« Une saison au zoo », « Zone Interdite », immersion dans les coulisses des reportages au long cours
TELEVISION•Ils ont pour titre « Un an avec » ou encore « Une saison à » et suivent des quidams pendant plusieurs mois. Comment se fabriquent ces reportages au long cours, toujours aussi nombreux à la télé ?Clément Rodriguez
L'essentiel
- Zone Interdite sur M6, Grands Reportages sur TF1, Une saison au zoo sur France 4, on ne compte plus les reportages au long cours qui s’immiscent dans différents univers « pendant un an ».
- En réalité, les tournages ne durent pas aussi longtemps, mais les journalistes s’appuient sur un lien de confiance avec leurs témoins pour se rendre sur place au bon moment.
- La présence des caméras peut éventuellement devenir un problème pour les personnages des reportages, mais les compromis permettent d’éviter tous les soucis.
Elles sont régulièrement diffusées à la télévision, à n’importe quelle heure de la journée, et sur pléthore de chaînes. Les émissions de reportages qui suivent le périple d’une famille autour du monde, racontent la vie d’un parc d’attractions ou s’immiscent dans une brigade de police, le tout pendant une année entière, sont légion sur le petit écran. Si ces programmes plongent dans les coulisses d’un lieu, les téléspectateurs ne sont pas toujours au fait des coulisses de ce type de programme. On a demandé aux producteurs et rédacteurs en chef de Zone Interdite, Une saison au zoo, et Grands Reportages de nous dévoiler les secrets de leurs émissions.
Une année de 40 jours
Mettons tout de suite les choses au clair. Non, quand les titres des reportages indiquent « Un an avec… », les journalistes ne restent pas 365 jours sur place. En réalité, les équipes techniques et éditoriales suivent les moments importants pendant quelques jours seulement, étalés sur l’année. Pour schématiser, « on peut dire que 20 à 25 jours de tournage sont nécessaires pour un reportage de 60 minutes, et 35 à 40 jours pour un 90 minutes », explique Amandine Chambelland, directrice adjointe de la rédaction de la société de production Capa, qui a récemment suivi trois familles nombreuses « pendant un an » pour Reportages Découverte sur TF1. Pour un reportage qui dépeint la vie d’une famille entre deux rentrées scolaires, les journalistes se rendront sur place lors de grands événements, comme l’arrivée d’un huitième enfant, la préparation de Noël, le retour d’un papa militaire absent pendant six mois ou encore le déménagement d’une famille.
Les délais sont les mêmes pour Zone Interdite, qui propose le 6 octobre prochain un reportage en immersion au sein de la brigade des mineurs. « Le tournage s’est déroulé sur huit ou neuf mois, et pendant cette période, ce n’est pas une présence permanente sur le terrain, mais quelques jours à plusieurs moments donnés », explique Jean-Marie Tricaud, producteur exécutif du programme. Avant que l’équipe n’arrive, un gros travail de préparation s’effectue en amont. La réalisatrice prend contact avec les services de police, fait leur rencontre individuellement, sans matériel, avant de pouvoir tourner. Si les caméras ne sont donc pas allumées pendant 365 jours, il s’écoule tout de même près d’un an entre le premier contact et la livraison du sujet.
Pour Une saison au zoo, l’un des programmes phares de France 4, les équipes se rendent en deux temps au zoo de La Flèche, dans la Sarthe, de mi-juin à mi-juillet, et de mi-août jusqu’à fin septembre. Cette période de pause entre le 15 juillet et le 15 août permet au personnel du zoo de ne pas être débordé par le tournage, alors que le parc fait face à un pic d’affluence. « L’hiver, il y a moins de visiteurs, il n’y a pas de spectacles, les animaux sont plus au repos », justifie Anthony Pichonneau, chef animalier. Au contraire de Reportages Découverte ou Zone Interdite, les équipes s’installent du lundi au vendredi au zoo.
« Il faut que les gens se sentent en confiance »
Etablir une relation durable est essentiel pour mettre à l’aise les personnes sur lesquelles on va braquer des caméras plusieurs jours durant. Pour cela, un seul mot d’ordre : la confiance. « Il faut passer du temps avec les témoins, c’est comme ça qu’on arrive à instaurer la confiance, indique Jean-Marie Tricaud pour Zone Interdite. Il faut que les gens se sentent à l’aise pour être authentiques devant la caméra. » Passer du temps avec les principaux intéressés en dehors des tournages est donc le seul moyen d’obtenir un documentaire naturel.
Le son de cloche est similaire du côté des reportages qui suivent les périples de différentes familles. La difficulté pour les réalisateurs est de continuellement garder contact avec les personnages du programme pour ne pas rater les moments les plus importants de leur vie. Étant loin d’eux, ce sont les familles elles-mêmes qui préviennent les journalistes lorsqu’un événement se prépare. « Pour la naissance du bébé par exemple, les journalistes et la famille ont eu une super entente, et quand la maman a senti que ça commençait à arriver, elle nous a appelés la veille, raconte Amandine Chambelland. On a dégainé une équipe, on est repartis les retrouver, et elle a accouché le lendemain. »
Chaque jour de la semaine, deux journalistes, deux cadreurs et deux ingénieurs du son filment les animaux et leurs soigneurs au zoo de La Flèche. Le lien affectif est encore plus fort pour eux puisque ce sont les mêmes journalistes qui s’y rendent depuis cinq ans. Une fidélité qui facilite les rapports humains, mais pas que. « On a affaire aux mêmes personnes et on n’a pas besoin de réexpliquer les règles de sécurité, le comportement à avoir face aux animaux, etc. Sans ça, ça ne fonctionnerait pas », assure le chef animalier Anthony Pichonneau.
Être dans l’action sans être trop présent
À force de suivre les mêmes personnes pendant plusieurs mois, n’y a-t-il pas un risque de trop s’immiscer dans leur vie, quitte à ce que cela soit contre-productif ? « Souvent, les unités de police n’aiment pas qu’on s’installe pendant un mois sans interruption. Il faut les laisser respirer, leur permettre de continuer à faire leur travail normalement, explique Jean-Marie Tricaud. Il faut à la fois qu’on soit proches, dans une certaine intimité, mais il ne faut pas qu’on soit envahissants, qu’on pèse sur la réalité du service. »
Dans le cas des reportages qui suivent le quotidien des familles, les risques sont mesurés avant même que les journalistes ne commencent les tournages. « Ça peut être un motif de refus au départ, ça peut les effrayer un peu, indique Amandine Chambelland. Les tournages peuvent tirer en longueur, mais nous n’avons pas une présence physique constante », précise-t-elle.
Du côté du zoo de La Flèche, c’est surtout pour les animaux que les tournages peuvent devenir pénibles. « On arrête de tourner quand on doit laisser l’animal tranquille. Ça peut arriver dans des cas un peu stressants pour l’animal, on demande aux équipes de prendre du recul, c’est un compromis », déclare Anthony Pichonneau. Lorsque des bêtes se sentent trop oppressées et gênées par les caméras, les équipes arrêtent de filmer. « Ça fait partie de la vie du zoo de dire qu’un animal n’a pas forcément envie que quinze personnes soient autour de lui », ajoute Wilfrid Garcette, le producteur de l’émission. Garder de la distance pour capturer les moments importants d’une vie, voilà la recette (qui marche) des reportages au long cours.