Publicité : Interdire les spots sur les produits nocifs, est-ce possible ? Et efficace ?
TELEVISION•Barbara Pompili préparerait un texte de loi visant à encadrer, voire interdire, la publicité télévisée pour des produits nocifs pour l’environnement et la santé. Mais est-ce vraiment crédible et efficace ?Jean-Loup Delmas
L'essentiel
- Selon Le Journal du Dimanche, Barbara Pompili souhaiterait encadrer, voire interdire, les spots publicités à la télévision pour les produits nocifs pour la santé ou l’environnement.
- Dans ce texte figurerait entre autres les fast-foods, le Nutella, les voitures à moteur thermique trop polluant…
- Un tel projet est-il réalisable ? Efficace ? Et quels problèmes soulève-t-il ?
Dans quelques mois, verrons-nous encore des spots publicitaires télévisuels avec des enfants tout heureux de tartiner du Nutella sur du pain ou le slogan « Venez comme vous êtes » de McDonald’s ? Ces publicités, parmi d’autres, pourraient bien disparaître selon nos collègues du JDD. La ministre de l’écologie Barbara Pompili a mis à l’étude un texte de loi visant à encadrer, voire interdire, les publicités pour les produits jugés nuisibles pour l’environnement ou la santé. En ligne de mire donc, la malbouffe, les fast-foods, les voitures à moteur thermique particulièrement polluant et donc la plus célèbre des pâtes à tartiner.
S’il venait à aboutir, l’impact d’un tel projet sur notre consommation ne fait pas l’ombre d’un doute pour Marcel Botton, fondateur et directeur général délégué de l’agence Nomen publicité marketing : « C’est une évidence, sinon on ne s’embêterait pas à faire de la publicité. La publicité fonctionne, on ne sait pas toujours comment ni pourquoi mais elle fonctionne. Quand on interdit à un produit sa publicité, au début ses ventes peuvent augmenter par buzz, mais à terme, la baisse se fait sentir, on l’a vu notamment pour le tabac. »
Efficacité certes, mais où est l’objectivité ?
Marie-Eve Laporte, maîtresse de conférences en consommation alimentaire à l’IAE Paris-Sorbonne, indique que de nombreuses études ont démontré l’influence de la publicité sur la consommation de nourriture, et particulièrement sur ce que les Anglo-Saxons nomment les HFSS, High Fat, Salt, Sugar : les produits trop gras, trop salés ou trop sucrés.
C’est sur sa viabilité plus que sur son efficacité que le projet de loi de Barbara Pompili laisse sceptique. « On ne peut pas interdire arbitrairement une marque, il faut des critères objectifs », tempère Marcel Botton, bien amusé à la lecture dans le JDD d’une interdiction du Nutella ou des fast-foods : « Un fast-food, c’est quoi ? Est-ce que nos sandwichs jambon beurre à la française comptent comme des fast-foods ? Sinon, quelle est la différence ? Qu’est ce qui dans le fast-food est nocif ? »
La simplicité de l’interdiction du tabac
Certes, on a pu interdire les publicités pour le tabac, « mais la donne était simple et claire : on interdisait absolument tous les produits à base de tabac, point. » Pour interdire uniquement le Nutella par exemple et sauver les autres pâtes à tartiner, il faudrait définir ce qu’on empêche dans le Nutella : « L’huile de palme ? Mais d’autres produits en ont. Le taux de sucre ? Il est loin d’être le seul. » Marcel Botton rappelle d’ailleurs que Ségolène Royal, ministre de l’Ecologie en 2015, avait déjà voulu s’attaquer à la pâte à tartiner. Elle rebroussera chemin… deux jours après sa déclaration, faute d’avoir trouvé des arguments concrets pour pourfendre cette marque, et uniquement la marque. Quant à l’idée brutale de supprimer toutes les publicités de pâtes à tartiner, « il faut encore justifier sur quelle base on interdit la publicité de ce produit », rappelle-t-il.
Autre limite du raisonnement : les conséquences pour l’industrie, déjà observées, par exemple, avec les marchés de l’alcool et du vin français. « Ce serait probablement la même chose pour l’automobile française par exemple, ou certaines marques de nourriture », prophétise Bénédicte Laurent, fondatrice de Namae Concept et spécialiste des noms et de l’identité des marques.
La crainte d’un marché sans nouvelle concurrence
L’interdiction, si elle advient, ne concernerait que la télévision. Les publicités pourraient donc continuer à prospérer sur les autres espaces, notamment numériques. Loin d’être une bonne nouvelle pour Marie-Eve Laporte : « Toutes les études montrent que les publicités numériques ont encore plus d’impact, notamment sur les enfants. Les consommateurs, surtout très jeunes, passent plus de temps sur les écrans numériques et il y a une attention plus forte. »
Enfin, dans l’hypothèse « fantaisiste » où toutes les publicités de pâtes à tartiner sont interdites par exemple, Marcel Botton l’annonce : Nutella régnerait en maître sur le marché. « Une pâte à tartiner plus bio, plus écoresponsable, moins nocive pour la santé ne pourrait pas émerger, faute de promotions. Le consommateur s’en tiendrait à ce qu’il connaît », annonce-t-il. Une fois de plus, le précédent du tabac montre l’exemple : ce sont les marques déjà installées au temps de la publicité qui cartonnent encore, et aucune nouvelle n’a réellement percé.
L’illusion du libre arbitre
Encore à l’état de projet, la mesure a déjà fait de nombreux mécontents et commentaires énervés. Pourquoi une telle véhémence ? Bénédicte Laurent pointe le contexte un peu particulier de cette année 2020 : « Avec la question de l’obligation du masque et du confinement, on a déjà l’impression d’un Etat hyperintrusif qui sait mieux que nous ce qu’on doit ne pas faire pour notre bien. Disons que la décision de s’attaquer à la publicité tombe dans un mauvais timing. »
Les consommateurs ont aussi tendance à se croire moins réceptifs aux spots TV qu’ils ne le sont vraiment. Pour Marcel Botton, « il y a une certaine coquetterie à penser qu’on a un libre arbitre, mais la publicité nous influence beaucoup, a fortiori parce qu’on sous-estime ses effets ».
Un bien pour un bien
Le projet semble ainsi pertinent pour son efficacité sur le consommateur, mais peut-être encore plus parce qu’il pourrait engager un changement de pratiques dans l’agroalimentaire. « L’interdiction de la publicité pour les produits nocifs risque moins d’oppresser le consommateur que de forcer les marques à accélérer leur mutation vers des produits plus sains, afin de pouvoir continuer à s’exposer à la télévision. Les marques doivent s’adapter pour survivre, comme l’être humain », s’enthousiasme Bénédicte Laurent.
Marie-Eve Laporte conclut : « L’intervention de l’Etat au sujet des produits nocifs est une bonne chose. L’interdiction des publicités ne serait qu’une nouvelle étape, après le nutriscore ou les spots sur les cinq fruits et légumes par jour. On élit les députés pour qu’ils nous aident dans les problèmes du quotidien, aujourd’hui l’environnement et la malbouffe sont deux énormes problèmes de nos sociétés. »