« L’Hyper Weekend Festival est un espace très punk et confortable pour créer », salue Bilal Hassani
INTERVIEW CROISEE•« L’Affreuse », tel est le nom du projet, très personnel, que Bilal Hassani présentera dimanche, en piano-voix, à l’Hyper Weekend Festival. « 20 Minutes » s’est entretenu avec l’artiste et Didier Varrod, créateur et programmateur de l’événementPropos recueillis par Fabien Randanne
L'essentiel
- La quatrième édition de l’Hyper Weekend Festival se tient du vendredi 24 au dimanche 26 janvier 2025 à la Maison de la Radio et de la musique (Paris 16e).
- A cette occasion, Bilal Hassani présentera « L’Affreuse », un projet très personnel de chansons interprétées en piano-voix.
- Bilal Hassani et Didier Varrod, créateur et programmateur du festival et également directeur musical des antennes de Radio France, ont répondu, en interview croisée, aux questions de « 20 Minutes ».
Hyper Weekend Festival et grosse programmation. Pour sa quatrième édition, qui se tiendra de vendredi à dimanche à la Maison de la Radio et de la musique (Paris 16e), l’événement proposera pléthore de concerts, créations et masterclasses. Parmi elles, L’Affreuse, le projet intime et en piano-voix de Bilal Hassani qui, en décembre 2023, s’est attelé à l’écriture de chansons très personnelles avec Martin Dust. 20 Minutes a proposé à l’artiste, qui sera sur scène dimanche à 18h et 20h30, et à Didier Varrod, directeur musical des antennes de Radio France, créateur et programmateur de l’Hyper Weekend Festival, de se prêter au jeu de l’entretien croisé…
Pourquoi ce titre, « L’Affreuse » ?
Bilal Hassani : L’Affreuse, c’est un surnom qu’on a donné, mon très proche ami et moi, à la part d’ombre qui nous habite. C’est le reflet de tout ce que j’aime le moins chez moi, mais c’est aussi une figure rassurante parce qu’elle te dit la vérité, elle te parle sans te mentir, elle ne met pas de sucre sur ce qu’elle a à te raconter. Quand j’étais avec Martin Dust sur l’île du Levant où nous avons conçu les chansons, je lui ai dit « Aujourd’hui, je suis Affreuse ! » Et lui m’a répondu : « Qu’est-ce que tu racontes ? » Alors j’ai essayé de lui expliquer : « L’Affreuse, quand elle est là, elle s’invoque, c’est elle qui décide ». Et on a tiré ce fil-là.
Musicalement, vous optez pour le piano-voix…
Bilal Hassani : J’ai dit à Lilian Mille, qui m’accompagne au piano, que j’aimais beaucoup les bandes originales de films, celle qu’a fait Air pour Virgin Suicides, celle de Mullholland Drive… Je voulais aussi que l’on trouve un thème pour L’Affreuse, quatre ou cinq notes qui reviendraient dans plusieurs titres pour marquer l’état dans lequel je me trouve au moment de raconter certaines choses. On a matérialisé L’Affreuse et elle est devenue une camarade, une amie qui a été comme un phare dans l’écriture. Je me disais : « Là, j’ai peur, là, je me sens à côté. Est-ce qu’on l’assume ? Est-ce qu’on y va ? » Et on a souvent fait le choix d’entrer en plein dans des sujets qui sont durs…
Didier Varrod : C’est un projet ultra-stratégique artistiquement pour Bilal au regard de la palette de tout ce qu’il propose depuis qu’on le connaît. Il arrive avec une proposition à contre-emploi qui va être probablement son projet le plus politique alors qu’on pourrait penser que c’est d’abord un projet esthétique. Mais l’esthétique et la politique se rejoignent de façon très forte dans ce projet. Quand on s’en est parlé, on a tapé dans la main : allez ça sera sur l’Hyper Weekend Festival 2025 !
