«Game of Thrones»: Pourquoi la fin de la série sera forcément décevante?
TOUT ÇA POUR ÇA•Des dragons, des morts-vivants, un nain stylé, des héros beaux gosses et des intrigues de folies, mais ils vont quand même réussir à nous décevoirJean-Loup Delmas
L'essentiel
- Ça y est, « Game of Thrones » se prépare à lancer sa huitième et dernière saison.
- La fin est attendue par tous les millions de fans de la série et les attentes sont énormes.
- Pourtant, avoir une bonne fin apparaît comme presque impossible pour cette série culte, soudainement rattrapée par ses enjeux et son ambition.
La saison 8 de Game of Thrones n’a même pas encore commencé qu’elle est déjà condamnée à décevoir. Trop d’attentes, trop de théories, trop d’espoirs divergents pèsent sur les six derniers épisodes qui devront conclure la série la plus populaire de sa décennie. C’est une chose de nous faire miroiter mille et une fins possibles, reste maintenant à en trouver une satisfaisante.
Et autant dire que la mission s’annonce encore plus complexe qu’arrêter le roi de la nuit. Voire impossible. « Cela risque de faire comme avec Lost, avec des réactions très violentes et un final extrêmement clivant et mal vécu par une partie des spectateurs. Il y aura probablement une partie des fans satisfaits, mais énormément de déçus également », prophétise Vladmir Lifschutz, enseignant-chercheur et docteur en séries (oui ça existe), auteur de This is the end. Finir une série TV.
Déception volontaire
On l’a vu par le passé, les séries qui font de leurs conclusions une des trames scénaristiques de toute leur saga (Coucou How I Met Your Mother et surtout Lost, c’est de vous qu’on parle) aboutissent généralement à des épisodes finals bien plus décriés par les fans que des séries comme Friends, encore plus culte mais dont la fin, loin d’être exceptionnelle, ne suscitait aucune attente scénaristique et n’a donc pas fait autant de déçus.
Piqûre de rappel avec notre docteur en série : « « Les séries qui entretiennent un mystère persistant génère une attente forte et elles se retrouvent dans une position délicate au moment de la conclusion narrative. Certains auteurs, comme Damon Lindelof (le scénariste principal de Lost) ont été durablement impactés par les retours des téléspectateurs après l’achèvement d’une fiction sérielle. »
Game of Thrones en a d'ailleurs souvent joué, faisant de la déception un de ses rebonds scénaristiques. Combien de destinées épiques nous a-t-elle fait espérer avant de laisser mourir bêtement ses héros ? (Coucou Ned et surtout Robb Stark, c’est de vous qu’on parle). Même s’il faudra faire attention à ne pas trop tirer sur un fil qui s’use comme le précise Vladimir Lifschutz : « Cela commence à être compris par le spectateur. Il sait que la plupart des personnages bons et attachants risquent de mourir. En plus, d’autres séries ont repris la formule comme The Walking Dead, qui s’est aussi fait une spécialité de faire mourir les persos les plus aimés du public. »
L’ultime spoiler
Mais surtout, cette fin risque de nous priver de l’un des plus grands plaisirs de la série : imaginer la suite. Une fois le dernier épisode fini, pourrons-nous encore penser aux scénarios possibles, partir sur des théories improbables, inventer l’avenir des personnages ? Reprochera-t-on à ce final ce qu’on reproche à quelqu’un nous ayant spoilé un épisode de GoT précédent, à savoir ne plus nous laisser d’alternatives et nous imposer à l’avance un scénario ? En résumé, cette fin qu’on va nous subir, ne sera-t-elle pas finalement l’ultime spoil ? « L’univers fictionnel de Game of Thrones offre la possibilité d’imaginer des suites (un prequel est déjà en production). La conclusion doit donc laisser de la place quant à une possible extension narrative. », indique Vladmir Lifschutz. Un choix qui limite les chances de déceptions en offrant encore bien des possibles.
Au-delà de la qualité scénaristique, les producteurs et HBO ont tout intérêt à opter pour ce choix et à s’arranger pour que les fans aient encore des hypothèses à s’imaginer : « On l’a vu avec Twin Peaks et d’autres, une série n’est jamais vraiment finie tant qu’il existe la possibilité d’imaginer une suite. »
Satisfaire les fans tout en les surprenant
Mais attention à ne pas virer à fond vers l’ouverture non plus. Pas question de faire l’impasse sur certaines réponses essentielles. A commencer par la reine des questions : QUI va finir sur ce foutu trône de fer que tout le monde convoite ? La série peut difficilement laisser le mystère : « La série doit trouver un équilibre entre les attentes des téléspectateurs et le projet des auteurs : apporter une résolution à la guerre pour le trône de fer tout en surprenant le téléspectateur fidèle depuis maintenant 9 ans. », plaide le docteur en série.
