On a lu « Les sentiers de neige » de Kev Lambert (qu'on a aussi interviewé)
RENTREE LITTERAIRE•« Les sentiers de neige » de Kev Lambert est paru en octobre 2024 chez Le Nouvel AttilaChristian Dorsan membre de la communauté 20 Minutes Books.
L'essentiel
- Les lectures coups de cœur, ça se partage.
- Notre communauté vous recommande chaque jour un nouveau livre.
- Aujourd’hui, « Les sentiers de neige » de Kev Lambert paru le 5 octobre 2024 aux Éditions Le Nouvel Attila.
Christian Dorsan, auteur, blogueur et contributeur du groupe de lecture 20 Minutes Books, vous recommande « Les sentiers de neige » de Kev Lambert, qu'il a interviewé. Son nouiveau roman est paru le 4 octobre 2024 aux Éditions Le Nouvel Attila.
Sa citation préférée :
« On est des poussières portées par le vent, des plantes qui ont éjecté leur pollen, des champignons qui ont libéré leur spore. On est tout ça : la plus minuscule des choses, la totalité du paysage. On se croise, on se mélange et on forme un vaste marécage où rien n’est discernable, aucun absolu, plus de toi ou de moi. Les frontières s’affaissent, on est un grand dessin sans contours dont les couleurs se noient. » »
Pourquoi ce livre ?
- Parce que lire Kevin (prénommez le « Kev » maintenant) Lambert c’est voyager dans la langue du Québec et se surprendre à articuler avec l’accent de nos cousins d’outre Atlantique. En quelques années, il est devenu un incontournable de la rentrée littéraire en proposant des romans forts et captivants. Oublié la « polémique » de l’an passé qui ne l’a pas empêché d’obtenir le Prix Médicis, cette année, c’est un roman qui oscille entre fiction et réalité, entre imaginaire d’enfant et monde cruel d’adulte, un roman mordant doté d’une incroyable poésie.
- Parce qu’on retrouve la thématique de l’enfance et cette peur de la quitter pour rejoindre l’âge ingrat, celui des préados, puis le monde des adultes. Et les adultes dans ce roman, ils sont à peine caricaturés, mais derrière un délire collectif qui s’empare de la famille Lamontagne au réveillon de Noël, se cachent des fêlures, des blessures, de très beaux portraits fouillés, des histoires de frères qui se conduisent comme des sales gosses et qui ne comprennent pas l’univers des enfants, le tout, sous l’œil sévère d’une matriarche encore affectée par le deuil de son mari.
- Parce qu’en volant sauver Skyd, créature échappée d’un jeu vidéo, Emie-Ann et son cousin Zoey vont exhumer leurs traumas pour les surmonter. L’imaginaire incroyable de ces deux enfants, va se rencontrer et se matérialiser dans une course-poursuite dans des tunnels de neige où des mondes fantastiques ou effrayants les attendent. L’auteur possède cette intelligence de rendre accessible au lecteur, un univers d’où sont exclus la rationalité et nos réflexes de cohérence. Les mots nous emportent dans un tourbillon qui semble sans fin, où on devine à demi-mot le désarroi des deux cousins.
- Parce que si l’imaginaire rassemble, les deux cousins ne sont pas dupes : c’est bel et bien la vie et les masques que les adultes imposent qui fabriquent les différences. Emie-Ann est une enfant adoptée d’origine chinoise, elle prend conscience de sa place dans la famille et dans sa nationalité québécoise elle aussi adoptée, quant à Zoey, enfant de divorcés, la question d’identité de genre s’oppose à la notion de virilité que souhaite Carl son père. Une semaine de vacances de Noël qui se révèle en initiation et signe la fin de l’enfance au grand désespoir de nos jeunes héros.
Kev Lambert, vous retournez dans ce nouveau roman sur les lieux de votre enfance, votre écriture est aussi un territoire ?
Mon écriture se nourrit toujours de sentiments ambivalents, ou contradictoires. Et ma relation à la région où j’ai grandi est ambivalente. C’était un monde violent, où le rejet et l’exclusion étaient normalisés. En même temps, je reviens toujours aux lieux que j’ai connus, je les hante, comme Joyce Carol Oates lorsqu’elle écrit qu’« au commencement, nous sommes des enfants imaginant des fantômes qui nous effraient. Peu à peu, au cours de nos longues vies, nous devenons nous-mêmes ces fantômes, hantant les paysages perdus de notre enfance. » (Paysages perdus). Ce sont les discours, les imaginaires, les mondes fantastiques, les lectures, les propos, les langues, les relations, les personnages, les dynamiques de pouvoir de mon enfance qui ont nourri ce roman. Mais aussi les paysages perdus – la forêt, les montagnes de neige –, et les espaces périphériques : ces sous-sols de bungalows qui étaient nos refuges.
