«"Il Miracolo" n’est pas une série sur la religion», explique le romancier Niccolò Ammaniti
INTERVIEW•Rencontre avec l’écrivain à succès Niccolò Ammaniti, qui signe avec «Il Miracolo» sa première série, un bijou multi-récompensé à Séries Mania et diffusé ce jeudi sur Arte…Anne Demoulin
L'essentiel
- «Il Miracolo» est une minisérie en huit épisodes diffusée sur Arte.
- Elle a été écrite et réalisée par l’écrivain à succès italien Niccolò Ammaniti.
- La série a reçu deux prix à Séries Mania, le Prix spécial du jury et le Prix d’interprétation masculine pour Tommaso Ragno.
- Ce thriller métaphysique, comme «The Leftovers», met en scène une galerie de personnages face à un phénomène inexpliqué, ici, une statuette de Madone en plastique qui pleure de véritables larmes de sang humain.
Vous ne croyez pas aux miracles ? La plupart des personnages de Il Miracolo, troublante minisérie en huit épisodes, lauréate du prix spécial du jury à Séries Mania, non plus. Et pourtant, la découverte d’une Madone en plastique qui pleure des larmes de sang humain dans le repaire d’un chef de mafia calabraise va bouleverser la vie de tous ses protagonistes : le premier ministre Fabrizio Pietromarchi (Guido Caprino), en pleine crise politique et personnelle, son épouse (Elena Lietti), insatisfaite et malheureuse, le dévoyé père Marcello (Thommaso Ragno, récompensé d’un très mérité prix d’interprétation à Séries Mania), le chef de l’armée, le général Votta (Sergio Albelli) ou encore (Alba Rohrwacher), jeune scientifique dont la mère est en fin de vie.
Rencontre lilloise avec le romancier italien Niccolò Ammaniti qui a écrit et réalisé ce troublant thriller métaphysique, diffusé dès ce jeudi à 21h et d’ores et déjà disponible sur ArteTv.
Comment est née l’histoire d’Il Miracolo ?
Les bonnes histoires sont celles qui produisent des questions, le plus de questions possible. Je me suis simplement demandé : qu’est-ce qui se passerait si on avait la preuve tangible que quelque chose de surnaturel existe ? Quel impact aurait un tel phénomène sur mon existence ? La science nous fournit des certitudes mais comment réagirions-nous face à la statue d’une vierge de deux kilos et demi et qui pleure 100 litres de sang par jour ? Toutes les bases de notre pensée seraient bouleversées.
Pourquoi faire apparaître cette Madone dans un repaire de la mafia ?
Juste parce que cela m’amusait, parce que ce thème est beaucoup traité dans les fictions italiennes, mais j’en fais autre chose…
« The Leftovers », « Au Nom du Père »... Pourquoi selon vous il y a autant d’histoires qui parlent de la foi alors que nous vivons dans une société de plus en plus séculaire ?
Oui, on se trouve face à un paradoxe. Il Miracolo n’est pas une série sur la religion. Le miracle n’est qu’un déclencheur, qui engendre un bouleversement chez mes personnages. Un peu comme The Leftovers, une série où une partie de la population disparaît. Dans Il Miracolo, la question est plus intime parce qu’on est en face d’une statuette en plastique. Et on se pose la question suivante : « Est-il possible que Dieu se manifeste dans cette toute petite statuette ? » On ne se retrouve pas face à quelque chose d’extraordinaire comme dans The Leftovers, mais face à nous-mêmes.
Vous abordez la question de la foi sur le plan politique, religieux, scientifique…
Pour moi, c’est toujours difficile de trouver le sens de ce que je fais. Ce qui m’intéresse, c’est le parcours des personnages dont je parle. Cet événement est un catalyseur qui me permet de traiter des obsessions des différents personnages.
Votre héros, le Premier ministre italien, fait aussi face à une crise politique : les Italiens y sont sur le point de se prononcer par référendum sur une sortie de l’Euro. C’est une question très actuelle en Italie ?
Effectivement. Les extrémistes de droite sont en faveur d’une sortie de l’Europe, mais en Italie, une telle sortie serait pour le moins impossible. Il faudrait d’abord changer la constitution, parce qu’elle ne permet pas d’induire un référendum de ce type. Mais en ce moment, le climat tend plus vers la séparation que l’unification européenne. Cela m’a semblé intéressant de se demander ce qui se passerait en cas de phénomène inexpliqué et inexplicable dans une conjoncture aussi fragile.
Le Premier ministre traverse également une crise personnelle…
Sa femme n’est pas vraiment la première dame classique qui soutient son mari. Cette femme se retrouve dans un rôle qu’elle ne désire pas. On comprend dès le début que leur couple est détruit, qu’ils dorment dans des chambres séparées. Ils résistent pour la forme.
Comment s’est passée cette première expérience en tant que réalisateur ?
Au début, cela a été très très difficile de passer derrière la caméra. Heureusement, Francesco Munzi et Lucio Pellegrini, qui ont coréalisé Il Miracolo, sont de vrais experts. Au début, j’étais leur assistant, on a travaillé pendant de longs mois et je suis ensuite devenu indépendant. Ce qui m’a le plus marqué, c’est que je suis passé de la solitude de l’écriture à la vie collective sur un plateau. On y vit en communauté comme pendant les vacances d’été, et après, à la rentrée, tout se termine. J’ai été très triste lorsque cette aventure s’est terminée.
Que retenez-vous de cette expérience en tant que romancier ?
Quand j’écris un roman, j’écris deux pages sur une journée, puis, le lendemain, je révise ces deux pages. Sur le tournage d’une série, la première prise doit être la bonne… C’est difficile de ne pas pouvoir retourner en arrière pour tout réviser. Si j’arrivais à accepter cela, toutes ces contraintes, je serai le showrunner parfait.
Avez-vous envie de renouveler l’expérience ?
Je ne sais pas. Ce projet a été très long et très fatigant, mais je me considère chanceux de pouvoir, à mon âge, faire deux choses si différentes !