COSTUMELes masques vont-ils entrer dans nos garde-robes ?

Déconfinement : Les masques vont-ils entrer dans nos garde-robes comme accessoires de mode ?

COSTUMEVenu de l’attirail de santé publique en période d’épidémie, le masque intéresse déjà les mordus de mode
Benjamin Chapon

Benjamin Chapon

L'essentiel

  • Le masque est désormais obligatoire dans certaines conditions pour lutter contre l’épidémie de coronavirus.
  • L’accessoire peut être stylisé, notamment ceux faits maison, et pourrait devenir un accessoire de mode à part entière.
  • Le sociologue Frédéric Godart et l’historienne de la mode Marie-Laure Gutton expliquent à 20 Minutes qu’il existe de nombreux obstacles avant que le masque ne devienne un objet de mode.

De type sopalin, becs de canard ou faits maison… Obligatoires dans les transports, vivement conseillés un peu partout ailleurs, les masques sont au centre des attentions de nombreux ex-confinés qui veulent s’en procurer pour pouvoir sortir en toute sécurité.

Mais le masque deviendra-t-il, à l’instar de l’éventail, du chapeau ou de la cravate, un accessoire de mode ? Aura-t-on, à l’avenir, des collections printemps été de masques ? Chanel et La Redoute se disputeront-elles le marché ? Choisira-t-on son masque pour refléter notre personnalité, notre état d’esprit, la place que l’on entend occuper dans la pyramide sociale ?

« Il est trop tôt pour répondre à ces questions, tranche en préambule Frédéric Godart, sociologue et spécialiste de la mode. Mais on peut discuter de la chose. » Ouf.

La longue histoire des accessoires pas pratiques

Pour essayer de deviner la place que le masque aura dans le vestiaire à l’avenir, Marie-Laure Gutton, responsable du Département Accessoires au Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris, reprend les choses depuis le début : Nefertiti. « Or objets de parures comme les bijoux, les accessoires de mode ont tous eu, dans le passé, une fonction pratique. Chez les Egyptiens de l’antiquité par exemple, les gants devaient protéger de la chaleur. Les éventails servent eux à chasser les odeurs ou les mouches. Les chaussures ont aussi une fonction pratique au départ, celle de protéger le pied. Avec le temps, ces objets se modifient parfois pour permettre d’identifier un rang social, le foulard qui protégeait la gorge du vent devient la cravate. Et enfin, ils peuvent devenir des objets de mode, de luxe. Parfois, en tant qu’objet de mode, l’accessoire va à l’encontre de sa fonction pratique originelle, par exemple avec les chaussures à talon… »

Revenons à nos masques. Pourra-t-on bientôt les arborer comme on porte un chapeau ou un collier à téléphone portable ? « La pratique du port du masque va s’imposer en Occident, comme elle est devenue presque traditionnelle en Asie, même s’il y a des résistances, analyse Frédéric Godart. Pourtant, le pas à franchir pour en faire un objet de mode est grand. » Le sociologue est déjà très surpris de la façon dont il s’est installé dans nos vies en deux mois. « La sémiologie du masque s’est complètement inversée. Auparavant, celui qui portait un masque était ostracisé, il était une personne dangereuse. Aujourd’hui, le porteur de masque est sain, il a une pratique saine. Il envoie même un message de solidarité avec son masque, il se montre averti du danger, veut être utile à la société en ne tombant pas malade… Ce changement est spectaculairement rapide, et va rester un cas d’école. Jamais un accessoire n’avait connu un retournement aussi fort. »

Le masque, ou l’autre pain

Une autre nouvelle dimension du masque que nos spécialistes ont noté avec surprise est son mode de fabrication. Alors que le gouvernement peinait à s’en procurer, les Français ont décidé de s’en fabriquer eux-mêmes. « Il y a, dans l’émergence des masques comme accessoire, une notion de bricolage personnel qui est assez nouvelle dans la mode, note Frédéric Godart. Cette émergence s’inscrit dans un contexte où le Do It Yourself (DIY) est dans l’air du temps, et a une dimension politique, contrairement à la couture d’autrefois. » Marie-Laure Gutton est aussi admirative de ce mouvement mais tempère : « Faire son masque soi-même, c’est aussi participer à un élan. Mais on ne peut pas faire n’importe quoi avec un masque pour qu’il reste aux normes. La broderie ou le strass contreviennent à la fonction sanitaire du masque par exemple. Je ne pense pas qu’ils résistent à un passage en machine à 60°… »