Bilal Hassani : C’est un spectacle qui est très fortement politique. Jusque-là, j’ai aimé donner une patine, on va dire plastique, synthétique, à ce que je faisais parce que je pense que c’est un mécanisme de défense queer très sain. C’est là où on trouve l’hyper pop, le camp, etc., Là, il a fallu que je pousse le même cri sans protection. Il fallait que je dise les choses d’une manière plus brute.
Didier Varrod : Je voulais dire j’étais particulièrement attaché à Bilal. Je l’admire profondément. Je me demande : « Pourquoi je n’ai pas eu dans ma génération quelqu’un comme ça qui m’aurait donné un courage pour vivre ce que j’ai dû vivre ? ». Cela m’émeut beaucoup de connaître ce garçon.
Mais vous, à travers votre parcours, vous qui avez été militant des droits des homos, secrétaire général de radio Fréquence Gaie, vous avez pavé la voie à cette jeune génération LGBT…
Didier Varrod : Bien sûr, mais je me dis qu’il faut qu’il le sache : si ma génération avait eu un Bilal, peut-être qu’on aurait gagné un peu de temps et connu un peu moins de souffrances et de drames.
(Bilal est très touché par ces mots et le dit.)
Bilal, ce projet est-il une parenthèse ou une nouvelle orientation pour votre carrière ?
Bilal Hassani : Je pense qu’il va m’animer pendant un bon moment. Les morceaux sont des titres très forts, qui disent des choses devant être entendues et reçues avec attention. Je vais essayer d’être le plus soigné possible pendant ce cycle pour défendre ces chansons dans leur fragilité qui était là dès leur conception. A l’Hyper Weekend Festival, j’ai un bel écrin pour ma musique. Quand on était en séminaire pour ce spectacle, on l’a d’abord pensé pour la scène avant de penser à un disque, on réfléchissait à une setlist de concerts et on s’est rendu compte au fur et à mesure qu’on avançait qu’une setlist de concerts et une curation de titres pour un album ce n’est pas très différent.
Didier Varrod : Je me souviens d’une réunion entre nous. On parlait de l’ordre des morceaux. A un moment, on en est venu au « face A, face B », on disait « On retourne le vinyle » ! C’est un grand luxe de pouvoir être au démarrage d’une histoire avant de penser à un disque.
Le festival existe depuis quatre ans. Le public est-il acquis d’avance ou se distingue-t-il par la curiosité de découvrir ces projets artistiques ?
Didier Varrod : Cette année, côté billetterie, on a une réponse beaucoup plus immédiate que les années précédentes alors que la programmation est, à mon sens, un peu plus exigeante. On a seize créations, c’est un record, aucun festival en Europe n’en propose autant en trois jours. Le public nous fait confiance puisqu’il ne sait pas a priori ce qu’il va voir. Plusieurs spectacles étaient déjà complets en décembre et on constate que le public est plus jeune que celui qu’on accueille d’habitude à la Maison de la Radio et de la musique où on est plutôt sur une moyenne de 50 ans. Là, on est sur une moyenne d’âge 35 ans. Et puis c’est un public qui a compris aussi qu’au-delà de la pure esthétique, il y a des valeurs progressistes d’inclusivité, de parité qui sont dans les missions du service public. Là, il y aura Bilal, mais aussi, par exemple, Chilly Gonzales qui s’entoure d’une distribution quasiment exclusivement féminine de jeunes rappeuses dont Le Juiice et Theodora… Il m’importe que ce festival soit moment de divertissement et une « safe place » où on raconte le monde tel qu’on le rêve.
Bilal, vous ressentez ce côté « safe place », cet « espace sûr » ?
