INTERVIEW« Je veux continuer à porter les cultures d’Outre-mer », assure Nella Bipat

« Ce qui se joue aujourd'hui, c’est la normalisation de la visibilité des Outre-mer », observe Nella Bipat, présentatrice de « Les Témoins d’Outre-mer »

INTERVIEWLa journaliste, aux manettes de la saison 2 de l'émission « Les Témoins d’Outre-mer », est ravie d'attirer un plus large public et de donner plus de visibilité aux territoires ultramarins dans les médias nationaux
Sélène Agape

Propos recueillis par Sélène Agape

L'essentiel

  • Nella Bipat est la présentatrice de l’émission « Les Témoins d’Outre-mer » (LTOM), produite par Eden TV et France Télévisions et diffusée sur France 3.
  • La diffusion du programme sur une chaîne historique du service public s’inscrit dans le cadre de la signature du Pacte de visibilité des Outre-mer.
  • Après 13 ans de carrière, la journaliste originaire de la Guadeloupe se félicite de l’évolution de la représentation des Outre-mer dans les médias, même si « ça ne veut pas dire que tout va bien ».

Lancée sur la disparue France Ô en 2016, l’émission Les Témoins d’Outre-mer (LTOM) s’est trouvé un nouveau foyer depuis un an sur France 3. Une migration réussie pour ce rendez-vous d’actualité quotidien [du lundi au vendredi à 8h40] et participatif dédié aux territoires ultramarins. Le programme vient renforcer la grille régionale de la chaîne, mais surtout s’inscrit dans le cadre du pacte de visibilité des Outre-mer sur les chaînes nationales de France Télévisions.

Nouveau public à découvrir et séduire, nouveau plateau, la crise du coronavirus et contraintes sanitaires… Pour sa deuxième saison aux commandes du magazine, la journaliste et animatrice Nella Bipat revient pour 20 Minutes sur l’importance de normaliser la voix des Outre-mer dans les médias français.

Vous présentez Les Témoins d’Outre-mer depuis deux saisons, quelle est la spécificité de cette émission ?

C’est une émission généraliste dont le but est de valoriser les patrimoines des Outre-mer. Et maintenant comment on y arrive ? A travers des portraits. Chaque jour, nous avons une séquence de six minutes autour d’une personne qui réussit dans les Outre-mer. Ça peut être un expert, comme le meilleur maître chai du monde en Martinique. On traite aussi des monuments, l’histoire, les grands hommes et les grandes femmes des Outre-mer. J’ai une chronique dans laquelle j’explique un terme du vocabulaire – qui l’utilise et si on l’emploie ailleurs - ou un nom de lieu, dont j’explique la racine.

On a aussi une autre chronique qui valorise des thèmes comme la solidarité, la jeunesse parce que c’est un défi fondamental dans les Outre-mer, l’économie comme avec le problème de l’accès à l’eau en Guyane, en Guadeloupe et à Mayotte. Le dernier aspect, c’est la diaspora. Un portrait autour d’un ou d’une Ultramarine installée, qui œuvre dans l’Hexagone. C’est ça Les Témoins d’Outre-mer. On jette des ponts.

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Avant, vous étiez sur France Ô, maintenant sur France 3. Comment ça se passe avec cette nouvelle audience ?

Ce n’est pas du tout le même public. On s’adresse à des gens qui sont curieux mais qui ne connaissent pas forcément les Outre-mer. France 3 a une thématique très précise le matin, celle des régions. Quand on était sur France Ô, l’émission était vue par sept fois moins de personnes, et c’était une démarche volontaire de personnes qui allaient sur la 19 [l’ancien canal de France Ô]. Là, on touche un public très différent, des curieux et ceux qu’on appelle les affinitaires [avec des intérêts communs]. Ça a changé complètement l’ADN de l’émission. Au début, Les Témoins d’Outre-mer, c’était une émission d’une heure avec des experts qui intervenaient selon des thèmes bien précis. Aujourd’hui, c’est axé sur la connaissance et la découverte des territoires ultramarins. Notre émission est commentée sur les réseaux sociaux, et on ne nous accuse pas de faire des clichés. Les gens s’y reconnaissent. Je me sens honorée de présenter tout ça.

Votre émission est participative, avec des témoignages venus des Outre-mer. Est-ce que ça vous tenait à cœur ?

Evidemment. Je fais ce métier pour ça. J’aime rencontrer des gens. Avant, j’ai présenté Investigatiôns [émission de documentaires diffusée sur France Ô], et on allait sans a priori comprendre une société, une situation. On avait des thématiques sociétales hyperdures, avec une portée Outre-mer mais aussi mondiale.

Le confinement a d’ailleurs changé le visage des Témoins d’Outre-mer. L’émission ne s’est jamais arrêtée durant cette période. Moi qui ai l’habitude d’être en plateau avec les cadreurs, l’oreillette et tout, je me suis retrouvée à filmer avec mon téléphone dans mon salon. Je n’aurai jamais cru ça. Ça a été d’abord dicté par l’obligation du confinement mais ça m’a bousculé et apporté. Je n’avais plus remonté un pied de caméra depuis l’école de journalisme. (Rires) On a vu qu’on pouvait continuer à valoriser les Outre-mer autrement. On a une émission qui reste au plus près des gens et qui s’adapte.

