Pourquoi la série «Philharmonia» suscite-t-elle à la fois louanges et critiques?
CACOPHONIE•Acclamée au festival de La Rochelle, la série de France 2 a été violemment critiquée par certains médias et téléspectateurs…
Anne Demoulin
L'essentiel
- La diffusion des deux premiers épisodes de « Philharmonia » a entraîné des critiques négatives mais aussi de bonnes audiences.
- Des professionnels du monde de la musique ont été déçus par le manque de vraisemblance de la série.
- Le style et le ton de ce polar atypique ont dérouté certains téléspectateurs.
Les téléspectateurs seront-ils toujours présents pour les troisième et quatrième mouvements de la série Philharmonia. Mercredi dernier, France 2 s’était hissée à la deuxième place du podium des audiences avec le lancement de son thriller psychologique porté par Marie-Sophie Ferdane et François Vincentelli. La nouvelle fiction de France 2 avait ainsi rassemblé 3,51 millions de téléspectateurs en moyenne, soit 15,9 % du public, selon Médiamétrie. Un bon score pour une série française. « Acclamée au festival de La Rochelle en 2018 », la série a pourtant été descendue en flèche, notamment par Le Monde. La presse est restée divisée, certains critiques y voyant « une série française menée à la baguette » et d’autres un « indigne mélo pour mélomanes ».
« Gros coup de cœur du festival, qui nous a emportés par le brio de sa partition » pour les colonnes d’Allociné au sortir du dernier Festival de la Fiction TV de La Rochelle. Philharmonia avait aussi séduit Le Figaro qui racontait : « Le public ne s’y est pas trompé en réservant une standing-ovation à chacun des deux épisodes projetés. France 2 a tapé fort avec ce thriller psychologique se déroulant dans un orchestre de musique classique parisien. » A 20 Minutes, on appréciait ce « soap en mode majeur évoquant tout à la fois Whiplash de Damien Chazelle ou encore Mozart in the Jungle ». Les critiques de La Rochelle louaient notamment l’originalité de la série de France 2 dans un paysage audiovisuel français saturé par les enquêtes policières. La série mixe les codes du soap opera et du thriller psychologique, un pari audacieux pour France 2.
Premières fausses notes
Et pourtant, dès avant sa diffusion sur France 2, Philharmonia a été la cible de violentes critiques. La première salve a pris la forme d’un procès en vraisemblance.
Après l’avant-première organisée à l’Opéra-Comique à Paris le 14 janvier, la cheffe d’orchestre, Claire Gibault, a ainsi tweeté son désappointement, puis a été interrogée par Télérama : « Je suis partie dès la fin du premier épisode, tellement ce que j’ai vu m’a fait honte et m’a rendue triste… Triste, oui, de voir les musiciens et le métier de chef d’orchestre dépeints de manière aussi caricaturale. » Et de poursuivre dans les colonnes du Monde : « Le métier de chef. Celui-ci demande un sens de la diplomatie, de l’échange avec les musiciens : tout l’inverse de ce dont témoigne le personnage principal qui dirige en stilettos et en Perfecto et qui, de surcroît, est une cinglée et possiblement une tueuse ! »
La série d’Amazon Prime Video Mozart in the Jungle, qui se déroule également dans les coulisses d’un orchestre, mais cette fois new-yorkais, avait essuyé les mêmes commentaires sur la représentation du travail des musiciens. Elle a tout de même été auréolée du golden globe award de la meilleure série comique ou musical en 2016. A la rédaction de 20 Minutes, peu de journalistes se reconnaissent dans les méthodes d’investigation de Camille Preaker, journaliste névrosée et alcoolique de Sharp Objects , et n’en ont pas moins placé la série dans leur top 2018.
Au-delà des premières mesures
Outre le manque de vraisemblance de Philharmonia, la série a également été éreintée par certaines critiques formulées à l’attention de l’intégralité des épisodes. Or, les laudateurs de La Rochelle n’avaient pu voir que deux épisodes. « Avec sa perspective d’intrigues au sein d’un orchestre, [Philharmonia] formule une jolie promesse. Qu’elle tient un moment, à ses débuts », note Le Temps. « Cette série sur la musique classique commence comme un bel ensemble, mais à force de surcharger la partition, elle finit hélas sur de gros couacs », estiment Les Fiches du Cinéma. Il semble qu’à « mesure que les épisodes progressent, le niveau s’effondre », remarque encore Le Monde.
Ce décalage de perception est assez fréquent. Plusieurs séries, très attendues, ont suscité le malentendu entre des téléspectateurs découvrant un premier épisode encourageant, et des critiques jugeant l’œuvre dans son intégralité. Ce malentendu trouve son paroxysme lorsque des critiques spoilent la fin de la série pour appuyer leur propos… Parmi ceux qui ont regardé l’intégralité des six épisodes, les avis divergent sur le moment où la série « décline ». Dès le troisième ? Après « l’apothéose » du quatrième ?
Espoirs déçus
Au-delà des interrogations sur le rythme de l’intrigue de Philharmonia, plusieurs dissensions naissent sur le ton et le style, très affirmés, de la série. Le thriller psychologique est servi par une réalisation très marquée, et un jeu d’acteurs parfois déstabilisant. Autant d’éléments que l’on ne découvre qu’au gré des épisodes. Ceux qui attendaient, sur la foi des bandes-annonces, un paisible divertissement avec un orchestre philharmonique pour décor pouvaient légitimement être déçus.
Si Philharmonia a été tellement descendue en flèche par certains, c’est parce qu’elle n’a pas répondu à ce que le théoricien de la réception et de la lecture de l’école de Constance, Hans Robert Jauss, appelle l'horizon d'attente. Les musiciens, dont l’univers est trop méconnu du grand public, nourrissaient l’espoir d’une série comme Hippocrate, qui dépeigne fidèlement leur monde. Les critiques de séries télévisées, séduits par la perspective d’une série ayant une arène originale, espéraient enfin sortir du polar.
Il suffira de suivre les audiences des deux prochains mercredis soir pour savoir si les téléspectateurs décrochent eux aussi.