Avec « Mystifications », Patrick Cohen explore les plus grandes controverses scientifiques
Documentaire•Le documentaire de Patrick Cohen est à retrouver ce dimanche soir sur France 5, à partir de 20h55Lina Fourneau
L'essentiel
- On les appelle « les mystificateurs », ces grands imposteurs de la science qui ont à un moment de l'histoire fait croire au miracle d'une découverte qui bouleverserait notre société.
- A travers quatre histoires - le traitement de la cyclosporine pour le Sida, l'affaire Lyssenko, la mémoire de l'eau et le climatoscepticisme de Claude Allègre - le journaliste Patrick Cohen revient sur des décennies de controverses scientifiques.
- Le documentaire est à retrouver ce dimanche 3 septembre, dès 20h55, sur France 5.
Trois ans après le début de la crise du Covid-19, l’heure est au bilan. Il n’est pas question de revenir ici sur ce qu’il a été bien ou mal fait. Non ici, on parle surtout des controverses scientifiques et de la dernière en date avec Didier Raoult et la promotion de l’hydroxychloroquine pour lutter contre le coronavirus. Il n’en est toutefois qu’un prétexte, un point de départ pour Patrick Cohen pour revenir sur toute une ère de mystificateurs à travers 90 minutes de récits, témoignages et archives historiques. Et c’est à retrouver dans un documentaire diffusé ce dimanche soir (à 20h55), sur France 5.
Au départ, l’idée provient d’une envie générale de travailler sur « la désinformation, les grandes tromperies et les mystifications en matière d'information », raconte à notre micro Patrick Cohen. Mais le sujet est large et il faut réajuster la focale. Aurait pu être raconté par exemple l’affaire des faux charniers de Timisoara à la fin des années 1980, mais Patrick Cohen préfère se recentrer sur le sujet des mystifications scientifiques et médicales. « Cela me semblait beaucoup plus amusant d’aller raconter ces histoires-là en sachant par avance qu’il y aurait des échos avec ce qu’on avait vu pendant la crise du Covid-19 et avec Didier Raoult et l’IHU ». Sans trop d’hésitation, le choix s’arrête sur quatre affaires chacune plus emblématiques les unes que les autres.
Quand la science devient politique
Il y a d’abord le traitement de la cyclosporine pour le Sida, l’affaire Lyssenko pendant le régime soviétique, le faux miracle de la mémoire de l’eau et enfin la présence médiatique du climatosceptique Claude Allègre devenu ministre de l’Education nationale sous Jacques Chirac. Si le lien ne saute pas aux yeux ici, il y a pourtant un fil conducteur troublant entre ces affaires : la science peut vite devenir une affaire politique et médiatique, en témoigne la conférence de presse organisée de force le 29 octobre 1985 pour présenter le miraculeux traitement de la cyclosporine, un médicament immunosuppresseur. « L’épisode du Sida est très éclairant même si on n’en a pas gardé un souvenir très vif parce que l’épisode n’a duré que quelques jours », souligne Patrick Cohen qui se remémore avec un petit sourire la phrase du scientifique en chef de cette affaire Philippe Even : « Mieux vaut un espoir déçu que pas d’espoir du tout ».
Outre le faux pas scientifique, il y a également l’idéologie politique qui se retrouve au centre de ce documentaire à travers l’affaire Lyssenko. Au cœur des années soviétiques, le biologiste propose une nouvelle vision de l’agriculture grâce à la génétique… qui s’oppose formellement à la vision Occidentale. Mais cette technique n’a rien d’une révolution et la popularité du scientifique finit par s’écrouler. « Même si l’écosystème médiatique est différent, on voit que les choses peuvent se reproduire. Il y a les mêmes mécanismes à l’œuvre. Au lieu de produire des vérités, dans le cadre de la science, de se tenir au consensus scientifique ce qui était le cas pour les lois de Mendel et Darwin sur la génétique - on préfère mobiliser les opinions marginales et dissidentes qui sont portées par des scientifiques isolés », commente Patrick Cohen.
La question de l'emballement médiatique
La mémoire de l’eau en est autre exemple marquant. En 1988, l’immunologue Jacques Benveniste propose une théorie qui légitimerait l’homéopathie. Dans les médias, on crie au miracle. Mais très vite, le traitement devient controversé et ses liens avec les laboratoires Boiron sont suspectés. La faute à qui ? Au scientifique ou aux médias qui ont fait trop rapidement l’écho de la découverte ? Pour Patrick Cohen, comme il existe de bon et de mauvais scientifiques, « il existe de bons et de mauvais journalistes ». « Il faudrait une discipline collective qui n’existe pas », regrette le chroniqueur qui toutefois remarque des évolutions lors de la crise du Covid-19. « Didier Raoult n’a jamais été invité au Journal télévisé de 20 heures, il n’a pas eu la surface médiatique qu’il aurait pu espérer avoir compte tenu l’ampleur de ses révélations. Beaucoup de journalistes ont eu un réflexe sain de prudence », remarque-t-il. Seul changement majeur depuis ces controverses historiques : l’arrivée des réseaux sociaux qui forment une nouvelle caisse de résonance.
90 minutes plus tard, le documentaire touche à sa fin et il n’aura même pas été remarqué l’absence de l’investigateur du sujet, Didier Raoult. « Je ne voulais pas tirer sur la ficelle. Trois ans après, qu’est-ce qu’on aurait pu raconter de neuf et d’intéressant en plus des choses qui ont déjà été dites, filmées, publiées ? », se questionne Patrick Cohen. Et le journaliste de rajouter : « Je suis assez fier qu’on ait pu aborder le sujet de façon originale par un pas de côté et sur des histoires qui évoquent cette crise sans directement l’arborer. Ça me semble être une façon originale de le faire même si ce n’était pas évident au départ ».