La téléréalité a 20 ans : « Les Marseillais » ont-ils encore quelque chose à voir avec « Loft Story » ?
GENERATION LOANA•En vingt ans, la téléréalité a connu plusieurs bouleversements et divers ajustements. Mais que reste-t-il de « Loft Story » dans les programmes de 2021 ?Clément Rodriguez
L'essentiel
- A l’occasion des 20 ans de la téléréalité, 20 Minutes propose une série d’articles sur ce phénomène qui a bouleversé le petit écran.
- Dans Loft Story, on mettait une quinzaine de jeunes dans une maison. Dans Les Marseillais, on place une quinzaine de jeunes dans une maison. Mais est-ce le seul point commun entre les deux générations ?
- « La façon de construire le personnage ne change pas radicalement. Ce qui change, c’est le degré de conscience qu'a le candidat », souligne la sociologue Nathalie Nadaud-Albertini.
«Le triomphe du voyeurisme », « une tyrannie de l’insignifiance », « une machine à dénudation psychique ». Lorsque Loft Story débarquait fraîchement sur nos écrans il y a vingt ans, la presse n’avait pas tardé à sortir l’artillerie lourde pour dézinguer le programme. Deux décennies plus tard, le genre est encore loin de faire l’unanimité mais il s’est installé durablement dans le PAF. Dans un récent rapport, le CSA estimait que la téléréalité dite de « vie collective » représentait 2.057 heures de programme par an, un « volume presque trois fois supérieur à ce qu’il était en 2010 ».
Il faut dire que le genre a bien évolué. Les candidates et candidats ne sont désormais plus enfermés et surveillés 24 heures/24 par l’œil de dizaines de caméras fixées aux murs d’une maison éphémère. Aujourd’hui, les protagonistes évoluent dans un environnement plus naturel et enchaînent les jobs ou les missions dans le but de susciter un semblant de challenge.
Les Anges de la téléréalité, lancée en janvier 2011 sur NRJ12, est l’émission qui a (presque) tout changé. En réunissant divers participants et participantes à d’anciens programmes dans une seule et même villa, le genre a pris une autre dimension et a commencé à écrire une nouvelle page de son histoire. « Ça a transformé différents récits qui avaient lieu dans différentes émissions en un récit plus important qui est celui de la téléréalité », note Nathalie Nadaud-Albertini, sociologue des médias.
Vendredi. 23 heures, en attente du prime de « Secret Story »
Au fil des années, les émissions ont tout de même perdu l’aspect événementiel qui créait leur force. Souvenez-vous de ces longues soirées passées à lutter pour ne pas s’endormir sur notre canapé avant de connaître le nom de celui ou celle qui allait quitter Secret Story… Il fallait parfois attendre jusqu’à 1 heure du matin !
Chaque semaine, les programmes dits « d’enfermement » faisaient le bilan des derniers jours écoulés et rivalisaient d’imagination pour relancer l’intérêt du public. Une mécanique que l’on ne retrouve plus aujourd’hui, la faute au changement des modes de consommation de la télévision. « On n’a plus tellement l’habitude de cette télévision en direct, d’un moment où il faut être devant le téléviseur, remarque Nathalie Nadaud-Albertini. Avant, on adaptait sa temporalité à celle de la télévision. Maintenant, on adapte la temporalité de la télévision à la sienne. » De quoi faire perdre à la téléréalité un aspect marquant de son récit.
« Bonjour, je m’appelle Jonathan et je souhaiterais incarner le beau gosse musclé »
Toutefois, malgré le manque de primes événementiels, la téléréalité n’a pas perdu ses fondamentaux au cours des décennies. Dans le dossier de presse de Loft Story, édité en 2001, M6 et ASP Productions définissaient alors leur OVNI comme « une fiction réelle interactive ». Avec autant de termes contradictoires, il y avait de quoi s’y perdre. Globalement, cela consistait en fait à caster des personnes qui semblaient correspondre à certains profils, les mettre dans plusieurs situations avec un ensemble de possibilités, les regarder interagir puis extraire les éléments les plus pertinents pour créer une histoire. Une machine à élaborer des scénarios tout aussi efficace en 2001 qu’en 2021.
Tout cela est notamment possible grâce à ce que Nathalie Nadaud-Albertini appelle un « personnage-personne », à savoir « un personnage qui se crée sur les actes et les paroles d’une personne dans une situation donnée. » Alors qu’un acteur de fiction va chercher à viser le vraisemblable dans sa performance, les candidats et candidates de téléréalité peuvent offrir quelque chose de plus authentique et de crédible au public.
Mais ça, c’était avant… Depuis plusieurs années, celles et ceux qui passent un casting pour intégrer une émission de téléréalité le savent : il faut déjà incarner un personnage pour se faire remarquer. « La façon de construire le personnage ne change pas radicalement. Ce qui change, c’est le degré de conscience qu’a le candidat, résume la sociologue des médias. Ce sont des gens capables d’improviser des scènes, notamment quand on leur dit qu’il ne se passe rien. Ils savent que l’idée, c’est de mettre en scène un conflit parce que ça leur permettra d’avoir du temps d’antenne, d’être plus visible à l’extérieur et d’ensuite capitaliser sur leur notoriété. »
De la réalité à la télé ?
Lorsque vous êtes face à une émission de téléréalité, vous le reconnaissez immédiatement. D’abord sur la forme avec l’usage des couleurs vives ou des chansons qu’on a plus tendance à écouter dans des challenges TikTok. Mais aussi sur le fond avec ses candidats et candidates qui se clashent environ trois fois par épisode. Mais, fort heureusement, chacune des histoires ne ressemble à aucune autre puisque avant d’incarner des personnages, les protagonistes jouent leur propre partition.
« Quand vous mettez des personnes ensemble, il se passe aussi des choses qui ne sont pas forcément jouées. Ce sont des vraies gens donc il reste quelque chose d’authentique. Il y a toujours quelque chose que l’on n’arrive pas à jouer », nuance Nathalie Nadaud-Albertini. Et si l’on peut d’ailleurs résumer le concept entier de la téléréalité par « des histoires d’amour, d’amitié, d’inimitiés et de famille », ce dernier critère prend davantage d’envergure année après année et saison après saison.
Certains des « Marseillais », qui ont fait leurs premiers pas dans la téléréalité en tant que vingtenaires à la recherche de l’amour, sont aujourd’hui parents. Un nouveau rôle qui ne les empêche pas d’évoluer devant les caméras, bien au contraire. En 2018, Manon et Julien Tanti laissaient 6play raconter la naissance de leur premier enfant dans Manon + Julien = Bébé Fraté. Rebelote deux ans plus tard pour le petit deuxième avec Manon + Julien = Bébé Angélina (on ne peut pas leur reprocher leur manque d’originalité). Du côté de TFX, on laisse les mères de famille raconter leur quotidien dans Mamans et célèbres depuis maintenant quatre saisons. De quoi prouver que la réalité a plus que jamais toute sa place à la télé.