«Crazy Ex-Girlfriend», la série qui nous parle avec humour et intelligence de santé mentale
SANTE MENTALE•Cette série, qui subvertit intelligemment les clichés, se terminera dans quelques semaines...Anaïs Bordages
Ne vous fiez pas à son titre : Crazy Ex-Girlfriend, diffusée sur Netflix et Téva en France, est une série bien plus intelligente et subtile qu’elle n’en a l’air. En quatre saisons seulement, cette série réussit à dresser un portrait inédit et complexe de la vie avec un trouble mental. Et montre qu’il y a une réalité beaucoup plus nuancée (c’est littéralement une des paroles du générique de la saison 1) derrière le stéréotype de « l’ex tarée ». L’histoire se focalise sur Rebecca Bunch (Rachel Bloom, également créatrice de la série), avocate new yorkaise qui semble dépressive malgré une vie professionnelle accomplie. Dans le pilote, elle décide sur un coup de tête de partir s’installer dans la petite ville de Californie où vit son amour de jeunesse Josh Chan… dans l’objectif de le reconquérir. Et derrière le prétexte initial d’une histoire d’amour, Crazy Ex-Girlfriend tacle en fait de nombreux préjugés sur la santé mentale et le sexisme.
Pour raconter son histoire, Crazy Ex Girlfriend emprunte au registre souvent méprisé des comédies romantiques et musicales, tout en déconstruisant les clichés du genre. Oui, car il s’agit d’une « série musicale » : chaque épisode contient au moins une ou deux chansons brillantes, à travers lesquelles les créatrices de la série commentent plusieurs aspects de la nature humaine ou de la pop culture. Lorsqu’elle touchera à sa fin dans quelques semaines, la série aura produit 157 chansons. Et si certaines sont tout simplement absurdes et hilarantes (sur les seins lourds, les hommes, ou le désespoir d’un homme qui découvre qu’il n’a jamais fait jouir sa femme), les plus marquantes sont celles qui nous plongent dans les divers états émotionnels, souvent turbulents, de Rebecca. Comme You Stupid Bitch, chanson aussi drôle que cruelle sur la haine de soi, ou la reprise de Face Your Fears, qui résume en quelques secondes toute la trajectoire de Rebecca dans la série.
Un portrait révolutionnaire de la santé mentale
Mais la chanson la plus importante de la série est sans doute A Diagnosis (« Un diagnostic »). Après deux saisons d’obsession et de déni, au cours desquelles la santé mentale de Rebecca n’est jamais abordée frontalement, l’héroïne confronte enfin l’étendue de ses problèmes dans une saison 3 plus sombre que les précédentes. Après avoir touché le fond, Rebecca apprend qu’elle a été mal diagnostiquée toute sa vie, et découvre enfin quelle est sa maladie. Cette révélation donne lieu à une chanson positive et pleine d’espoir sur le soulagement de l’héroïne, qui va enfin savoir ce qui ne va pas chez elle. Mais même si ce moment très touchant marque un tournant dans la série (alors que tous les épisodes précédents contenaient le nom de Josh, celui-ci s’intitule « Josh est hors sujet »), cela ne veut pas dire que le problème est réglé.
aCar les créatrices de la série, Rachel Bloom et Aline Brosh Mckenna, sont déterminées à offrir une représentation réaliste et responsable de la santé mentale. (Rachel Bloom ne partage pas le même diagnostic que son héroïne, mais elle a déjà parlé très ouvertement de ses propres problèmes de santé mentale.) Pour être sûres d’avoir le bon diagnostic pour Rebecca, elles ont donc consulté une équipe de médecins et leur ont demandé de diagnostiquer le personnage. Et comme le problème de l’héroïne n’est pas quelque chose qui se règle en trois jours, et la série s’attache à montrer les étapes parfois lentes et frustrantes de son rétablissement : Rebecca continue d’avoir des comportements obsessionnels et de commettre des erreurs, trébuche puis se relève… Bref, son parcours ressemble plus à la vraie vie qu’à une intrigue linéaire de série télé. (Une des meilleures chansons de toute la série est d’ailleurs une réflexion très méta sur le fait que la vraie vie n’a jamais la cohérence et l’efficacité d’une intrigue de fiction.)
Et c’est cette attention au détail qui fait de Crazy Ex Girlfriend une série exceptionnelle. La représentation de la santé mentale à la télévision peut être un sujet épineux : 13 Reasons Why en a récemment fait l'expérience. Comme cette dernière, Crazy Ex Girlfriend aborde aussi la question du suicide, mais en faisant tout son possible pour ne pas glorifier le problème. Et c’est pourquoi les fans ont toujours encensé la série pour sa représentation très juste de la santé mentale et ont, pour certains, dit s’être reconnus dans les épreuves que vit Rebecca.
Une série féministe et inclusive qui subvertit les clichés
Mais il serait réducteur de ne ramener la série qu’à la question de la santé mentale, car elle aborde aussi un tas d’autres sujets avec la même intelligence, comme la sexualité, le judaïsme, la masculinité toxique, la maternité et une multitude de comportements terriblement humains et gênants que nous avons tous connus. La série est aussi discrètement révolutionnaire dans sa représentation de la sexualité : plusieurs personnages sont gays ou bisexuels, et l’excellente chanson Getting Bi déconstruit tous les clichés sur la bisexualité à travers le coming out de Darryl, le patron de Rebecca.
Crazy Ex Girlfriend aborde aussi de manière franche des sujets plutôt tabous à la télé américaine, comme l’avortement ou le sexe pendant les règles (la chanson Period Sex n’a d’ailleurs jamais été diffusée en entier dans la série, car la chaîne The CW l'estimait trop « sale »). En quatre ans, cette série incroyablement inventive aura donc parodié une multitude de genres musicaux et créé des monuments d' absurdité, mais surtout, nous aura offert un des portraits féminins les plus complexes du petit écran.