Quitter l’enfance est douloureux pour Zoey et Émie-Anne. Qu’est-ce qui vous fait peur chez les adultes ?
Pour les personnages de mon livre, l’adolescence et l’âge adulte sont des territoires inconnus, dans lesquels il est dangereux de s’engouffrer, et qui exercent une fascination horrifique pour cette raison. Mes personnages haïssent les adultes, les trouvent stupides, ennuyeux et laids, principalement parce que les adultes ne s’intéressent jamais au monde des enfants, à ce qui remue dans leur cœur et leur tête. C’est un thème important du roman : les adultes ne croient pas et n’écoutent pas les enfants. Laissés à eux-mêmes, mes personnages organisent leur vengeance contre ce monde qui les ignore et les bafoue. En même temps, l’univers des cousins plus âgés, ou des oncles et des tantes avec leurs blagues pleines de sous-entendus, fait signe à cette zone trouble de la sexualité, qui prends des traits monstrueux. Zoey est entré en contact malgré lui, et beaucoup trop tôt, avec cette part obscure, qui se manifeste comme une accusation, un reproche qui le désigne et le hante sans qu’il comprenne pourquoi.
L’imaginaire et la mission des deux cousins les rendent complices. Se soustraire à l’imaginaire, est-ce pour vous se séparer des autres ?
Les sentiers de neige, comme mon précédent (Que notre joie demeure), est un roman sur la vie intérieure : son architecture, sa texture, sa matérialité, ses labyrinthes. Pour Émie et Zoey, l’intériorité prend la forme d’un monde souterrain semblable aux donjons des jeux vidéo qu’ils adorent. Leur mission les amène à s’enfoncer dans cet espace imaginaire, à la fois réel et fictif, construit et découvert par les enfants. L’imaginaire, pour eux, est un mode de résistance. Ils ne peuvent pas encore traduire leur désarroi en termes politiques, mais ils peuvent rêver. Ils ont l’âge des relations fusionnelles, et l’esprit plastique, télépathe, des grandes amitiés. S’ouvre pour eux un espace commun, qu’ils explorent à deux, sans que les frontières de leurs identités propres soient toujours très claires. Là-bas, ils ne sont plus tout à fait eux-mêmes, ils se fondent et ils se soulagent du poids d’exister. Dans leur fuite, ils creusent un peu trop loin, et finissent, au fond d’eux-mêmes, par retrouver les horreurs – masquées – qu’ils voulaient fuir.
Après Que ma joie demeure, on retrouve l’univers fantastique de Tu tueras ce que tu auras aimé. De ces deux univers, avec lequel vous vous sentez le plus attiré ?
J’aime brouiller les distinctions entre les catégories. Mes textes ne sont ni strictement réalistes, ni strictement fantastiques. Dans Les sentiers de neige, je ne tranche pas. On ne sait jamais si les aventures que vivent les enfants sont vraies ou non. J’ai souvent l’impression que le réalisme ordinaire, c’est-à-dire la perception du monde partagée par la majorité, est une norme qui m’empêche d’exprimer certains affects, certaines vérités existentielles ou littéraires. Il y a des choses qui ont besoin d’un écart avec la réalité pour se dire. La littérature poursuit un travail d’élargissement de l’espace perceptif, cognitif et affectif. La « fiction » n’est pas un simple supplément de réalité. Nos émotions, notre inconscient, ne connaissent pas les ennuyeuses clôtures qu’on met autour du « fictif » ou de «l’imaginaire». Une bonne part de notre vie psychique, de toute manière, se déploie dans les territoires de l’anormal.
L’essentiel en 2 minutes
L’intrigue. Zoey retrouve pour Noël sans cousine Emie-Ann et ensemble, ils vont devoir sauver Skyd, une créature échappée d’un jeu vidéo, avant d’intégrer l’âge des préados à moins qu’il ne s’agisse de se sauver eux-mêmes du monde des adultes.
Les personnages. Zoey et ses parents séparés Lina et Carl, Emie-Ann enfant adopté par Sandra et Benoit, la famille Lamontagne, Skyd échappé d’un jeu vidéo et des masques.
Les lieux. Chicoutoumi, le Lac Saint-Jean, Québec et des tunnels dans la neige.
L’époque. de Noël 2004 à janvier 2005.
L’auteur. Kev Lambert est un auteur canadien qui a reçu le prix Médicis en 2023 pour son roman Que notre joie demeure et le prix de Sade pour Querelle. Il est très impliqué sur la scène littéraire québécoise.
Ce livre a été lu avec une immense tendresse pour ces deux enfants qui ont peur de quitter l’enfance et de poser sur leur visage, le masque que les adultes leur imposent. Entre science-fiction, roman psychologique et poétique, Kev Lambert démontre qu’il est un grand auteur sur qui il faut désormais compter.
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