« Conversations with Friends » renoue-t-elle avec la magie de « Normal People » ?
ROMANCE•Canal+ diffuse ce jeudi la très attendue adaptation du premier roman de Sally Rooney, « Conversations with Friends »Anne Demoulin
En 2020, Normal People, adaptation du deuxième roman de Sally Rooney a touché une corde sensible en pleine pandémie. Ce récit, adapté par la jeune autrice irlandaise de 29 ans, souvent dépeinte comme « la voix des millennials », et Alice Birch, contait avec justesse et sensibilité une histoire d’amour intermittente entre Marianne Sheridan (Daisy Edgar-Jones) et Connell Waldron (Paul Mescal), du lycée à l’université, de la petite ville de Sligo au Trinity College de Dublin. Une approche contemporaine des relations amoureuses sublimée par la mise en scène naturaliste et délicate de Lenny Abrahamson et Hettie Macdonald.
Accueillie par des critiques dithyrambiques, un nombre de visionnages record en replay outre-Manche et plusieurs nominations aux Golden Globes et aux Emmys Awards, la série est devenue un véritable phénomène. C’est peu dire que Conversation with Friends, diffusée dès jeudi à 21h sur Canal+ et disponible sur MyCanal, adaptation du premier roman de Sally Rooney, est très attendue par les initiés.
D’autant plus qu’elle réunit bon nombre des talents déjà à l’œuvre sur Normal People : la société de production irlandaise Element Picture, les diffuseurs BBC et Hulu, Alice Birch, écrivant seule cette fois-ci et le réalisateur Lenny Abrahamson aux manettes de 7 des 12 épisodes de trente minutes. Conversations with Friends réussit-elle à renouer avec la magie de Normal People ?
La série suit Frances (la magnétique Alison Oliver) étudiante en littérature à Dublin, protagoniste typique de Sally Rooney : une enfant du siècle, intellectuelle et perspicace, confiante lorsqu’elle affirme ses opinions de gauche, vulnérable et maladroite lorsqu’elle exprime ses sentiments.
Un ménage à quatre toxique
Malgré leur séparation trois ans plus tôt, Bobbi (Sasha Lane), son ex-petite amie cool, solaire et charmeuse, est devenue sa meilleure amie. Tout commence lorsque les deux inséparables se produisent sur scène lors d’une soirée littéraire. Elles y font la connaissance d’une femme plus âgée Melissa (Jemima Kirke), autrice en vogue, qui félicite les deux slameuses pour leur performance.
Melissa les invite à dîner chez elle, et leur présente son beau mari, Nick (Joe Alwyn), un acteur célèbre, réservé et timide. Alors que Bobbi flirte ouvertement avec Melissa, Frances et Nick entament une relation adultérine secrète. La série va suivre les relations, toxiques, entre cet étrange quadrilatère formé par ces deux meilleures amies, ex-amantes, et ce couple marié plus âgé.
La relation entre Nick et Frances est compliquée, la faute à une communication impossible entre ces deux personnes maladroites socialement. Leurs nombreuses scènes de sexe, filmées avec l’aide d’un coordinateur de l’intimité, sont chorégraphiées avec sensibilité. Si ces scènes rappellent Normal People, leur histoire d’amour ne parvient pas cependant à bouleverser comme celle entre Marianne et Connell.
L’impossible communication à l’ère du numérique
Sur les six premiers épisodes, cela fonctionne. Conversations with Friends montre les difficultés à exprimer des sentiments qu’on ne définit pas bien soi-même, plus encore à l’ère la communication numérique. On voit ainsi Frances utiliser la correction automatique, taper, hésiter et effacer… La fiction dépeint aussi la déception lorsqu’elle ne reçoit pas la réponse qu’elle espérait. Ses échanges avec Nick et Bobbi, montrés au spectateur lorsqu’ils sont courts, et dits à haute voix lorsqu’ils sont longs, témoignent de l’écart entre ce qui est dit et ce qui est ressenti, mais disent aussi toute la difficulté d’avoir une vraie conversation à l’ère de What’s App.
Les schémas établis en question chez la génération Y
Conversation with Friends explore les thèmes du couple, de l’infidélité, de la monogamie. La minisérie dépeint ainsi minutieusement le quotidien des milléniaux, entre la fac et les pubs dublinois, leurs préoccupations, leurs discussions sur le choix de vie de leurs aînés, leur relation au corps, au genre, à l’orientation sexuelle et leurs craintes face à un avenir peu réjouissant.
L’endométriose, montrée comme jamais
Frances a des règles abondantes et souffre de douleurs menstruelles intenses. Elle reçoit au cours de la série un diagnostic d’endométriose, maladie qui impacte beaucoup sa vie quotidienne. On ne peut que saluer la représentation de cette maladie, qui serait particulièrement réaliste selon les personnes concernées.
La minisérie s’attache aussi à parler d’un autre mal du siècle, la dépression, au travers du personnage de Nick évidemment, mais surtout au travers du père alcoolique et dépressif de Frances, Dennis, interprété avec beaucoup de délicatesse par Tommy Tiernan.
Malgré toutes ses qualités, Conversation with Friends ne réussit pas à recréer la magie de Normal People. Si les six premiers épisodes partent bien, la suite traîne en longueur. Les personnages semblent coincés dans les non-dits, les silences et les regards lourds de sens. Bref, on finit par s’ennuyer.