Bilal Hassani : Oui, notamment sur mon projet qui est particulièrement personnel, où je me livre sans fard. Je ne l’aurais pas fait ailleurs, c’est certain. J’ai toujours été plus serein dans le service public en général et chez Radio France en particulier parce que c’est l’un des endroits les moins traumatisants de ma vie artistique. Ici, je n’ai jamais eu l’impression de devoir prendre une posture quand je parlais ou quand je chantais. On me laisse cet espace de création qui est très très punk et c’est très confortable pour créer. J’ai confiance en Didier, en son goût. J’ai eu l’occasion de voir dans le passé plein de shows à L’Hyper Weekend Festival, et je me suis dit qu’il n’y en avait pas d’autres comme ça. Le mot « hyper », se ressent dans les murs. Je pense que cela va être un bon noyau pour faire pousser cette jolie fleur, L’Affreuse. J’ai l’impression que plein de choses peuvent se passer sur scène et changer la trajectoire de ma petite vie…
On entend souvent dire que dans les périodes les plus incertaines et sombres politiquement, la création artistique est plus foisonnante et inspirée. C’est un cliché ?
Didier Varrod : Pas du tout ! C’est vrai qu’il y a en ce moment une vitalité artistique qui me tient en haleine et fait que j’ai envie d’agir, d’inventer, de me mettre en danger et de me requestionner. Il y a des propositions dans la pop, dans l’hyper pop, le rap, qui sont assez déconcertantes. Moi, j’ai toujours foi en l’être humain et je me dis qu’on est un pays qui se démarque par cette vitalité, sa capacité à résister, et que l’art, et la musique en particulier, est le vecteur le plus le plus rassembleur. Au-delà des générations, des sexualités, de là où on se positionne sur l’échiquier politique, on arrive à créer des moments de miracle, de communion. Quand je programme un artiste j’essaie de donner une perspective historique à mon travail de programmateur. Depuis quatre ans que le festival existe, on peut y lire une histoire de la légèreté du divertissement mais aussi de la prise de conscience de l'importance de l’acte créatif dans le champ citoyen.
Notre dossier sur Bilal HassaniQue diriez-vous à quelqu’un qui va d’emblée clamer que L’Hyper Weekend est un festival de « wokistes », une manière péjorative de dire qu’il met en avant des artistes issus des diversités ?
Didier Varrod : Je lui dirais déjà de venir écouter et non pas seulement entendre. Quand on écoute, on peut être surpris par la différence des points de vue. Ce que va chanter Bilal n’est pas la même chose que ce que proposera Voyou en reprenant le répertoire d’Henri Salvador qui n’était a priori pas le plus porteur de valeurs de progrès. Samedi soir, il y a une scène rap qui, forcément, n’a pas non plus le même prisme ou rapport au monde que Bilal mais, l’idée, c’est de faire en sorte que ça cohabite et même, qu’à un moment donné, ça se regarde et ça s’apprécie. J’en ai eu une belle preuve l’année dernière.
C’est-à-dire ?
La soirée d’ouverture réunissait une dizaine d’artistes venant d’univers et de générations différentes. Chacun a offert trois chansons piano-voix, ce qui, pour beaucoup, était un contre-emploi. Il y avait Piche qui sortait de « Drag Race France », Camélia Jordana, Meryl, Yamê, Alice Taglioni… Avec cette distribution, j’ai pensé que je prenais un gros risque. Je suis entré dans l’auditorium et je me suis dit « Putain, comment ça va se passer ? ». Beaucoup étaient là pour Luigi et Meryl. La moyenne d’âge était de 25 ans. Alice Taglioni, ils ne devaient pas la connaître. A un moment, j’ai vu Gérard Pons, alors directeur des Francofolies de La Rochelle, pleurer… Parce que quand Sheila est entrée en scène et a commencé à interpréter Spacer, tout le monde s’est mis debout pour chanter. Je pense qu’il y a deux océans entre les convictions politiques de Camélia Jordana et de Sheila mais, à la fin, c’était merveilleux, ils étaient tous ensemble, se sont pris par la main. C’était un moment magnifique.
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