«Séries Mania»: «L'âge d'or des séries ne fait que commencer»
INTERVIEW•Le créateur de « Narcos », Chris Brancato est le président du jury de la première édition lilloise du festival Séries Mania…Propos recueillis par Anne Demoulin
L'essentiel
- La première édition lilloise du festival Séries Mania ouvre ses portes ce vendredi jusqu’au 5 mai, à Lille.
- Le président du jury, Chris Brancato, a écrit et produit plus de 200 heures de séries, parmi lesquelles X-files, New York, police judiciaire et Hannibal. Il est également l’un des cocréateurs d’un succès de Netflix, Narcos.
- Celui qui prépare une nouvelle série, préquel du film American Gangster, réalisé par Ridley Scott, avec Forest Whitaker, dit avoir « hâte de voir toutes ces merveilleuses séries qui viennent de tellement de pays différents ».
Il n’est peu connu du grand public. Pourtant, depuis les années 1990, Chris Brancato est l’un des artisans des séries criminelles que nous apprécions tous parmi lesquelles X-Files, New York, police judiciaire et plus récemment, Hannibal. Il est aussi l’un des cocréateurs de Narcos , sur Netflix. Chris Brancato succède à Damon Lindelof aux commandes du jury du festival Séries Mania, qui ouvre ses portes ce vendredi jusqu’au 5 mai à Lille. 20 Minutes s’est entretenu avec le scénariste, producteur et showrunner de plus de 200 heures de séries.
Qu’est-ce que cela représente pour vous d’être le président du jury de Séries Mania ?
C’est passionnant. Je n’ai jamais fait avant. J’ai vraiment hâte de rencontrer les autres membres du jury et de voir toutes ces merveilleuses séries qui viennent de tellement de pays différents. Avoir accès à ces séries et les apprécier est quelque chose de rare aux Etats-Unis parce qu’elles ne sont pas diffusées ou difficiles à trouver. Sur le plan créatif, je suis content d’avoir l’opportunité de faire ça. Je dois vous avouer que d’avoir la possibilité de venir en France est toujours une priorité pour moi, donc j’espère aussi pouvoir profiter de Lille !
Comment peut-on juger une série ? Sur quels critères ?
Juger une série comporte quelque chose de subjectif, c’est à chaque spectateur, individuellement, de décider ce qu’il aime ou pas. Mais il existe des standards d’excellence : la qualité de l’écriture, de la réalisation, de la production, l’engagement que chacun éprouve avec la série et sa pertinence avec le monde d’aujourd’hui. C’est très difficile de déterminer quelle série est la meilleure. Mon sentiment est qu’elles vont toutes être géniales. Bien souvent, des projets qui le méritent ne sont pas récompensés, parfois aussi, des séries qui ne le méritent pas, le sont, mais dans la majorité des cas, une compétition comme Séries Mania apporte de l’exposition à ces séries auprès d’un large public et c’est une bonne chose !
Il y a beaucoup de séries européennes en compétition, en regardez-vous ?
Oui, ça m’arrive d’en regarder. J’ai par exemple aimé Deutschland 83 et Les Revenants. Des services comme Amazon ou Netflix réussissent à transformer des séries locales en phénomène mondial. Mais généralement, je suis tellement occupé à écrire et à produire que la liste de séries que j’ai à voir est longue. Il y a tellement de bonnes séries qu’on a plus le temps de tout voir ! Les recommandations de nos amis sont très importantes désormais. Je peux vous assurer que lorsque je vais revenir aux Etats-Unis, je vais, sans doute, parler, comme nous le faisons tous, des séries vues à Séries Mania à mes amis. C’est l’un des avantages des festivals.
Pensez-vous qu’on vive l’âge d’or des séries télévisées ?
La technologie conduit la créativité et inversement. L’apparition de la télévision câblée dans les années 1990 a autorisé à produire des séries pour un public de niche. Des shows comme Les Sopranos ou The Shield avec des personnages plus sombres et des visions plus noires de la vie. Le câble a permis d’avoir plus de chaînes. Maintenant avec les plateformes de streaming, nous avons une incroyable apparition de bonnes séries excellentes. A Hollywood, pendant très longtemps, il y avait une frontière entre les scénaristes de films et ceux de la télévision, les premiers snobant les seconds. Cette frontière est devenue complètement obsolète. Aujourd’hui, le système des studios américains fabrique des blockbusters, des films de superhéros qui doivent plaire à un large public transgénérationnel, partout dans le monde. Les gens de cinéma doués, comme David Fincher, veulent travailler pour la télévision. Ma prédiction pour les prochaines années, c’est que les grosses compagnies comme Netflix, Amazon, Disney et Fox, Hulu, vont se battre pour les talents et vont mettre beaucoup d’argent sur la table pour faire des grandes séries. Nous ne sommes qu’au commencement d’une très bonne époque pour les séries.
Parlons un peu de « Narcos », qu’est-ce qui vous fascine tant dans les criminels ?
Je ne sais pas trop pourquoi mais les histoires de criminels m’ont toujours fasciné, et elles peuvent prendre différentes formes. J’ai travaillé sur X-Files, et là l’histoire criminelle avait une dimension surnaturelle. Comme beaucoup de personnes, le côté sombre, les personnes qui enfreignent les règles, qui commettent des actes que je ne pourrais pas commettre me fascinent.
En tant que scénariste, quelle est votre approche d’un criminel comme Pablo Escobar ?
Tout le monde savait que Pablo Escobar était un trafiquant de drogue en Colombie, mais il y avait plein de choses intéressantes à faire découvrir sur lui. Avec Narcos, je voulais aussi raconter cette histoire au travers différents points de vue : celui des narcotrafiquants, de la DEA, des gouvernements américains et colombiens.
Quels sont vos projets après le festival ?
Après le festival, je vais travailler sur un autre projet qui s’appelle The Godfather of Harlem [une série préquel au film American Gangster, réalisée par Ridley Scott], avec Forest Whitaker. Cette série va explorer la collision entre le monde souterrain criminel et le mouvement des droits civiques dans les années 1960. Le thème des droits civiques m’intéresse beaucoup, c’est aussi une histoire aussi longue que fascinante.
Cette histoire fait écho à notre époque…
Lorsque vous faites une série qui se déroule dans le passé, comme Narcos dans les années 1990 ou Godfather of Harlem dans les années 1960, vous devez vous demander si ce contenu est encore pertinent, sinon, pourquoi utiliser tout cet argent pour recréer cette époque. La notion de nation divisée est présente, et cela rejoint les préoccupations de l’Amérique d’aujourd’hui. Une série criminelle se doit d’offrir quelque chose de socialement pertinent, ce n’est pas juste que des flingues et des cadavres !