Et une fois de plus, c’est Lost qui va nous servir d’exemple à ne pas reproduire avec une fin à côté de la plaque. Allez, on tire une dernière fois sur l’ambulance avec Vladimir : « La fin de Lost fut beaucoup décriée. 10 ans après, il y a une prise de recul qui démontre bien que le contexte de réception est décisif. L’investissement émotionnel associé à une fiction façonne une exigence difficile à contenter. » Dans le même style de « je vise à côté » de ce que veulent mes fans, How I Met Your Mother est un autre cas d’école. Une fin franchement belle, émouvante, mais qui trame la réalité douce-amère de la vie avec ses joies et ses peines, quand la promesse du premier épisode était de nous conter la découverte d’un amour éternel.
La mort a-t-elle encore un sens au royaume des ressuscités ?
Autre impératif, une bonne fin doit être impactante (oui car, soyons honnêtes, personne ne veut d’une fin bisounours où tous les gentils gagnent et où Daenerys et Jon Snow vivent ensemble avec plein d’enfants incestueux). Mais là aussi, la série ne s’est pas rendue la tâche facile avec la résurrection magique de ce bon vieux Jean Neige. « La série ne peut plus jouer sur le même danger de la mort depuis. C’est un tournant scénaristique majeur dans une œuvre, lorsque la mort n’est plus définitive. La violence de ce qui arrive à des personnages est mesurable à la certitude de ne pas les revoir en vie. »
Pas un hasard si tous les épisodes les plus traumatisants de la série (la trahison de la garde contre Jon, le procès de Tyrion, la mort de Ned, l’empoisonnement de ce ******* de ****** de Joffrey, la mort d’Oberyn et BIEN SUR les Noces pourpres) datent d’avant que le bâtard beau gosse ne revienne d’outre-tombe.
Les éléments essentiels pour une fin potable
Bon c’est bien beau d’expliquer que ça va forcément se foirer, mais qu’est ce qui pourrait un peu sauver la série ? Aide-nous donc Vladimir à trouver une fin potable ! « Tout le défi, c’est d’arriver à surprendre et à renouveler la série sans la trahir ni renier ses racines. Il faut que la fin fonctionne en miroir avec le reste des épisodes de la saga. L’enjeu est de voir comment elle résonnera avec le reste de la série. » De toute façon, à Westeros, on adore faire écho à d’anciens épisodes (Le roi du nord Robb/John, les scènes de décapitation par un Stark, etc), il y a donc fort à parier que la fin fasse de nombreuses références à plusieurs grandes scènes de la saga.
Dans une logique d’impact, Jon Snow doit y passer une seconde fois, et de manière définitive.« Le retour de John Snow ouvre la porte à l’idée que la mort n’est pas définitive, ce qui est, à mon sens, un contre-sens à la plus grande force de la série, la fragilité de la vie. On peut imaginer que la fin du show ré-aborde cette question d’une manière ou d’un autre et le sort de John Snow est en cela capital. La mort va-t-elle reprendre ses droits ? »
Sans parler de donner une ligne directrice à toute la série. « Pour moi, tout se résume à une phrase de Tyrion : "Si vous êtes venus ici pour la justice, vous vous êtes trompé d’endroit". Et quoi de plus injuste que la mort ? Elle doit être au cœur de la fin, car elle est la structure de la série, jusque dans l’opposition entre les vivants et les morts. »
Deuil et devoir de mémoire
Une fin qui a tout intérêt à être réussie si Game of Thrones veut rester dans les mémoires. « La controverse nourrit les discussions au-delà de la fin mais les séries unanimement décevantes dans leur finalité souffrent d’un oubli progressif. Pourquoi revoir une fiction dont la fin est jugée ratée ? » Mais même une impossible fin parfaite serait mal vécue. Et les scénaristes n’y seront pour rien cette fois. Mais aucun fan ne veut voir la série mourir. C’est bien tout l’objet du livre de Vladimir Lifschutz : « Qu’importe le script, les émotions et à la psychologie humaine prennent les commandes. Les séries prennent tellement de temps à être suivies qu’elles finissent par symboliser une période conséquente de nos vies. Voir Game of thrones s’achever, ce sera voir mourir cette période, avec les personnes qu’on fréquentait, les habitudes que l’on avait, les amis à qui on parlait des épisodes. Un petit deuil à faire. »
Préparez-vous donc, déception is coming (oui, la fin de cet article aussi est décevante).