«The Handmaid's Tale»: «La série est violente car le monde l'est aussi»
INTERVIEW•Alors que «The Handmaid’s Tale» est en plein milieu de la diffusion de sa saison 2 sur OCS, le showrunner Bruce Miller revient sur cette saison qui divise les fans...Propos recueillis par Vincent Jule
The Handmaid’s Tale - La Servante écarlate était l’événement série de 2017. Sacrée aux Emmy Awards et aux Golden Globes après une seule saison, l’adaptation du classique de la littérature et du féminisme de Margaret Atwood a beau être une dystopie écrite en 1985, elle ne peut être plus en phase avec notre époque, ses révolutions, de l’affaire Weinstein aux mouvements Time’s Up et MeToo. Une série de femmes, à la tête de laquelle on retrouve paradoxalement un homme, Bruce Miller. 20 Minutes l’a rencontré à Paris à l’occasion de la diffusion de la saison 2, plus sombre et plus violente, le jeudi sur OCS, qui diffuse par ailleurs une émission spéciale sur le showrunner ce lundi.
A la fin de la saison 1, qui est aussi la fin du livre, la question s’est-elle posée d’en rester là ?
J’étais plutôt confiant que la série pouvait continuer, et ce pour deux raisons. La première est qu’il y a beaucoup d’éléments du livre que nous n’avions pas pu explorer en saison 1 : les colonies, les mariages d’enfants, les mouvements de résistances, etc. La seconde est que le livre avait une fin rageante. Tout ce que je voulais, c’est la suite, la saison 2. (rires). Proposer à nouveau une version frustrante était trop cruel. Nous avons évoqué la possibilité de juste faire une mini-série, mais nous avons très vite, très en amont, préféré continuer, car les personnages avaient grandi, l’univers s’était déployé. Il y a beaucoup d’autres histoires à raconter. Sur deux, trois ou dix saisons.
Quel a été le rôle, l’implication, de Margaret Atwood en saison 2 ?
Margaret est très occupée, elle a un autre boulot en tant qu’écrivaine (rires). Mais nous essayons de l’avoir autant que nous pouvons. J’ai commencé à parler de la saison 2 avec elle en milieu de saison 1, et elle était très enthousiaste, elle est toujours très enthousiaste à l’idée de changer et de trahir son œuvre. Plus que nous. Sur la saison 2, elle est venue dans la writer’s room au début, puis nous avons gardé le contact tout au long du développement, elle lit tous les scripts, renvoie des notes, etc. Elle est très impliquée, mais plus comme une pom-pom girl qui nous encourage à aller plus loin.
The Handmaid’s Tale est une série sur les femmes, mais vous êtes un homme. Est-ce une préoccupation pour vous, pour l’équipe, pour la chaîne ?
C’est une vraie question. Quand tu es scénariste et que tu débarques sur une série, tu n’es pas forcément le type de personnage que tu écris. Je crois d’ailleurs avoir eu plus de mal à travailler sur des séries policières que sur The Handmaid’s Tale. Mais cette différence qui nous sépare de nos personnages, écrire sur des gens qui ne sont pas nous, c’est le coeur de notre métier.
J’ai été très honoré que Hulu aime assez mes idées et mon approche pour me donner ma chance, moi, un homme, sur un classique du féminisme. La seule chose à faire alors, la plus importante, était de s’entourer des bonnes personnes. Notre writer’s room est presque entièrement féminine, les épisodes sont réalisés à plus de la moitié par des femmes, et c’est aussi le cas dans les autres départements de création. Sans oublier Elisabeth Moss, à la fois star et productrice.
aLa saison 1 était déjà sombre, violente, sans espoir, mais la deuxième est pire...
Mon intention n’était pas d’enfoncer le clou, mais oui, c’est un monde cruel. Il faut donc montrer comment Gilead est cruel et manipulateur, comment ils gardent le contrôle. J’ai moi-même une tolérance assez basse à la violence à la télévision, je peux à peine regarder ma propre série. Nous nous sommes donnés comme limite de ne montrer la violence que si elle a un sens, si elle est nécessaire. Par exemple, à la fin de la saison 1, une femme a ses organes génitaux mutilés. Mais nous ne montrons rien, nous en parlons à peine. Elle était inconsciente, et se réveille à l’hôpital.
En revanche, au début de la saison 2, il y a la fausse exécution et d’autres punitions, et si nous ne les avions pas montrées, l’impact n’aurait pas été le même. Il fallait que June et le spectateur le voient, pour comprendre comment son point de vue change, comment ce monde est absurde. Plus que le désespoir ou la violence, je me dis que chaque épisode dont June sort vivante est une victoire en soi.
Est-ce que la série pourrait un jour continuer sans son personnage principal ?
C’est La Servante écarlate, c’est l’histoire de June. Je pourrais le faire, c’est vrai, mais c’est une expérience que je ne veux pas tenter. (rires)
On entend beaucoup dire que le monde de The Handmaid’s Tale pourrait être le nôtre demain...
Nous n’envisageons pas la série comme un avertissement lancé au monde entier. Il s’agit d’ailleurs d’un autre monde, créé par Margaret Atwood, ou d’une extention logique de ce monde. Nous avons fait des recherches et rencontré économistes et historiens pour comprendre et raconter comme une telle chose pourrait arriver en Amérique. Mais une Amérique différente, où le taux de natalité est en chute libre, la panique totale. Je ne dis pas que cela ne peut pas arriver, c’est peut-être même déjà là, en creux, mais la série ne raconte pas comment notre monde va basculer, mais comment le monde de The Handmaid’s Tale a basculé.
Certains spectateurs trouvent la série lourde, solennelle, prétentieuse, comme convaincue de son propre génie...
Nous essayons juste de faire la meilleure série possible. Les scènes ne sont pas trop longues, elles sont de la bonne durée pour la série. Si le rythme est bizarre, c’est parce que les personnages doivent faire attention à tout ce qu’ils disent. Et oui, c’est beau, mais parce que Gilead veut que tout soit beau, propre… Ecoutez, ils parlent de « chef d’œuvre », ou de « génie », ça me va très bien. (rires)
Shonda Rimes, Jenji Kohan, Jill Solloway… Les femmes prennent - enfin - le pouvoir devant et derrière la caméra...
C’est spectaculaire ! Il y a encore une époque pas si lointaine, la série - ma série préférée - Angela, 15 ans et le travail de sa créatrice Winnie Holzmann étaient l’exception. Aujourd’hui, il y en a de plus en plus, elles deviennent la norme. Une série peut maintenant ne présenter qu’un seul point de vue, n’a pas à forcément épouser tous les points de vue pour plaire à tout le monde. Plus on a de diversité et d’expériences à la télé, mieux elle se porte. Et nous avec.