«Game of Thrones»: «Jon Snow suit un parcours très similaire à celui du roi Arthur»
GAME OF THESES•La saga HBO n’a pas inspiré que des fans par millions, elle a également suscité des études et thèses de chercheurs en sciences divers. Aujourd’hui Justine Breton, docteure en littérature médiévale, nous parle de « Game of Thrones »Benjamin Chapon
L'essentiel
- Avec sa huitième saison, Game of Thrones achève une saga suivie par des millions de téléspectateurs dans le monde.
- Le phénomène a inspiré des chercheurs qui ont produit études et thèses dans diverses disciplines.
- « 20 Minutes » a rencontré Justine Breton, docteure en littérature médiévale.
Des zombies venus du froid, des dragons, des loups géants et des prêtresses rouges qui ressuscitent les gens… Game of Thrones, c’est du sérieux. Alors forcément, la saga a intéressé des scientifiques de tout poil dès ses débuts. Sociologues, politologues, historiens ou démographes ont réalisé thèses et études sur la série HBO au succès planétaire.
20 Minutes a choisi de leur donner la parole durant la diffusion de la huitième et dernière saison de la saga, pour jeter un nouveau regard sur une série qui restera dans les annales.
Aujourd’hui, nous interrogeons Justine Breton, docteure en littérature médiévale, autrice d’études sur la figure du Roi Arthur mais aussi d’un livre sur la série Kaamelott et qui prépare un ouvrage sur Game of Thrones.
Quels enseignements sur l’histoire du Moyen Âge tirez-vous de Game of Thrones ?
Etudier Game of Thones ne nous apprend pas tant sur le Moyen Âge, mais nous apprend à regarder, et donc à comprendre, le Moyen Âge. C'est un point de départ pour l'étude historique. Game of Thrones est une œuvre qui s’inscrit dans le mouvement littéraire du médiévalisme, c’est-à-dire ces œuvres qui proposent un regard sur le Moyen Âge. Etudier Game of Thrones ne nous apprend rien sur le Moyen-Âge mais nous renseigne sur la manière dont cette période est perçue aujourd’hui. Mais il y a différentes visions concurrentes, dans une même société, du Moyen-Âge.
Quelle vision du Moyen Âge propose Game of Thrones ?
Game of Thrones choisit de montrer une vision sombre avec la trilogie boue, feu et sang, le Moyen Âge y est montré comme une période violente et barbare. Finalement, Game of Thrones utilise des clichés littéraires plutôt que des clichés historiques. La série cite et s’inspire d’œuvres médiévales, mais il n’y a rien d’historique dans Game of Thrones. Ou plutôt il n'y a pas qu'une histoire : c'est une interprétation de plusieurs moments mélangés de l'histoire.
De quels clichés littéraires Game of Thrones s’inspire-t-elle ?
Il y a plusieurs exemples. La série joue à contredire la littérature épique et courtoise du Moyen Âge en mettant en scène des chevaliers qui ne sont ni glorieux, ni valeureux. Jaime Lannister est beau, noble, riche et excellent combattant. Mais c’est en réalité un anti-Prince charmant qui a des relations sexuelles avec sa sœur jumelle, a tué son propre roi d’un coup d’épée dans le dos, et jette un enfant du haut d’une tour. Tout ça dès le premier épisode.
Game of Thrones puise-t-elle des références dans la légende du roi Arthur ?
Enormément. Il y a une référence très marquée. Jon Snow lui-même est une nouvelle version du roi Arthur. Pas tant le roi Arthur de Chrétien de Troyes mais celui du XXe siècle, décrit dans le roman Excalibur, l’épée dans la pierre. Ce roman est un peu oublié aujourd’hui mais a eu un grand succès en 1938 et a même inspiré le Merlin l’enchanteur de Disney. Le roi Arthur y suit un parcours très similaire à celui de Jon Snow. Un personnage qui est, toute sa vie, un candidat au pouvoir mais qui doit réaliser son destin au travers de leçons, de rencontres, d’épreuves. Et puis, d'une certaine manière, le roi Arthur est immortel, même quand il va sur Avalon. Comme Jon Snow.
Les autres personnages de Game of Thrones ressemblent-ils à des personnages de la littérature médiévale ?
La subtilité de certains personnages comme Tyrion, auxquels on s’attache malgré leurs défauts, rappelle la figure de Méléagan, personnage du roman de Chrétien de Troyes, Lancelot ou le Chevalier de la charrette. Il s’agit d’un prince d’un royaume voisin qui enlève Guenièvre, nargue le roi Arthur. Un personnage très négatif, presque maléfique. Mais dans le roman, quand on va dans le royaume de Méléagan, on comprend qu’il y est mal considéré. On a presque pitié de lui parce que ce n’est plus le grand méchant. Il y a un peu de ça dans certains personnages de Game of Thrones.
Il y a plusieurs incestes dans Game of Thrones, qui heurte la morale du spectateur du XXIe siècle. Comment était perçu l’inceste par les lecteurs du Moyen-Âge ?
Le tabou de l'inceste est très fort dans la littérature médiévale. Dans les versions du XIIIe siècle de la légende d’Arthur, il couche avec sa sœur, ou demi-sœur. Mais dans le roman médiéval, Arthur est une victime parce qu’il n’est pas responsable de l’inceste – il ignore qu’il couche avec sa sœur – mais ressent de la culpabilité. C’est une tragédie pour lui. De cet inceste naît Mordred, un personnage très mauvais. Il y a une diabolisation de l’enfant né de l’inceste, comme avec Joffrey dans Game of Thrones. Dans la Chanson de Roland, il y a une rumeur selon laquelle Roland serait le fils incestueux de Charlemagne et sa sœur. Or Roland n’est pas qu’un personnage positif, il est aussi colérique et orgueilleux, un gros défaut au Moyen Âge. Game of Thrones s’appuie sur cette ambivalence pour certains de ses personnages. Joffrey est abominable mais Tommen et Myrcella, eux aussi enfants d’inceste, sont adorables. Daenerys et ses deux frères sont aussi des enfants d’inceste entre frère et sœur. Rhaegar est le héros parfait, parangon du chevalier médiéval courtois. Viserys est le pire qui soit. Et Daenerys est un peu entre les deux.
Daenerys a de bons et mauvais côtés mais elle a surtout des dragons, animaux diaboliques au Moyen Âge. Et elle use d’une certaine magie…
Au XIIe siècle, il n’y a pas de diabolisation de la magie. Merlin est un personnage positif dont certains pouvoirs lui viennent du diable mais qu’il choisit d’utiliser pour faire le Bien. Les fées apportent une magie bénéfique, qui soigne. Mais à un moment, dès le XIIIe siècle, ça se complique. La morale chrétienne diabolise les pratiques magiques. Et ça se ressent dans les œuvres littéraires. Dans Game of Thrones, la magie et la religion entretiennent des relations complexes. La religion des Sept, majoritaire, est une version de la religion chrétienne. C’est une religion monothéiste avec un dieu unique qui a sept formes, cela évoque la religion catholique et la trinité. A côté de cette religion, il en existe d’autres, au Nord ou sur le continent de l’Est, dans une forme d’harmonie, du moins au début de la saga.