Vous avez aussi un panel diversifié de chroniqueurs ?

Exactement. Nous avons par exemple le journaliste et écrivain Daniel Picouly qui est une grande figure, qui est un puits de culture. Chacun de nos chroniqueurs a ses activités, ses thématiques phares mais est là pour défendre des causes des Outre-mer. Il y a aussi la gastronomie ultramarine. Cette année, nous avons quatre chefs : Louise Denisot, Yin-Line Chea, Brice Laurent Dubois et la renommée Suzy Palatin. Ça a d’ailleurs donné naissance au magazine culinaire Chef pays, diffusé sur l’ensemble des chaînes La 1ère. Et nous avons des correspondants dans les neuf territoires.

Vous avez remporté en 2017 le Grand prix de la presse internationale avec Investigatiôns. C’est une preuve de la richesse des Outre-mer ?

J’étais hyper fière d’avoir apporté ma touche dans cette émission, mais c’est le fruit d’un travail d’équipe. L’émission a été saluée par tellement de prix avant mon arrivée, dans les festivals, un Albert Londres. Elle servait à connaître les Outre-mer. C’était un format de 52 minutes, un support sur lequel on ne peut pas tricher. C’est un an de travail, alors il faut toujours être à l’affût et prendre le pouls de ces sociétés. Cette récompense était une reconnaissance pour tous les Outre-mers. Et ça a été l’occasion pour moi d’aller dans tous les territoires d’Outre-mer lorsqu’il y avait de grands enjeux comme l'ouragan Irma à Saint-Martin, le référendum en Nouvelle-Calédonie il y a deux ans, la grève générale à Mayotte... L’émission faisait un vrai travail de fond et avait une forte présence sur le terrain.

D’ailleurs, vous avez été peinée de la disparition de France Ô ?

(Rires) Franchement, j’aimerais bien connaître l’Ultramarin qui n’a pas été peiné par la fin de France Ô. On n’est malheureusement plus dans cette dynamique, ce n’est plus l’enjeu. Aujourd’hui, ce qui se joue c’est la normalisation de la visibilité des Outre-mer. Moi j’ai cette chance, je suis sur un média national, je parle à tous les publics. Aujourd’hui, il n’y a pas que mon émission. Quand on regarde France 3, on a deux opportunités de connaître le patrimoine des Outre-mer, mais également le journal. Est-ce que c’était normal qu’on ait le seul journal qui s’arrête le vendredi ? Eh bien, non. Alors on a changé ça, il est diffusé tous les jours désormais. Est-ce que toucher sept fois plus de gens c’est une opportunité de faire connaître et découvrir les Outre-mer ? Oui. A côté de ça, on a des soirées prime time comme Décolonisations sur France 2 avec Lucien Jean-Baptiste. Il y a énormément de choses à faire, même si la colère est légitime. Maintenant les lignes sont en train de bouger, à nous de rester vigilant. C’est dans ce sens qu’il y a le Pacte de visibilité des Outre-mer. La normalisation c’est la visibilité des contenus et aussi des visages dans les médias. Le service public doit avoir cette priorité, mais pas seulement lui, on doit s’attaquer à ça dans tous les médias. C’est un mécanisme qui doit être systématisé partout.

Est-ce que c’est difficile de faire entendre la voix de ces territoires dans les médias français ?

Il y a une écoute. Aujourd’hui, je peux dire qu’il y a un réflexe nécessaire qui, pour l’instant, est un petit peu forcé. Le but c’est qu’on ne se pose plus la question. Je ne veux pas que les gens pensent que je me réjouis de la fin de France Ô, mais ce n’est plus la question. Il y a des messages forts qui sont envoyés. On est encore au début. On a le portail Outre-mer La 1ère.

Vous avez observé une évolution sur les représentations des Outre-mer depuis le début de votre carrière ?

Oui ! Vous avez Kareen Guiock tous les midis sur M6, on a Harry Roselmack sur TF1, Patrice Férus sur TV5Monde et bientôt Karine Baste-Régis au 13 heures de France 2. C’est beau, parce que ce sont des gens compétents, qui sont présents, qui sont à leur place. Il y a toujours eu des Ultramarins qui sortaient d’école de journalisme, il y avait Audrey Pulvar et Christine Kelly sur le service public. Maintenant est-ce qu’on avait tous des opportunités ? Ce qui a changé aujourd’hui, c’est qu’on a un faisceau convergent dans les contenus proposés et dans les visages. Il y a plein de gens que j’admire qui ont des parcours dans les médias comme Fabrice Fabignon, Lucien Jean-Baptiste, Jean-Claude Barny, Luc Saint-Eloy… Ça ne veut pas dire que tout va bien, mais il y a eu du changement.

Quels sont vos projets à venir ?

Ma carrière, je l’ai construite avec l’envie de découvrir, aussi bien dans l’animation que la réalisation de documentaires. Pour l’instant, je suis sur la deuxième saison des Témoins d’Outre-mer. Je ne sais pas où ça va me mener, je vis dans l’instant présent… Mais j’ai envie de continuer à porter les cultures d’Outre-mer.