On a lu « Ton frère » de Minh Tran Huy
ROMAN•« Ton frère » de Minh Tran Huy est paru en mars 2024 chez Robert LaffontMarceline Bodier membre de la communauté 20 Minutes Books.
L'essentiel
- Les lectures coups de cœur, ça se partage.
- Notre communauté vous recommande chaque jour un nouveau livre.
- Aujourd’hui, « Ton frère » de Minh Tran Huy paru le 14 mars 2024 aux Éditions Robert Laffont.
Marceline Bodier, bookstagrameuse et contributrice du groupe de lecture 20 Minutes Books, vous recommande « Ton frère » de Minh Tran Huy, paru le 14 mars 2024 aux Éditions Robert Laffont.
Sa citation préférée :
« Paul est un révélateur du monde dans lequel nous vivons, mon Serge. Il m’a révélée à moi-même, comme il révèle à eux-mêmes tous ceux qui croisent son chemin, pour le meilleur et pour le pire. »
Pourquoi ce livre ?
- Parce que si c’est un livre autobiographique intime, c’est que c’est la commande : « la collection "Les Affranchis" fait cette demande à l’auteur, à l’autrice : "Écrivez la lettre que vous n’avez jamais écrite" ». Or, Minh Tran Huy a deux fils. Sur l’aîné, Paul, elle a écrit un livre en 2022, qui a obtenu le prix France Télévisions Essai : Un enfant sans histoire. « Sur » son aîné et non pas « à » lui, car Paul a une forme d’autisme qui ne lui permettra jamais de lire. En revanche, elle peut écrire « au » cadet, Serge : certes, il n’a même pas trois ans, mais lui, il pourra lire ce livre…
- Parce que ce n’est pas une lettre à Paul, « l’enfant sans histoire », mais Minh Tran Huy raconte au cadet les épreuves qui ont précédé sa venue au monde : la vie rêvée qui vole en éclats, le quotidien parfois désespérant, le voisinage qui fait empirer les choses, le couple qui tangue, le parcours du combattant de la prise en charge dans un pays où les handicapés sont des « citoyens de seconde zone ». Et finalement, elle affirme : « je m’en porte beaucoup mieux : rien de tel qu’un enfant handicapé à quatre-vingts pour cent pour vous rendre le sens de la mesure et des priorités ».
- Parce que ce n’est pas une lettre à ses ancêtres, mais l’autrice est une magicienne du décodage du poids de la transmission intergénérationnelle des traumatismes, elle qui descend de personnes qui ont fui le Vietnam après y avoir vécu l’indicible. Dans cette lignée exilée et plusieurs fois transfuge de classe, qui n’admettait rien d’autre que la réussite dans les études, le silence était une règle indérogeable, qu’il s’agisse de cacher les traumatismes vécus avant l’exil ou le mal-être de la génération de l’autrice. Jusqu’au jour où est né Paul, l’enfant qu’on ne peut pas passer sous silence…
- Parce que ce n’est pas une lettre à la petite fille qu’a été l’autrice. Pourtant, elle ne cache pas à son fils le harcèlement scolaire et la dépression qu’elle a supportés sans les dire, puisque son devoir était d’être parfaite. Ni non plus la manière dont elle les relie à l’histoire de ses ascendants pour qui se taire a été une question de survie. Dès lors, c’est à Serge qu’elle écrit « si ton frère n’était pas né, […] je t’aurais rendu aussi malheureux que je l’ai été », mais ces mots ne disent-ils pas aussi à sa petite fille intérieure d’avoir confiance, car le malheur aura une fin ?
- Parce que « Penser que ta venue a réparé ce que celle de ton aîné avait détruit serait […] une erreur », écrit l’autrice. Vous avez compris : cette erreur n’est pas de penser que l’aîné a détruit quelque chose qu’il fallait réparer. Au contraire, c’est lui qui a rendu possible la réparation des traumatismes transmis par ses ancêtres. L’erreur, ça aurait été de ne pas voir qu’il a ainsi offert à son petit frère la possibilité de décider de l’avenir qu’il écrira. Ton frère est un cri d’amour à l’homme que sera Serge, pour qu’il sache la chance qu’il a d’être né dans cette famille. Avec ce frère.
L’essentiel en 2 minutes
L’intrigue. « Dans ma famille, mon Serge, il était bien des choses dont on ne parlait pas », écrit Minh Tran Huy à son fils. Mais pas dans la famille qu’elle a créée, avec un aîné autiste, « handicapé à quatre-vingts pour cent », et un cadet à qui elle écrit : « Et puis tu es arrivé, et tout a changé ».
Les personnages. Si c’est la troisième génération qui doit soigner les traumatismes hérités, alors celle de Paul et Serge a de quoi faire. Celle de leur mère aussi, qui a appris un jour l’histoire poignante cachée derrière le drôle de prénom de son père. Aucun personnage n’est secondaire dans une histoire pareille !
Les lieux. L’unique lieu de la vie de Minh Tran Huy aurait pu être les livres : ils ont été le refuge de son enfance, et celui où s’épanouit sa vie d’écrivaine. « Pour autant, ce ne sont pas les livres qui ont fait s’écrouler les barreaux de la prison où je m’étais enfermée, mon Serge : c’est ton frère. »
L’époque. Nous ne sommes plus en 1967 : nous savons aujourd’hui qu’il n’y a pas de coupables à chercher quand un enfant naît autiste. Mais ça ne signifie pas que rechercher un sens à ce qui nous arrive est inutile, et c’est ce que démontre Minh Tran Huy de manière éclatante en 2024.
L’auteur. « Ton frère », c’est celui de Serge, mais ça pourrait être le mien, le vôtre, c’est le nôtre et celui de nos enfants. C’est aussi le livre qui me fait découvrir Minh Tran Huy, journaliste et fine romancière, petite-fille, fille et mère : faites comme moi, et vous ne voudrez plus non plus la lâcher !
Ce livre a été lu avec admiration pour ces mots « utiles à vivre et à rêver » : « Le monde n’aime pas Polo, mon Serge. […] Polo est improductif, donc inutile, de même que les vieillards, les malades, les démunis. De même que les nuages et les étoiles, la musique, l’art, la beauté, la poésie ».
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