Le poids d'une injustice pèse sur « Le ventre des hommes » de Samira El Ayachi
RENTREE LITTERAIRE•« Le ventre des hommes » de Samira El Ayachi est paru en septembre 2021 aux Éditions de l'aubeMarceline Bodier membre de la communauté 20 Minutes Livres.
L'essentiel
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- Aujourd'hui, « Le ventre des hommes » de Samira El Ayachi, paru le 2 septembre 2021 aux Éditions de l'aube.
Marceline Bodier, bookstagrameuse et contributrice du groupe de lecture 20 Minutes Livres, vous recommande Le ventre des hommes de Samira El Ayachi, paru le 2 septembre 2021 aux Éditions de l’aube.
Sa citation préférée :
« … tant qu’on sera dans les bras l’un de l’autre, mon papa, toi et moi, ça va aller, ça va aller. »
Pourquoi ce livre ?
- Parce qu’on se doute bien que la première phrase du livre est lourde de sens : « C’est à mon père que je pense au moment où ils viennent me chercher ». Le ventre des hommes, c’est celui du lien viscéral entre une fille et son père. C’est ce lien, dans une famille douloureuse avec des attaches œdipiennes des plus classiques (« Il y aura toujours elle entre papa et moi » – devinez qui est « elle »), mais aussi où les enfants grandissent avec l’idée que « Si tu veux pas finir comme ta mère, fais bien l’école ». Hannah sera enseignante de français, puis institutrice. Mais à quel prix…
- Parce qu’on se doute bien que la date du 14 novembre 2016 sur laquelle s’ouvre le livre n’est pas choisie au hasard. Les attentats de 2015 sont un des fils conducteurs. Mais ils le sont d’une manière inattendue, dont le sens se révèle à la fin et réfléchit à la société dans laquelle nous voulons vivre. Car est-ce bien normal d’arriver en garde à vue quand on refuse de changer ses désirs de société ouverte, parce qu’on préfère essayer de changer un soi-disant ordre du monde où les attentats seraient une fatalité ?
- Parce que le ventre des hommes, c’est la mine dans laquelle ils descendent tous les jours, au risque de leur vie. La référence à Germinal est omniprésente, et ce livre fascine Hannah autant qu’il la repousse. Jusqu’au jour où elle a accès à l’histoire de son père : tous les événements obscurs de son enfance prennent alors soudain sens, depuis les raisons de leur interdiction de retourner au Maroc jusqu’au passage de son père à la télévision un soir de 1987. Ni héros, ni déchu, son père est un homme qui a tour à tour subi et pris en main son destin.
- Parce que le ventre des hommes, c’est aussi celui de tous les humains, « avec un tuyau de huit mètres et toutes les peurs en pli dedans ». Un pur concentré d’émotions extrêmes, entre peurs du coup de grisou et de la silicose, peur des conséquences du repli sur soi, et peur de se confronter à son histoire. Le roman se situe au point exact où se rencontrent des événements historiques dramatiques, et l’histoire intime qui doit faire avec et avancer quand même. C’est peu dire que j’ai été bouleversée à toutes les pages.
- Parce que le ventre des hommes, c’est enfin la terre, « Elle qui le nourrit, Elle qui le mangera » : et les hommes de l’histoire, ce sont des Marocains qui ont fui la sécheresse de leur pays dans les années soixante, les premiers immigrés climatiques, dont l’histoire n’a encore pas été racontée. « On est pas partis à cause de pas de travail/on est partis à cause de la sécheresse ». De quoi renouveler la lecture de notre passé récent, autour de thématiques qui, bien loin de disparaître, sont en train de devenir encore plus urgentes.
L’essentiel en 2 minutes
L’intrigue. Hannah, institutrice, est arrêtée le 14 novembre 2016 après avoir commis un acte grave : lequel ? Pourquoi pendant sa garde à vue, est-ce à l’histoire de son père qu’elle pense, mineur marocain qui a lutté pour que soient reconnus leurs droits ? L’Histoire broie les humains, mais pas à l’aveuglette…
Les personnages. C’est l’histoire de l’amour éperdu d’Hannah pour son père, et la manière dont l’histoire d’immigration de ce père (Marocain, devenu mineur dans le nord de la France) se traduit dans celle de sa fille (enseignante après un parcours d’excellence scolaire, mais qui sabote sa carrière).
Les lieux. « Tu as quitté le lit du désert pour embrasser la brume du Nord », dit Hannah de son père. On voyage beaucoup dans Le ventre des hommes, et toujours dans des lieux chargés de sentiments forts, que ce soient les montagnes de l’Atlas, les profondeurs des mines, ou les plages de la Côte d’Opale.
L’époque. Le ventre des hommes est aussi un récit d’une histoire méconnue, celle de 78.000 Marocains venus en France pour travailler dans les mines de charbon entre 1963 et 1977. De nombreuses reproductions de documents administratifs émaillent le livre, qui est aussi un témoignage.
L’auteur. Samira El Ayachi est l’autrice du très remarqué Les femmes sont occupées. À l’issue du Ventre des hommes, « elle remercie les anciens mineurs, notamment [son] père et ses copains », se plaçant de nouveau au point passionnant où se rencontrent autofiction et histoire contemporaine.
Ce livre a été lu avec des larmes plein les yeux. Je savais déjà que Samira El Ayachi était une autrice captivante, je l’ai découverte bouleversante avec un livre qui est une ode d’amour au père, dans laquelle chacun ne peut que se reconnaître.
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