TELEVISION«Un si grand soleil», «PBLV»...Comment la France succombe aux soap operas

«Un si grand soleil», «PBLV», «DNA»... Comment la France a fini par succomber aux soap operas

TELEVISIONSi, chez nos voisins anglais ou belges, les soaps operas locaux sont installés depuis longtemps, la France a longtemps boudé les feuilletons quotidiens français. Explications...
Bertrand Farge, Gabrielle Lazure, Gary Guenaire et Melanie Maudran incarnent les membres de la famille Estrela dans Un si grand soleil.
Bertrand Farge, Gabrielle Lazure, Gary Guenaire et Melanie Maudran incarnent les membres de la famille Estrela dans Un si grand soleil. -  Philippe Leroux - Studio FTV
Fabien Randanne, avec C.B.

Fabien Randanne, avec C.B.

L'essentiel

  • Dès ce lundi, France 2 diffusera tous les soirs de la semaine un soap opera français, « Un si grand soleil », à 20h40.
  • Cette fiction vient compléter l’offre de feuilletons quotidiens français au côté de « Plus belle la vie » et « Demain nous appartient », au programme respectivement sur France 3 et TF1.
  • Il a fallu attendre 2004 pour qu’un soap opera français, en l’occurrence « Plus belle la vie », trouve son public en France.
  • Si de telles fictions ont mis tant de temps à entrer dans les mœurs c’est car « notre télévision est une télévision de réalisateurs et non de scénaristes », souligne l’historienne spécialiste des séries Marjolaine Boutet, auteure de « Un village français - Une histoire de l’Occupation » (La Martinière).

Demain nous appartient à 19h 20 sur TF1. Plus belle la vie à 20 h 20 sur France 3. Et désormais Un si grand soleil à 20 h 40 sur France 2. A partir de ce lundi, les téléspectateurs pourront enchaîner les feuilletons français en début de soirée. Un programme qui aurait semblé inimaginable il y a encore quelques mois. Car, si les Anglais se passionnent pour Coronation Street tous les jours depuis 1960, tandis que les Néerlandais vibrent avec Goede tijden, slechte tijden depuis vingt-huit ans et les Belges avec Thuis depuis 1995, les Français, eux, ont tardé à laisser les soap operas s’inviter dans leur quotidien.

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« Dans les années 1960, un quart d’heure avant le JT, il y avait bien des feuilletons, mais ils se limitaient à une douzaine épisodes pour la plupart. Janique Aimée a eu 52 épisodes et Le Temps des copains une centaine, mais se sont des exceptions. », note Marjolaine Boutet, historienne et auteure des Séries télé pour les nuls (Ed. First). Et d’expliquer que, si les chaînes hexagonales ont mis autant de temps pour trouver une place dans leurs grilles pour des feuilletons au long cours made in France, c’est « parce que notre télévision est une télévision de réalisateurs et non de scénaristes. Quand le réalisateur est le maître d’œuvre, cela implique des fictions courtes car il ne va pas s’engager sur de trop longues périodes. On a aussi mis du temps à faire travailler les scénaristes en équipe, or, pour produire une série quotidienne, il faut une dizaine de personnes capables d’écrire à la chaîne, de manière industrielle. »

La révolution « Plus belle la vie »

Rue Carnot, le premier soap français est apparu en 1984 sur Canal +, le temps de 180 épisodes de 26 minutes désormais tombés dans l’oubli. Feu La Cinq a livré une poignée d’années plus tard 385 épisodes de l’indigent Voisin, voisine, regardable uniquement au 36e degré. TF1 a tenté le coup avec En cas de bonheur, qui, stoppé en mars 1990, n’a pas tenu une saison. Et France 2, malgré la présence de Claude Jade au casting, n’a guère fait mieux avec Cap des pins diffusé entre 1998 et 2000.

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Il aura fallu attendre 2004 et Plus belle la vie (« PBLV », disent les fans) pour que les Français succombent à un soap local. Et encore, si le programme a survécu, c’est parce que France 3 lui a laissé le temps de s’installer. Le concept, au départ, était de raconter le quotidien banal des habitants du Mistral, un quartier – fictif - de Marseille. Mais face aux piètres audiences (7 % alors qu’actuellement elles tournent en moyenne autour de 20 %), il est décidé de faire prendre un nouvel axe aux scénarios.

