Patrice Leconte: «Ce que je fais, c'est de l'anti "Strip-Tease". J'ai horreur de cette émission.»
INTERVIEW•Le réalisateur s’est penché sur le destin de petits commerces en voie d’extinction pour une série documentaire sur France 3, « Boutiques obscures »…Benjamin Chapon
Le plus vieux coiffeur de France, un restaurant aux dix couverts, un magasin de farces et attrapes… Boutiques obscures, la série documentaire de Patrice Leconte explore les trésors insoupçonnés de petites villes. Le réalisateur a rencontré ces commerçants d’un autre temps pour seize haltes, comme autant de portraits, diffusées sur France 3, à partir de lundi soir, à une heure indue (après le Soir 3), qui chagrine Patrice Leconte. « Je ne suis pas en colère mais je trouve que c’est un manque de respect pour le travail fourni. »
Pour les besoins de ce documentaire, Patrice Leconte a sillonné la France, accepté de réaliser un portrait par région pour coller au cahier des charges de France 3, et s’est terriblement attaché à ses personnages qui, pour une fois, sont aussi de vraies personnes.
Vous êtes devenus un expert des trajets en France avec ce documentaire…
On a avalé pas mal de kilomètres mais on n’a pas tourné non plus comme des représentants de commerce. On a fait plusieurs voyages, avec des allers-retours à Paris, dès qu’on avait des pistes pour trois ou quatre portraits. C’est pour ça que ça a pris du temps.
Comment avez-vous trouvé ces magasins uniques en leur genre ?
Il y a eu beaucoup de bouche-à-oreille. On a fait savoir autour de nous ce qu’on recherchait. Et ça a pris du temps, bien sûr. Dès qu’on avait une touche, on enquêtait un peu avant d’aller tourner. Moi j’arrivais la veille du tournage pour rencontrer les gens sans la caméra. Il a fallu faire comme ça, de manière artisanale parce que les mairies et les officiels ne comprenaient pas ce qu’on cherchait, ils nous envoyaient chez le maréchal-ferrant du coin…
Quel était le dispositif technique de tournage ?
On avait une équipe de tournage ultralégère, à quatre. Il y avait un ingé son, un chef opérateur, un assistant et moi. Quand on arrivait, ça ne faisait pas trop débarquement. On a travaillé dans des espaces confinés. Et ces gens procèdent par accumulations insensées. Mais on a toujours été très bien accueillis. C’est un petit miracle mais il n’y a jamais eu de méfiance ou de distance.
Rencontrer ces gens vous a-t-il donné des idées de personnages pour vos prochains films ?
Peut-être, je ne sais pas encore. Mais ils avaient tous du caractère, de la personnalité. Gladys et son magasin de lingerie à Cavaillon semblent tout droit sortis d’un dessin de Sempé… J’adore rencontrer des gens. Vraiment. Et je voulais garder une trace de leur histoire, et quelque chose de tangible, d’émouvant et drôle aussi, si possible, de ces commerces qui vont bientôt mettre la clé sous le paillasson.
Pourtant, votre film n’est pas triste…
Il y a un désenchantement chez eux mais pas d’amertume. Ils sont satisfaits d’avoir tenu bon, de ne pas avoir baissé la garde. Mais ils m’ont tous répondu à titre individuel, ils ne forment pas un club.
Ces portraits d’une France oubliée collent parfaitement avec la ligne éditoriale de France 3. C’est la chaîne qui est venue vous chercher ?
Pas du tout. Ce n’est pas du tout une commande. J’ai proposé ça parce que ça me touchait. C’est sentimental et forcément nostalgique, mais pas du tout militant. Je n’essaye pas de dire que c’était mieux avant ou que c’est une honte que ces commerces disparaissent. Ce n’est pas mon propos.
Avez-vous un propos ou une approche naturaliste de votre sujet ?
Je me mets en scène, même si je n’étais pas très à l’aise avec ça. Je n’ai pas du tout la mentalité d’un journaliste, je leur pose des questions de client, de voisin, de mec qui passe. Je voulais faire le contraire de Strip-tease qui est une émission que je déteste. Je voulais faire l’anti-Strip-tease, être attentif à ces gens attendrissants, être bienveillant. Strip-tease faisait le portrait de petites gens avec un ton supérieur. Moi, ces gens, je les aborde d’égal à égal, je ne suis pas la reine d’Angleterre. Si je devais avoir un modèle, ce serait plutôt Agnès Varda. Il faut une démarche personnelle, intime, pour que ça fonctionne.
Est-ce que cette expérience vous a donné envie de refaire un documentaire bientôt ?
Je ne pense pas. Je m’étais déjà frotté au réel comme ça pour un film au Cambodge, ça fait toujours un drôle d’effet pour un cinéaste d’être à la merci du réel. C’est vivifiant.