : et si les filles étaient toujours aussi mal représentées dans les séries animées ?

Souvent « peste à papa » ou « love interest », les filles sont-elles les mal-aimées des dessins animés ? Quelle vision de la société offre-t-on aux petits enfants à travers ces images ? Depuis quelques années, la question du genre est venue se greffer à celle des représentations sociales dans la production de séries d’animation. Pour deux spécialistes du sujet, interrogées par 20 Minutes, les réalisations françaises restent encore trop frileuses sur le sujet, par rapport à leurs homologues anglo-saxonnes.

Et le constat est particulièrement vrai pour les séries réservées aux touts petits, entre 3 et 6 ans. Dans son livre, Libérées, délivrées ? (éditons INA), paru en 2020, la sociologue des médias Mélanie Lallet assure que, plus le public est jeune, plus le discours se veut simpliste et conservateur. « Il existe un impératif de protection pour les touts petits, au point que personne ou presque n’imagine amener de la complexité dans les rapports sociaux », souligne l’auteure.

« Le poids de la société joue un rôle important dans ce conservatisme »

D’autant que la vision stéréotypée de la famille fonctionne parfaitement, comme en témoigne la série Petit ours brun, dans laquelle la maman est dévolue aux taches intérieures et dans laquelle le garçon et la fille sont très différenciés. Et la chaîne YouTube consacrée à cette célèbre famille ours vient de dépasser le million d’abonnés. « Les objectifs d’audience des chaînes télé et le poids de la société jouent un rôle important dans ce conservatisme, constate Mélanie Lallet. Les 3-6 ans sont aussi une tranche d’âge un peu méprisé par les professionnels de l’animation d’où l’absence de débat sur le sujet. »

A contrario, certaines séries anglo-saxonnes n’hésitent pas à prendre le contre-pied de cette « normalité ». En 2020, Disney Channel lançait une série Luz à Osville dans laquelle l’héroïne était ouvertement bisexuelle. Une petite révolution, surtout chez Disney. « Les pays aglo-saxons se montrent généralement plus progressistes que nous et laissent plus de liberté aux producteurs. Leurs séries montrent aussi plus facilement des personnages handicapés ou des familles monoparentales », assure Claire Lefranc, chargée de production dans le dessin animé et cofondatrice des Intervalles, une association qui lutte contre les discriminations sur l’écran.

La série australienne Bluey, par exemple, n’hésite pas à battre en brèche les stéréotypes sur la famille en mettant en scène deux petites héroïnes (chiens bergers australiens) échappant aux représentations de genre, que ce soit par leurs vêtements ou leur comportement. Et l’histoire s’amuse souvent à matraquer les clichés sur les rôles de chacun dans la famille.

Comprendre que le personnage est une fille

Ces clichés, néanmoins, alimentent encore beaucoup trop certaines séries, selon Claire Lefranc. « Les exemples les plus frappants, c’est quand maman ne sait pas conduire, porte un tablier et passe son temps à la cuisine. Alors que papa fait du bricolage et lit le journal dans son fauteuil », signale-t-elle, regrettant que « ces représentations parfois caricaturales ne soient pas une préoccupation pour les diffuseurs ». Et si on regarde de plus près bien, certains préjugés se font parfois plus discrets. « Dans quasiment toute la production française, la fille doit toujours être bien identifiée. C’est une demande des producteurs et des chaînes de télé », déplore-t-elle.

Et de fournir quelques exemples : « Dans Gigantosaurus où les héros sont des dinosaures, le personnage féminin a des couleurs roses. Idem dans Pat Patrouille, le personnage féminin est vite repéré par sa tenue rose ou violette et sa coiffure coquette. Dans Mike, une vie de chien, la femelle adopte un look qui ne ressemble plus à celui d’un chien. »

L’application des normes genrées aux animaux peut d’ailleurs aller très loin. Jusqu’à imaginer des seins à une femelle kangourou dans Tarmac Micmac, une série de 2009. « Quand une série est proposée, la chaîne de diffusion dispose d’un droit de regard sur le style graphique des personnages, explique Claire Lefranc. Pour les diffuseurs, il faut que le spectateur comprenne tout de suite que tel personnage est une fille. Or, il n’y a pas la même préoccupation sur les personnages de garçon. »

« Le nombre de personnages féminins atteint aujourd’hui 30 à 40 % »

Le changement, ce ne serait donc pas encore pour maintenant ? « Il y a eu quelques évolutions, admet Mélanie Lallet. Notamment sur le nombre de personnages féminins qui atteint aujourd’hui 30 à 40 %, mais chez les touts petits, c’est toujours le schéma un garçon, une fille, le père, la mère. Donc, il faut se méfier des statistiques uniquement quantitatives. » « Les préjugés sexistes se nichent parfois dans des détails, remarque encore Claire Lefranc. S’il y a une fille dans un groupe, que j’appelle ''la Schtroumpfette'', c’est souvent un personnage qui n’a pas de caractère particulier. C’est LA fille, qui peut parfois même devenir un simple trophée pour les garçons. »

Problématique lorsque les neurosciences nous apprennent qu’un enfant est en pleine construction de son identité à cette période. « Les diffuseurs ont une responsabilité quand ils montrent une image stéréotypée de la société, s’inquiète notre experte. En tout cas, ça n’aide pas à se faire une idée tolérante sur la représentation de genre. Un garçon peut se conformer à beaucoup de modèles différents. Il y a en a moins pour les filles. »

Le tabou de l’homosexualité

Reste alors la série française Les aventures de Lupin qui permet ainsi à son héros, un petit loup, de se transformer parfois en fille pour prendre sa place dans un récit initiatique. Ou la série des années 1960 Bonne nuit les petits et son célèbre Nounours. « Les deux enfants partagent les mêmes activités et, dans un épisode, échangent même leur vêtement pour se travestir, raconte Mélanie Lallet. A l’époque, ça ne posait aucun problème. » La série en 16 épisodes Chouette, pas chouette, conçue par le centre pour l’éducation aux médias et à l’information (Clemi) vise même carrément à déconstruire les stéréotypes sexistes en utilisant l’humour.

Cette initiative du ministère de l’Education nationale n’éloigne pas les crispations qui ont pu naître dans les années 2010 autour de la théorie du genre avec, en toile de fond, le tabou de l’homosexualité. « Il faut attendre que des brèches s’ouvrent aux Etats-Unis. Si ça marche, les diffuseurs français suivront », constate Mélanie Lallet. Et d’évoquer un épisode de Miraculous Lady bug qui fait un carton sur TF1 chez un cœur de cible un peu plus âgé que les 3-6 ans : « un personnage y fait son coming out et ça n’a pas fait autant de foin que la série Ridley Jones sur Netflix dans laquelle un bison se présentait comme non binaire. »

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La société évolue. Et l’identification à un personnage imaginaire ne présage en rien l’avenir d’un enfant. « Je m’imaginais être Batman quand j’étais petite car je n’avais que peu de modèles féminins », avoue Claire Lefranc. Et le héros d’enfance de Mélanie Lallet c’était Petit ours brun : « Ça ne m’a pas empêché de devenir sociologue et féministe. »