L’historienne de la mode note aussi que « les marques ont été dépassées par le DIY. Elles ont peut-être encore eu un peu peur d’être taxées d’opportunisme si elles proposaient des masques. Du point de vue des marques, l’objet va, à mon avis, rester très perturbant. Dans notre société très active, on n’aime pas trop les contraintes. Il sera difficile de trouver du plaisir à porter un masque. » Ils existent cependant quelques exceptions. Après tout, les stars aussi ont besoin de porter des masques. Off White a ainsi un masque très populaire à 900 euros. Protège-t-il du coronavirus ? Rien n’est moins sûr. Ces masques ont été imaginés par des marques qui ont constaté qu’ils devenaient populaires pour se protéger de la pollution.

Une essence et un tabou

Pour l’instant, les groupes de luxe ayant annoncé se lancer dans la production de masques contre le coronavirus l’ont fait dans un but de santé publique et non avec un objectif stylistique et encore moins de profit (à part en termes d’image…) « Le masque restera un objet très chargé de sens vis-à-vis du contexte de son apparition, analyse ainsi Marie-Laure Gutton. Le chapeau peut avoir une fonction détournée qui permet à ses porteurs de se démarquer. Pour le masque, l’essence même de l’objet reste son utilité sanitaire. Se démarquer sera difficile. »

Frédéric Godart explique ainsi que le masque est encore un objet qui uniformise la population. D’où l’émergence des masques faits maison, dans des tissus spécifiques. Le sociologue note que le principal obstacle à l’acceptation du masque en tant qu’accessoire de mode est qu’il est « tabou, et même illégal, de se cacher le visage dans l’espace public. C’est assez fascinant de constater que les polémiques sur le port du voile vont disparaître après avoir beaucoup occupé les discussions… » L’historienne de la mode note également que le vestiaire commun comporte peu d’objets comme le masque : « Se cacher le visage est très inhabituel dans la mode. Il y a eu les voilettes, très à la mode à la fin du XIXe siècle et au début du 20e, qui servaient à se protéger de la lumière ou de la poussière mais qu’on ne voit plus guère que lors de certains mariages. Il y a aussi, aux débuts de l’automobile, eu une cagoule intégrale à visière intégrée. C’était un signe distinctif des conducteurs et propriétaires de voitures. »

La génération Z à la rescousse

Assigné à un usage sanitaire, anxiogène, boudé par les marques, absent de l’histoire de la mode… Le masque va avoir du mal à venir côtoyer les écharpes, les parapluies et les casquettes. A moins que la génération Z ne s’en mêle. « J’ai vu sur YouTube des tutos pour maquiller son masque, pour faire une sorte de trompe-l’œil », a noté Marie-Laure Gutton. « Il va être intéressant d’observer la machine médiatique, explique Frédéric Godart. Le masque sera-t-il accepté comme accessoire de mode et de luxe ? Sans doute y aura-t-il différentes phases et des messages différents, comme pour la jupe qui a porté et porte encore les messages contradictoires de libération des femmes et d’asservissement au patriarcat. Pour la génération de la bise et du serrage de main, le masque pourrait rester un objet lié à la maladie. Il sera peut-être plus banal, voir, par des processus d’accessoirisation, porteur de messages revendicatifs pour les plus jeunes… »

Le musée des Art décoratifs a déjà prévu d’intégrer sa future exposition sur le luxe un flacon de gel hydroalcoolique produit par LVMH. Les masques intégreront-ils les collections du Palais Galliera ? « Pourquoi pas, rigole Marie-Laure Gutton. Je vais soumettre l’idée. » Faute d’entrer dans nos vestiaires, le masque intégrerait ainsi la grande histoire des accessoires de mode.