Ringards, vous dites ? Les romans-photos, c’est le comble du cool
OVNI LITTERAIRE•Sur les pas de « Guacamole Vaudou » de Fabcaro et Éric Judor, Ovidie et Sophie-Marie Larrouy ont sorti fin mai un roman-photo, « La Fabrique du prince charmant »
Laure Beaudonnet
L'essentiel
- En 2022, les éditions Seuil ont renoué avec le roman-photo avec le déjanté « Guacamole Vaudou », signé Fabcaro et joué par Eric Judor.
- Avec 120.000 exemplaires vendus, l’histoire de Stéphane Chabert est un carton en librairie.
- Au tour d’Ovidie et Sophie-Marie Larrouy d’explorer les potentiels de ce moyen d’expression avec « La Fabrique du prince charmant », paru le 24 mai.
Des photos ultra nettes, des brushings impeccables, des hommes virils et des histoires d’amour à l’eau-de-rose. Les romans-photos, si chers au magazine Nous Deux, connaissent une seconde jeunesse surprenante, réinventant le genre à coups d’humour et de discours politiques.
En 2022, les éditions Seuil ont renoué avec ce phénomène culturel de l’après-guerre, tombé en désuétude, avec une œuvre déjantée. Guacamole Vaudou, écrit par Fabcaro et interprété par Eric Judor, fait un carton. Avec 120.000 exemplaires vendus, l’histoire de Stéphane Chabert, roi de la lose, fait mieux que certains prix Albert Londres. Il est resté dans les dix meilleures ventes toutes catégories confondues pendant plusieurs semaines d’affilée.
Place à l’absurde et la critique
Deux ans plus tard, fin mai 2024, au tour d’Ovidie et Sophie-Marie Larrouy de jouer avec les codes de ce moyen d’expression pour déconstruire les relations hommes-femmes. Le duo féministe, déjà derrière la série Des gens bien ordinaires sur Canal+, s’est amusé à associer des images sorties d’un autre temps à des textes ultra-ironiques sur le monde d’aujourd’hui. Moins de deux semaines après sa sortie, La Fabrique du prince charmant, occupe la 19e place des meilleures ventes de livres, selon le classement de Datalib. Pourquoi cette forme de narration, longtemps critiquée pour sa mièvrerie, fait-elle à nouveau craquer le public ?
Les romans-photos ont laissé tomber les histoires d’amour gnangnan pour verser dans l’absurde, l’humour ou la satire sociale. La présence des stars du moment n’est pas non plus étrangère au succès. Un peu comme dans les années 1970 qui a vu des célébrités comme Mireille Mathieu, Johnny Hallyday ou Dalida jouer dans les romans-photos du magazine Nous Deux, Guacamole Vaudou s’est offert un joli casting.
« On a fait jouer des personnalités qui avaient des grosses communautés sur les réseaux sociaux, comme Alison Wheeler, observe Nathalie Fiszman, directrice littéraire au Seuil. Elisabeth Quin, Hervé le Tellier, Arthur H, David Castello Lopes ont participé. C’est la rencontre de gens qui a priori n’ont rien à faire ensemble dans un objet culturel complètement ovniesque. »
Un nouveau langage
D’autres auteurs comme Ovidie ou la plasticienne Clémentine Mélois, derrière Les Six Fonctions du langage, toujours chez Seuil, préfèrent s’appuyer sur des œuvres existantes pour servir leur propos et créer une nouvelle grammaire artistico-politique. « C’est intéressant de traiter de sujets engagés dans ce format pour toucher des publics qui n’iraient pas autrement », note l’éditrice qui effleure l’une des vertus de cet objet littéraire. Sa forme -des photos et des bulles- est percutante et résolument pédagogique.
« A son apogée, bon nombre de femmes qui ne savaient pas lire ont plus ou moins appris à lire avec le roman-photo, rappelle Marie-Charlotte Calafat, commissaire de l’exposition « Roman-Photo » montée en 2017 au Mucem. Malgré le côté à l’eau de rose, il était intéressant d’étudier cette production de la seconde moitié du XXe siècle pour comprendre comment il accompagnait les sujets de société ».
Dès les années 1950, le roman-photo sentimental marche à côté des mouvements féministes pour remettre en cause le mariage bourgeois, soulignait l’exposition du Mucem. Encore plus avec des autrices comme Ovidie et Sophie-Marie Larrouy à la manœuvre. « Coller un discours post-MeToo sur des photos des années 1970, imprégnées par le patriarcat, crée un nouveau langage. Cela met en lumière la façon dont on vit les choses aujourd’hui par rapport à ces années-là », constate Nathalie Fiszman.
Un moyen d’expression au potentiel large
Qu’il soit tourné avec des acteurs ou détourné, la magie opère. « Comme le dit Grégory Jarry, auteur et cofondateur de FLBLB [le seul éditeur à avoir exploré ce format avant Seuil], le roman-photo n’est pas un genre, c’est un moyen d’expression qui a un potentiel très large, cite Marie-Charlotte Calafat. A la fin des années 1960, des écrivains, humoristes, satiristes s’en sont emparés et nous ont montré le champ des possibles avec des réalisations étonnantes, sous la forme d’expérimentation, dont on est les héritiers. Le potentiel est extrêmement savoureux », conclut la directrice scientifique des collections du Mucem.
Plusieurs artistes comme l’humoriste Nora Hamzawi ou l’autrice Marguerite Abouet, derrière la célèbre série de bandes dessinées Aya de Yopougon, pourraient bien nous réserver d’autres surprises dans les mois à venir, avec des photos et des bulles.