« Les médias ne doivent pas dire aux gens comment ils doivent penser », estime Apolline de Malherbe
« 20 MINUTES » AVEC...•À l’occasion de sa grande rentrée sur RMC, Apolline de Malherbe décrypte la façon dont son émission va s’inscrire dans un paysage médiatique dont les Français se méfient davantage chaque annéePropos recueillis par undefined
L'essentiel
- Tous les vendredis, 20 Minutes propose à une personnalité de commenter un phénomène de société, dans son rendez-vous « 20 Minutes avec… ».
- À partir de ce lundi 24 août, Apolline de Malherbe se retrouve à la tête de la matinale de RMC et RMC Découverte avec l’émission Apolline Matin.
- La journaliste prend la succession de Jean-Jacques Bourdin et compte imposer sa patte tout en donnant davantage la parole aux auditeurs.
- « Ce qui me fait extrêmement plaisir, c’est le fait d’échapper à tous les codes et à toutes les boîtes », explique-t-elle à 20 Minutes.
C’est avec sa voix que des centaines de milliers de Français se réveilleront désormais. À partir de ce lundi, Apolline de Malherbe prend les commandes de la matinale de RMC, également diffusée sur le petit écran via RMC Découverte, à la suite du départ de Jean-Jacques Bourdin. Grâce à cette promotion, la journaliste s’inscrit comme l’unique femme actuellement seule à la tête d’une matinale radio.
À quelques jours de la grande première d’Apolline Matin, le nom de cette nouvelle émission, celle qui fait partie des visages emblématiques du groupe NextRadioTV se confie à 20 Minutes. Il y est question de son rapport aux auditeurs, mais également de sa place en tant que cheffe d’orchestre de plus de deux heures d’informations. Du traitement de la crise sanitaire dans les médias au manque de confiance des Français face à l’actualité, Apolline de Malherbe analyse ce nouveau défi qui l’attend.
Comment vous sentez-vous à J-3 de votre première ?
Je suis heureuse et concentrée, mais aussi attentive et au travail. Cela fait une semaine que je suis à la rédaction pour préparer, affiner et régler tous les petits boulons mais je suis profondément heureuse. J’ai le sentiment que ça arrive au bon moment et que ça va être une très belle aventure.
On s’imagine que le lancement d’une matinale représente beaucoup de travail. Est-ce que vous avez pu passer des vacances détente, ou est-ce que ça ressemblait plus à des vacances apprenantes ?
J’ai quand même passé des vacances détente parce que j’essaye de faire la part des choses mais cela dit, je n’ai pas du tout décroché. Je suis quelqu’un qui décroche peu pour être honnête, d’abord parce que l’actualité me passionne. Au lieu de lire les journaux en speed le matin, j’ai pu les lire tranquillement au soleil mais je voulais continuer à être en prise. L’été permet aussi de mûrir des idées que j’avais commencé à avoir sur la façon dont je voulais construire cette matinale.
Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement dans cet exercice ?
Ce qui me fait extrêmement plaisir, c’est que je vais retrouver ce qui m’avait déjà plu quand j’étais correspondante, à savoir le fait d’échapper à tous les codes et à toutes les boîtes. J’ai toujours voulu ne pas être enfermée dans la case de journaliste politique, je ne me suis jamais vue comme telle, mais comme journaliste avant tout. Quand j’étais correspondante à Washington, je pouvais autant commenter l’élection d’Obama que la mort de Michael Jackson, une tempête de neige ou une crise économique. Je trouvais ça formidable parce que je suis curieuse de tout. Je pense qu’il faut raconter le monde tel qu’il est aujourd’hui. Avec la matinale, je retrouve le fait de traverser toutes les cases sans être enfermée dans aucune. Pour moi, RMC, c’est la France et les Français, une radio où l’on est en lien direct avec les Français. Ce n’est pas quelque chose de lointain. C’est la quintessence de ce que sont les Français, et ça me plaît profondément.
Vous connaissez bien la maison et ses auditeurs. Selon vous, qu’ont-ils besoin d’entendre à la radio ?
Je viens avec une spécificité qui est mon rapport à l’actu. Je crois beaucoup au fait qu’on a envie de savoir ce qu’il se passe au moment où cela se passe. Le matin, mon rôle est de donner aux auditeurs les grandes actus du jour dès 6 heures. Je regarde les télés américaines, je trouve qu’ils ont souvent un truc que l’on n’a pas, qui est leur capacité à être à la fois hyper convivial et sérieux. Ils ne s’interdisent pas d’être fun et souriants pour parler de choses très sérieuses. Ils martèlent l’actu aussi, ils ne vont pas aller inventer pour avoir l’air plus complets. Je vais tenir cette promesse-là. Toutes les demi-heures, ceux qui regardent ou écoutent RMC auront les trois grandes actus déclinées. Je n’ai pas peur de me répéter sur l’actu, en revanche je ne me répéterai jamais sur les interlocuteurs. Il y aura des invités différents qui apporteront un éclairage différent. Sur la question des masques par exemple, on peut avoir un médecin, puis un anti-masque, et un ministre. Pour moi, la matinale est comme une boule à facettes, il faut avoir toutes les facettes d’une même matrice qu’est l’actu.
Selon plusieurs rapports, la confiance des Français dans les médias est à son niveau historique le plus bas. Est-ce que vous avez des pistes pour l’expliquer ?
