Marceline Bodier, bookstagrameuse et contributrice du groupe de lecture 20 Minutes Livres, vous recommande La mère à côté de Thael Boost, paru le 13 mai 2022 aux Éditions Anne Carrière.

Sa citation préférée :

« Toi et moi contre le reste du monde, tu n’as pas oublié, Maman ?  »

Pourquoi ce livre?

• Parce que quand sa mère souffre d’Alzheimer et doit partir en Ehpad à 90 ans, Thael est en colère… et nous aussi. « J’en veux à ce corps qui te lâche. J’en veux à ce cerveau qui t’abandonne. J’en veux à la société qui te traite en denrée secondaire, périssable. Qui te ramène à un statut purement logistique. » Tout est cruel, dans cette histoire, parce que nos mères aujourd’hui, ce sont nos piliers d’hier, nos idoles de toujours... et c’est nous demain. Alors, quel sens donner à notre colère ? Le sens : c’est ça, le sujet d’un livre qui ne parle pas de la vieillesse, mais de la vie.
• Parce que c’est l’histoire d’une femme qui nous est contée. Oui, une femme : « une femme, pas juste une petite vieille, ton cerveau réfute mais doit capituler. Sans cesse, on te renvoie à ce statut indéfini, ce neutre de la vie. » Et pas non plus juste une maman, mais bien une femme, dont la personnalité drôle et originale se dessine au travers des souvenirs de sa fille, faisant même penser au film d’Almodovar, Talons aiguilles : « la maman et la femme. Comme si deux personnes coexistaient en toi. Tu me dorlotes puis il y a toujours un moment où tu m’abandonnes pour te préparer à sortir. »
• Parce que certes, l’Ehpad n’est pas le sujet principal, mais le livre nous met face au risque d’absurdité auquel conduit un tel lieu : raisonner comme si l’on passait « de l’état d’homme ou de femme à celui de vieux ». Or, un homme vieux, une femme vieille, ce ne sont pas « des vieux », mais un homme (vieux), une femme (vieille) ! Or, que font les hommes et les femmes ? Ils parlent d’amour, ils font des rencontres, ils ont une vie sexuelle. Ou pas ; mais n’est-ce pas déjà le cas à 20 ans ou à 50 ? Alors pourquoi vouloir placer un curseur au-delà duquel notre humanité disparaîtrait ?
• Parce que un des débouchés qu’on peut donner à la colère, c’est de reconnaître qu’« il y aurait presque une poésie à ce défilé de mots et souvenirs qui tirent leur révérence après un dernier salut au public. Et je te souris, pour ne pas pleurer. » Thael Boost a un talent certain pour débusquer tous les doubles sens : « Ton père était polygrotte », dit sa mère. Polyglotte ? Peut-être, mais l’autrice évoque aussi à petites touches les difficultés du couple de ses parents. Dès lors, que le jeu de mots soit intentionnel ou pas, le sens est quand même là…
• Parce que si les jeux de mots ont un sens, alors peut-être que toute la maladie en a un aussi. Peut-être même n’est-ce pas une maladie ? « J’en suis arrivée à la conclusion que cette maladie est une parade trouvée par ceux qui ont peur de mourir pour ne plus avoir à regarder la mort en face. » Bien sûr que la peur de la mort est partout. Mais elle est à sa juste place, et parmi mille phrases que j’ai envie de retenir, c’est celle-ci que je garderai : « Je n’ai pas peur que Maman meure, j’ai peur qu’elle vive mal. Je ne veux pas lui offrir une mort retardée mais la plus belle vie possible. »
  

L’essentiel en 2 minutes

L’intrigue. A 41 ans, Rosy Boost a voulu une fille « envers et contre tous, y compris Papa » : c’est Thael. Aujourd’hui, Rosy a 90 ans et leurs rôles s’inversent. Entre colère, rires et amour fou, Thael fait avec : « Ce n’est plus la mère que je soigne, mais la femme et l’enfant tout apeurées au fond de toi. »

Les personnages. Il y a Rosy, la maman que les filles ont toujours admirée. Et puis il y a Rosy, « dans une version Schrödinger de la vie, là et pas là tout à la fois ». Cette Rosy-là, c’est « la mère à côté », celle qu’on ne veut pas voir, mais que sa fille regarde et raconte pourtant en 200 pages poignantes.

Les lieux. Et si le seul lieu du livre était celui, intemporel, de l’enfance ? « Jamais la phrase On n’est pas dans une cour de récré n’a sonné aussi faux. On ne quitte jamais l’enfance. On s’en persuade pour se donner une certaine contenance. Quand l’âge a décidé de nous rattraper, on y retourne bien vite. »

L’époque. Le livre nous fait traverser un siècle : celui de la mère qui avait « neuf ans en 1940 », celui de la fille née lorsqu’elle en avait 41. Avec des souvenirs dans lesquels chacun peut se retrouver, entre odeur de la mayonnaise chaude dans le riz et crêpes « gloutonnées comme si la vie en dépendait ».

L’auteur. Thael Boost capture avec humour et tendresse des instants de la vie de sa mère sur instagram, dans l’excellent compte @tetedemum. On en retrouve toute la saveur dans La mère à côté, qui le met en perspective avec une grande profondeur qui nous permet de nous identifier. Un premier livre salvateur.

Ce livre a été lu avec des frissons, tout le temps. La dernière phrase du livre, qui fait profondément écho à ma propre réflexion, m’a fait éclater en sanglots : je vous laisse la découvrir... Lisez simplement celle-ci, qui justifie l’acte même d’écrire : « Tant que je ne poserai pas le mot Fin, tu seras vivante. »

Vous voulez nous recommander un livre qui vous a particulièrement plu ? Rejoignez notre communauté en cliquant ici