« Ils ont injecté plus de drames et ont éloigné les intrigues du réalisme pour générer davantage de sentiments et d’émotions. C’est là-dessus qu’un succès repose. Il faut des meurtres, du mystère, des secrets de famille pour que le téléspectateur s’implique, reprend Marjolaine Boutet. Ils ont aussi commencé à développer des thèmes plus contemporains, politiques. Plus belle la vie s’est faite la caisse résonance de la société française, en abordant des sujets comme les familles recomposées, l’homoparentalité… »

« Seconde chance », « Cinq sœurs » des soaps qui ont fait flop

Les concurrents ont évidemment essayé d’adapter des recettes plus ou moins proches et d’installer à leur tour leurs soaps maison à l’antenne. En 2008, ce fut une hécatombe : Seconde Chance (TF1), Cinq sœurs (France 2) et Pas de secrets entre nous (M6) ont rapidement fini dans le mur. Paris 16e, lancé un an plus tard sur M6, n’a pas non plus trouvé son public.

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Alors quand, en 2017, TF1 lance Demain nous appartient (« DNA », pour les intimes) rien n’est gagné d’avance. La chaîne commande d’abord 130 épisodes, de quoi se laisser une marge de manœuvre en cas de déprogrammation. La diffusion de la série débute en juillet, ce qui permet de jouer la carte « saga estivale ». Le public est au rendez-vous. « Demain nous appartient est diffusée en access, donc pas en frontal avec Plus belle la vie et à un horaire que la chaîne consacrait généralement aux jeux. Le choix de la case était le bon, remarque Marjolaine Boutet. TF1 a aussi misé sur des visages connus, comme Ingrid Chauvin et Lorie, ce qui a suscité de la curiosité. Les téléspectateurs y ont retrouvé un univers à la Sous le soleil [une série hebdomadaire à succès : 480 épisodes diffusés entre 1996 et 2008] : les belles maisons, le milieu médical… Si les thèmes évoqués sont peut-être moins politiques que la série de France 3, il est là aussi question de drames, de secrets et de mystères. »

Soit des ingrédients proches de ceux que laisse augurer Un si grand soleil. Dans le premier épisode, diffusé ce lundi, on fait la connaissance de l’héroïne, Claire, alors qu’elle revient à Montpellier, sa ville natale, dix-sept ans après l’avoir quitté sans donner de nouvelles. Pensant rejoindre son ami d’enfance pour faire un brin de causette, elle le retrouve gisant dans son sang, assassiné…

« Un si grand soleil », un « poumon » pour France 2

Le mélange de polar, de romanesque et d’eau de rose suffira-t-il à tenir les spectateurs en haleine et, surtout, à les fidéliser ? « Cette série se distingue vraiment de l’offre actuelle, avec sa richesse de personnages et des sujets traités, et un univers visuel très varié », assure Caroline Got, la directrice exécutive de la chaîne, qui voit là une occasion de « tisser un lien avec le téléspectateur ».

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A la conférence de rentrée de France Télévisions, jeudi, Takis Candilis, le directeur des programmes en a remis une couche : « Un si grand soleil, c’est un renouveau du feuilleton quotidien. Un tournage à moitié en extérieur, c’est du jamais vu. Je défie les téléspectateurs de faire la différence entre les scènes tournées en studio et celles tournées dans des décors naturels. »

Le grand air, d’accord, mais la nouvelle série fera-t-elle la différence tout court ? Takis Candilis reprend : « Chez nos camarades européens, les feuilletons sont beaucoup plus nombreux. Il y en a cinq ou six tous les soirs en Angleterre, autant en Allemagne et en Espagne. En France, il y en a trois, ça devrait aller… Et pour France 2, c’est un poumon. » Si la greffe prend, l’Hexagone se posera un peu plus encore comme un pays de soap operas, rattrapant son « retard » sur ses voisins. La fin d’une exception culturelle, en somme.