« The Penguin » sur Max : « Le Pingouin incarne le caractère antisocial du capitalisme »
drôle d’oiseau•La série « The Penguin », avec Colin Farrell dans le rôle-titre, permet de pénétrer la psyché du personnage d’Oswald Chesterfield CobblepotBenjamin Chapon
L'essentiel
- À l’occasion des semaines d’information sur la santé mentale, 20 Minutes se penche sur le personnage du Pingouin, de l’univers de Batman, qui a sa propre série sur la plateforme Max.
- Contrairement à de nombreux antagonistes à Batman, le Pingouin n’est pas fou ; il est lucide, responsable de ses actes et a une personnalité antisociale, mais il incarne la folie du capitalisme qui consiste à arriver au sommet coûte que coûte.
- Le Pingouin est le double négatif de Batman ; ils ont eu des enfances traumatisantes similaires mais le premier a trouvé une réponse criminelle à sa souffrance tandis que le second l’a sublimée pour servir la justice.
Comment analyser la démarche du Pingouin ? On parle là, bien sûr, de la démarche criminelle du personnage de l’univers de Batman, et non pas de l’oiseau arctique. The Pengouin, en anglais, a désormais sa propre série, diffusée sur Max, et écrite comme une suite au film de 2022, The Batman. Colin Farrell y retrouve son costume d’Oswald Cobblepot, alias Le Pingouin, alors qu’une vacance du pouvoir au sommet de la pègre de Gotham City lui donne l’occasion de grimper les échelons.
Assez unanimement saluée par la critique et véritable carton d’audience depuis son lancement, The Pengouin est l’occasion de se pencher sur le cas d’un des rares méchants de l’univers Batman à ne pas être ouvertement considéré comme fou.
À l’occasion des Semaines d’information sur la santé mentale, 20 Minutes a demandé l’aide d’Anthony Huard, psychologue et psychanalyste, auteur de Freud et les super-héros, pour faire passer Oz Cobb sur le divan.
« Le Pingouin n’est pas aliéné »
Dans la série, l’ascension du Pingouin est contrariée par Sofia Falcone, héritière de son parrain de papa. La future patronne sort pour l’occasion de l’asile d’Arkham. Par contraste, Oswald Cobblepot semblent sain d’esprit.
« En comparaison au Joker, que l’on associe pleinement à la folie, le Pingouin n’est pas fou au sens où il peut être légalement tenu responsable de ses actes, explique Anthony Huard. Le Pingouin n’est pas aliéné, il est lucide là où le Joker est débordé. Mais en même temps il frôle l’aspect folie par ses comportements inappropriés, et les limites qu’il ne s’impose pas. C’est une personnalité antisociale qui révèle aussi la folie du monde que l’entoure. »
La folie du capitalisme
The Penguin dévoile ainsi un personnage prisonnier de « cycles du traumatisme, écrit Variety. Des gens comme Oz et Sofia ne viennent pas de nulle part ; ils sont nourris par leur environnement. En dévoilant les mécanismes internes de Gotham, du bureau du maire aux milieux louches d’Oz, la série montre que l’infamie se manifeste et prospère à tous les niveaux. »
« Avec le Pingouin, on voit que le capitalisme sauvage, qui consiste à arriver au sommet coûte que coûte, peut mener à la folie, analyse Anthony Huard. Le Pingouin incarne le caractère antisocial du capitalisme qui consiste à conquérir le pouvoir y compris par des impulsions meurtrières. »
Un enfant surprotégé
Si le personnage de Batman est absent de la série de la plateforme Max, on connaît bien, par les comics et les films, l’origine du Pingouin, construit, à bien des égards, en miroir à l’autre oiseau de nuit, la chauve-souris. « L’absence de limites qui caractérise le Pingouin vient de son enfance, explique Anthony Huard. Enfant, orphelin de père, il a été à la fois surprotégé par sa mère mais aussi humilié. Les injonctions paradoxales venues de la figure maternelle se retrouvent aussi dans sa relation au père, mort d’une pneumonie. Dans certaines versions, le jeune Oswald est responsable de cette maladie et de la mort de son père… »
Enfant laid et harcelé, enfant pauvre parfois ou enfant aristocrate et riche mais déclassé dans d’autres comics, le Pingouin est un double négatif de Batman qui aurait trouvé une réponse criminelle à sa sociopathie. « Il aurait pu devenir Bruce Wayne, constate Anthony Huard. Les mêmes causes n’ont pas produit la même trajectoire, le point d’arrivée est différent. Là où Batman sublime son traumatisme et sa phobie pour en construire quelque chose qui le dépasse, pour s’élever, le Pingouin a une autre solution face à ça. Il traite ses blessures dans quelque chose de l’ordre de la réalité, pas symboliquement mais matériellement, il répare en supprimant dans la réalité ce qui l’empêche de se hisser. »
Un animal totem révélateur
Le profil psychologique du personnage se lit aussi dans l’animal totem qu’il s’est choisi, le pingouin, « un oiseau qui ne vole, qui se hisse à la force de ses pattes là où la chauve-souris a un radar et vole au-dessus des autres, analyse Anthony Huard. Le pingouin est un animal élégant quand il ne bouge pas, mais ridicule quand il se meut. Ce sobriquet ambivalent mêle la difformité, le côte gauche mais aussi l’élégance à travers le costume qu’il évoque. »
Notre dossier SérieLa trajectoire du personnage qui, dans les comics, passe son temps à atteindre le sommet de l’échelle criminelle avant de chuter et devoir se cacher dans les égouts, inspire aussi au psychanalyste, un diagnostic sévère. « Le Pingouin se hisse et chute sans fin dans un cercle vicieux névrotique qui l’empêche de se résoudre. Sa solution est toujours précaire parce qu’il se sent illégitime à l’apaisement et orchestre toujours sa propre chute. Pour l’aider, il faudrait l’amener à concevoir un monde et une représentation de lui-même qui intègre une ambivalence. Le monde n’est pas un pingouin, le monde n’est pas soit noir soit blanc. »
A en croire les premiers épisodes de la série The Penguin, le pauvre Oswald Cobblepot n’est pas prêt à solder ses traumas et son complexe d’Œdipe carabinée. Sa confrontation avec Sofia Falcone, héritière du parrain de la pègre décédé, réveille au contraire son douloureux rapport au père. Pour le plus grand plaisir des fans de la franchise Batman…
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