ANALYSEBannir RT et Sputnik risque-t-il de faire plus de mal que de bien ?

Guerre en Ukraine : A quoi sert de bannir RT et Sputnik en Europe  ?

ANALYSELes médias russes RT et Sputnik ont été bannis de l'UE
Laure Beaudonnet

L.Be.

L'essentiel

  • Selon la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, RT et Sputnik sont coupables de colporter des « mensonges pour justifier la guerre de Poutine » en Ukraine.
  • Mais cette décision d’interdire ces deux médias aura-t-elle un réel impact sur la suite du conflit ?

RT et Sputnik sont dans le viseur de l’Europe. L’Union européenne a décidé de bannir ces « médias d’Etat russes » pour les empêcher de diffuser leurs « mensonges » sur la guerre menée par Moscou en Ukraine, a annoncé ce dimanche la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. De son côté, Jean-Yves Le Drian a annoncé un ensemble de nouvelles sanctions « à la fois financières et économiques » pour « mettre fin à la désinformation diffusée en Europe par les organes de propagande russe ».

Dans la foulée, RT et Sputnik ont été bloqués ce mardi dans toute l’Europe sur YouTube. Peut-on vraiment considérer ces médias comme des organes de propagande et surtout quel effet aura cette décision sur la suite du conflit ?

« Je suis sceptique sur l’effet de RT France sur l’opinion en France »

Parler de propagande dans ce contexte est une erreur, pointe Carole Grimaud Potter, analyste géopolitique, spécialiste de la Russie et des espaces post-soviétiques : « On n’est pas dans un registre de propagande, parce que si vous prenez le terme étymologiquement, cela veut dire que vous ne pouvez pas vous échapper, vous êtes comme à l’époque soviétique quand les haut-parleurs diffusaient des messages toute la journée, vous étiez immergé dans ce bain et n’aviez pas accès à d’autres sources d’information. En France, on est libre de lire Le Figaro, Le Monde, ou RT. »

Même la couverture de la présidentielle de RT France a donné une place à l’ensemble des candidats et pas seulement à l’extrême droite. « Ils ont suivi une ligne prudente », pointe la chercheuse qui a travaillé sur l’influence concrète de la Russie à travers les médias tels que RT. « Jusqu’ici, on n’a jamais réussi à prouver qu’il y a eu une influence russe. Je crois que la décision de montrer du doigt RT était surtout politique ». Et Carole Grimaud Potter n’est pas seule à remettre en question la supposée influence de ces médias sur la population. « Je suis sceptique sur l’effet de RT France sur l’opinion en France, même s’ils ont eu un moment de gloire avec les gilets jaunes, confirme Maxime Audinet, auteur de Russia Today (RT) : un média d’influence au service de l’État russe (INA éditions), dans une interview à l’AFP. Les audiences de la télé sont minimales ».

« On perd notre sang-froid et on s’emporte »

Si RT et Sputnik ne sont pas réellement des organes de propagande, à quoi cela va servir de les interdire ? On peut difficilement miser sur son effet dissuasif dans la guerre actuelle. Il s’agit plutôt d’une rupture. On coupe toute possibilité d’offrir une plateforme de parole à la Russie en France ou en Europe. « On continue la guerre sur un autre plan, analyse Carole Grimaud Potter. D’abord les sanctions économiques, ensuite les sanctions médiatiques. C’est une réaction à chaud qui n’a pas été réfléchie, les conséquences n’ont pas été suffisamment pesées. On perd notre sang-froid et on s’emporte ».

Et il y aura probablement un effet boomerang pour la France. « Il va y avoir des mesures de rétorsion côté russe qui peuvent être assez lourdes : cela se traduira certainement par l’interdiction de diffusion de France 24 et RFI en Russie, anticipe Maxime Audinet auprès de l’AFP. Cela voudrait dire que les journalistes de France 24 et RFI seront expulsés ». Et la Russie pourrait cibler d’autres journalistes français. « Il faut être conscient que nous sommes des démocraties libérales avec un modèle pluraliste de médias, ce n’est pas le cas de la Russie », poursuit-il. La France risque ainsi de perdre des sources précieuses d’information en Russie.

« Cette décision, c’est entrer sur le terrain d’une vision illibérale des médias. La France doit pouvoir offrir une liberté d’expression, une liberté d’idées. Nous priver de cela, c’est aussi prendre en otage les Français, déplore Carole Grimaud Potter. On infantilise la population en disant : "Vous n’êtes pas capables de faire la différence entre un média comme Le Monde et RT" ». Reste à savoir comment cette décision va se mettre en place dans le pays. La France est le seul Etat membre de l’UE à accueillir sur son sol une filiale de RT et à lui avoir accordé une licence de diffusion. Il va falloir éclaircir, du point de vue du droit, comment on bannit un média français qui emploie plus de 100 journalistes français.