Marceline Bodier, bookstagrameuse et contributrice du groupe de lecture 20 Minutes Books, vous recommande « Corps dans la nuit » de Pierre-François Kettler, paru le 20 octobre 2023 aux Éditions Avallon & co. L'auteur participe du 10 au 12 novembre au Salon de « L'autre livre » à la Halle des Blancs-Manteaux à Paris.

Sa citation préférée :

« Pour savoir qui a tué qui, il faut savoir qui aime qui. »

Pourquoi ce livre ?

• Parce que c’est une histoire éternelle : Lisette était jeune, elle était belle, elle a été tuée, et autour d’elle, il y a trop de coupables évidents… Elle était amoureuse, il l’était aussi, à moins qu’« il » soit un autre… « Ils étaient dans cet état d’apesanteur où le monde n’existe plus autour de nous, où ne compte que la pureté de nos sentiments, où tout le reste semble laid et difforme, où la relation, la rencontre avec l’âme sœur, nous place au-dessus des autres. » Seulement voilà. « Il y avait tant d’étoiles dans le ciel, cette nuit-là »…
• Parce que l’histoire est éternelle, mais le parti pris de narration est vraiment original : l’histoire s’est passée quelques années auparavant, et elle revient à l’esprit de Rumba, une amie de Lisette, la victime. A l’époque, Rumba aussi était jeune et amoureuse. Mais aujourd’hui, quand commence l’histoire, elle est dans le coma : nous sommes donc auprès d’elle, nous savons que l’enjeu est son réveil, mais nous ne savons pas ce qui, dans les détails de cette histoire qui lui reviennent, provoquera (ou pas) son réveil. Et cela démultiplie le potentiel captivant de l’intrigue !
• Parce que nous sommes aussi auprès de son oncle, le commissaire Martinez, qui avait élucidé le meurtre de Lisette. C’est le père de substitution de Rumba et nous ressentons toute sa douleur auprès de sa nièce inconsciente. Seulement voilà… il ne sait pas ce qui se passe dans les pensées de sa nièce, tandis que le lecteur, lui, le sait, et tourne les pages de plus en plus vite tout autant pour savoir ce qui est arrivé à Lisette, que ce qui adviendra de Rumba. Quelle étrange sensation de penser qu’une enquête close depuis longtemps a pour enjeu le réveil d’une des protagonistes, aujourd’hui !
• Parce qu’il y a beaucoup de couples dans cette histoire – peut-être même un peu trop. Et après avoir lu Corps dans la nuit, vous ne laisserez plus personne dire que le couple est la plus belle invention de la vie. Les motivations pour tuer ne sont pas neuves – j’en ai même mis la percutante reformulation en exergue de cette chronique : « Pour savoir qui a tué qui, il faut savoir qui aime qui ». Mais c’est tout de même bien dommage, parce qu’on aurait tellement voulu que tout se passe autrement…
• Parce que que savons-nous du coma ? « Il paraît que ton monde se reconstruit peu à peu. Que c’est pour ça que tu es dans le coma ». Oui, pourquoi le coma ne serait-il pas un moment où on met son passé en ordre, pour ressortir en ayant fait place nette ? J’ignore ce qu’en disent les neuroscientifiques. Mais ce que je sais, c’est que c’est extrêmement satisfaisant de penser que les moments d’inconscience ont une fonction, et ne sont peut-être pas des absences inutiles. Je vous recommande vivement ce polar, bâti sur l’idée que le pire piège n’est peut-être pas là où on le croit.

L’essentiel en 2 minutes

L’intrigue. Dans Un dé trop loin, Rumba s’était pris un coup de couteau qui l’a laissée dans le coma. Dans Corps dans la nuit, elle cherche à retrouver le jour. Ce nouveau polar se lit comme un one shot, dont on retrouve ou découvre (peu importe) les personnages avec plaisir.

Les personnages. Drôles de couples : Lisette aimait Guillaume et travaillait pour Grégoire. Lui est marié à Jeanne : elle ne s’est pas mariée avec Émile, qui a épousé Véronique… Tout ça sous les yeux de drôles de tandems policiers (ah, les inspecteurs Phtale et Hine…). Et de Clodo, bien sûr. Le compte est bon !

Les lieux. Dans la famille des lieux, je demande la musique… eh oui : parce que le jazz est omniprésent dans le livre, et que c’est un merveilleux refuge. Et puis c’est aussi une puissante machine à faire naître l’amour – même si c’est tout autant pour le meilleur que pour le pire.

L’époque. « Nous sommes le 21 septembre 1984 ». Oui, mais dans la tête de Rumba, c’est 1976 qui ressuscite. Les années 1970 en province, à Chambéry, avec tout ce que vous pouvez imaginer en matière de passions secrètes et autres relations inavouables… toute une époque !

L’auteur. Pierre-François Kettler est acteur et metteur en scène : pas étonnant que lorsqu’il écrit, il nous embarque dans son riche imaginaire. Que ce soit celui de séries de fantasy ou de polars qui nous replongent dans la province des années 1970 et 80 : dépaysement garanti dans tous les cas !

Ce livre a été lu avec le sentiment de tenir un livre inclassable, qui réussit l’exploit de dédoubler les raisons de nous faire tourner les pages. On ne sait plus si on veut savoir ce qui est arrivé à Lisette ou si on veut sauver Rumba… à moins que ce ne soient les deux facettes d’une même médaille ?

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