« D’argent et de sang » sur Canal+ : La fraude aux quotas carbone n’a jamais été aussi télégénique
SERIE•Folie des grandeurs et décadence sont au menu de la série signée Xavier Giannoli, à partir de lundi sur Canal+Laure Beaudonnet
L'essentiel
- La série D’argent et de sang, créée par Xavier Giannoli (Illusions perdues) et diffusé à partir du 16 octobre sur Canal+, s’inspire du livre éponyme de Fabrice Arfi sur l’arnaque aux quotas carbone.
- Le personnage interprété par Vincent Lindon, le seul inventé de toutes pièces, sert de fil conducteur à cette histoire hors norme.
- Cette excellente série est certainement la meilleure proposition française depuis Le Bureau des Légendes.
«A la fin de la série D’argent et de sang, on sait exactement comment reproduire l’arnaque aux quotas carbone, blague Ramzy Bedia, qui interprète Fitous dans la fiction créée par Xavier Giannoli dont la première partie est diffusée sur Canal+ à partir de ce lundi. Après Breaking Bad [de Vince Gilligan], je savais produire de la crystal meth, après D’argent et de sang, je sais faire une escroquerie à la TVA ». Il faut admettre que le cinéaste, plutôt habitué du septième art que du petit écran, réussit un impressionnant grand écart entre puissance romanesque et vulgarisation d’une fraude ultra-complexe. A la fin de cette série en forme de très long-métrage, le sujet nébuleux de l’arnaque aux quotas carbone n’a plus de secret pour le public.
Inspiré du livre-enquête éponyme du journaliste de Mediapart Fabrice Arfi, D’argent et de sang raconte comment deux petits arnaqueurs du quartier de Belleville -Fitous et Bouli- sont parvenus à mettre au point « l’arnaque du siècle » avec l’aide d’un trader des beaux quartiers parisiens. Entre 2008 et 2009, ces trois escrocs ont dérobé sur le nouveau marché financier dit des « Quotas Carbone », inventé pour lutter contre le réchauffement climatique, au moins 1,6 milliard d’euros en France et six milliards dans les pays de l’Union européenne.
Vincent Lindon, le fil conducteur de l’histoire
Les 12 épisodes de la série racontent cette histoire hors norme à travers les yeux du magistrat Simon Weynachter, interprété par Vincent Lindon. Fabuleux. A la différence de Bouli (David Ayala), Fitous (Ramzy Bedia) et Jérôme Attias (Niels Schneider), directement inspirés de Marco Mouly, Samy Souied et Arnaud Mimran, le personnage de Simon Weynachter n’existe pas. « Le personnage de Vincent Lindon est nourri de personnages d’enquêteurs liés à l’affaire et de mes préoccupations personnelles, explique Xavier Giannoli lors d’une rencontre presse fin septembre. Il est une façon pour moi d’être dans le récit. Il est fasciné par la débauche et la folie de ces types qui louent des jets privés et consomment au point de ne plus pouvoir remplir leur appartement. Il y a une forme de libération des passions. Et en même temps, il n’a aucune complaisance avec ces escrocs ».
Directeur du service national des douanes judiciaires, il sert de fil conducteur narratif et donne toutes les clés de compréhension de cette affaire tentaculaire, à travers notamment ses tableaux d’investigation de plus en plus foisonnants. Episode après épisode, Simon Weynachter décrit, devant une commission d’enquête, les dessous de cette escroquerie démesurée qui a fait couler l’argent directement des robinets de l’Etat français. Grâce à ces auditions, il reprend chaque étape qui a rendu possible l’arnaque du siècle, menée sous les yeux d’une administration française impuissante. Il analyse les profils de ces trois personnages qui consomment jusqu’à l’écœurement et qui flambent des millions dans les casinos internationaux et les parties de poker.
Une puissance romanesque rare
« Le fait qu’il veuille comprendre de quel milieu viennent ces gens, quelle a été leur histoire, comment techniquement l’escroquerie a été possible… On le suit à la fois dans la compréhension technique et dans l’exploration psychologique et sociale de tous ces personnages », pointe Xavier Giannoli. Dans la vraie vie, Vincent Lindon est comme Simon Weynachter, selon le cinéaste. « Il veut piger, il veut comprendre, d’une façon très naturelle et organique. Le fait que ce soit Vincent Lindon fait qu’on le suit dans son enquête. S’il pige, tout le monde pigera », observe-t-il.
Et ça marche. Sur le papier, difficile de se dire qu’une fraude aussi complexe peut créer un tel niveau d’adhésion chez le spectateur. La série est truffée de termes barbares -société-écran, gérants de paille, comptes offshore- qui donnent parfois le tournis. Pourtant, une fois le doigt dans l’engrenage de cette histoire peuplée de parvenus excentriques, difficile de s’arrêter. Xavier Giannoli s’est entouré de la même équipe que sur Illusions perdues et ça se voit. Dès le générique, la réalisation imprègne l’esprit et déroule une esthétique hypnotique. On assiste à un long-métrage de douze heures porté par des comédiens tous plus incarnés les uns que les autres. D’argent et de sang est certainement la meilleure proposition sérielle française depuis Le Bureau des Légendes. Et de très loin.