À mon niveau, je dirais que ma responsabilité est d’autant plus grande dans la rigueur et dans l’explication. RMC est une radio d’opinion, et mon rôle est de donner aux auditeurs toutes les clés pour qu’ils se construisent leur propre opinion. Je leur donne des informations solides pour qu’ils sachent pourquoi ils ont telle ou telle opinion. Dans les autres matinales, c’est plutôt une succession d’éditos, politiques ou économiques. Ma fierté, c’est qu’il n’y a pas d’édito sur RMC. Chacun des invités est un acteur de l’actualité et les chroniqueurs donnent des clés. Je considère qu’on ne doit pas dire aux gens comment ils doivent penser, on leur donne des clés pour qu’ils puissent penser ce qu’ils veulent en toute liberté.
De manière générale, les matinales de radio sont incarnées par des hommes. Considérez-vous que c’est un pari pour RMC, une radio plutôt masculine, de vous avoir mis à la tête de sa matinale ?
Ça me fait d’autant plus plaisir que ça vienne de RMC parce qu’effectivement, c’est une radio considérée comme plutôt masculine. Ça ne me surprend pas car quand on m’a donné l’émission politique phare de BFM, je succédais à Olivier Mazerolle. A l’époque, j’étais une femme de 32 ans. On avait trouvé ça très audacieux à l’époque, et visiblement, je crois qu’on peut dire que c’était un pari réussi. J’aimerais idéalement que ce ne soit pas quelque chose que l’on note. Force est de constater que ça l’est parce que lorsque l’on regarde les autres matinales de la rentrée, je serai la seule femme à avoir les manettes et à être cheffe d’orchestre. Cela veut dire que ce n’est toujours pas quelque chose d’évident. Mon attitude est très partagée, parce que j’aimerais me dire que ce n’est pas un sujet mais je constate que ça l’est. Si je peux contribuer à montrer que c’est une très bonne chose, tant mieux. Je pense porter à la fois ce qu’est ma génération, mais aussi ce qu’est le fait d’être une femme, une mère de famille. On vient chacun avec ce que l’on est, et encore plus en radio, parce que c’est un média très vrai. On est beaucoup dans l’authenticité.
Votre émission s’appelle « Apolline Matin » et repose donc sur votre prénom. Cela contraste avec « Bourdin Direct », où seul le nom de l’animateur était utilisé. Y voyez-vous une quelconque trace de sexisme ordinaire ?
Le nom, c’est moi qui l’ai trouvé. Personne ne me l’a imposé. On a pensé aux noms « Malherbe Direct », « Malherbe Matin », et même « Direct Apo ». On tournait autour de l’idée et on s’est arrêtés sur « Apolline Matin ». J’ai un prénom particulièrement emblématique parce qu’il est assez rare, du moins à mon âge, et je trouvais ça d’autant plus sympa car les auditeurs m’appellent par mon prénom. J’ai un nom de famille qui est moins direct qu’Apolline. Il ne faut pas y voir de malice. Et si la direction de RMC était macho, elle ne m’aurait pas donné la matinale (rires).
Quel bilan personnel tirez-vous du traitement médiatique de la crise du coronavirus ?
Il est peut-être encore un peu tôt pour le faire. On le voit bien encore aujourd’hui avec la rentrée marquée par l’inquiétude du Covid. Je me dis que parfois, peut-être au début, on n’osait pas challenger les médecins. On les connaissait peu, on estimait à raison qu’on n’y connaissait rien. J’ai trouvé qu’eux-mêmes nous avaient alertés sur le fait que ce n’était pas une science exacte. Nous journalistes, au début, on avait une sorte de révérence ou d’intimidation face aux médecins, qui faisait de leurs interventions presque une science absolue, alors qu’eux-mêmes nous ont prouvé avec l’évolution de leur regard et de leurs connaissances sur le virus que les certitudes du début de la crise n’étaient plus les mêmes à la fin. Cela nous invite à une plus grande finesse. On s’est rendu compte que c’était une matière que l’on avait peu connue. Globalement, j’ai trouvé leur attitude très juste. Ils nous ont appris qu’il y avait des choses que l’on ne savait pas, et qu’il fallait le dire quand c’était le cas.
Est-ce que vous considérez cette période comme la plus intéressante à traiter à titre professionnel ?
Ça a été la période la plus complexe parce qu’elle nous touchait tous dans nos vies. On n’était pas extérieurs à un événement raconté ou commenté. C’est quelque chose que l’on a tous traversé. Fabriquer de l’actualité dans un contexte où le pays est totalement à l’arrêt, c’était un énorme challenge. Ça a été une période difficile, y compris personnellement en tant que mère de famille. J’aurais à cœur d’être d’autant plus bienveillante et à l’écoute parce que l’on est tous meurtris par cette période. En termes de journalisme, on s’est transformés en soldats. Il fallait être là. Dans un sens, on est revenus à la quintessence de notre métier où l’on doit informer, accompagner et aider à mieux comprendre. En revanche, je refuse de dire que c’était la période la plus forte. Je me souviendrai toujours des moments où l’on a dû commenter les actes terroristes, c’est une chose que je n’oublierai jamais.
Selon les dernières audiences de Médiamétrie, la radio a souffert du confinement et de la crise de manière générale. Quels sont vos défis de la rentrée pour faire revenir ceux qui sont partis ?
Je crois que c’est à moi de les convaincre. Mon souhait, c’est que ceux qui appréciaient déjà cette matinale comprennent que tout ce qu’ils aimaient reste en place. Je dois aussi attirer des gens qui n’avaient pas forcément le réflexe RMC, qui n’y avaient pas pensé, ou qui se disaient que c’était une radio pour d’autres. Ils y trouveront cette chaleur, cette écoute et, en même temps, cette rigueur. Je crois pouvoir dire qu’on en fera la matinale la plus complète de France.