VIOLENCES SEXISTES ET SEXUELLESLe milieu de la musique classique fait progressivement son #MeToo

#MeToo Musique classique : Les actions engagées bousculent un milieu déjà très fragilisé

VIOLENCES SEXISTES ET SEXUELLESDe la blague sexiste à l’acte sexuel non consenti, « Les VSS sont omniprésentes » dans ce secteur
Olivier Mimran

O.M. avec AFP

On est passé en mode « andante » : d’audits en procédures de signalement ou en mise à l’écart temporaire, le monde de la musique classique et du chant lyrique, touché par des plaintes ou mises en cause récentes pour violences sexistes ou sexuelles (VSS), s’empare progressivement d’un sujet tabou, affirment plusieurs acteurs du milieu.

Plaintes et accusations révélées cet été

En juillet 2024, le parquet de Nanterre avait annoncé, après des révélations dans la presse, que Gaël Darchen, 54 ans, directeur de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, était mis en cause par cinq femmes qui dénonçaient des faits de harcèlement moral et sexuel et d’agression sexuelle.

L’enquête avait alors été confiée à la Brigade de répression de la délinquance aux personnes.

Une autre enquête a, depuis, été ouverte à Paris par la Brigade de protection des mineurs. Elle concerne le pianiste et professeur Jacques Rouvier, 77 ans, accusé de harcèlement moral et sexuel sur une mineure en 1999 et 2000.

En mai 2024, des musiciennes et musiciens avaient mis en cause, dans un article du Canard enchaîné, le chef d’orchestre François-Xavier Roth pour l’envoi de SMS à caractère sexuel. Celui qui dirigeait alors l’Orchestre et de l’Opéra de Cologne, en Allemagne, et était en résidence au théâtre des Champs-Elysées avec sa formation Les Siècles s’est, depuis, mis en retrait de ses fonctions.

Le classique, particulièrement touché ?

Peu d’études scientifiques existent sur ces milieux artistiques. mais deux sociologues, Marie Buscatto, professeure à l'université Panthéon-Sorbonne, et Ionela Roharik, de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), ainsi que Soline Helbert*, chanteuse lyrique, ont mené une enquête en 2020 (recueillant 336 réponses à un questionnaire en ligne et des entretiens).

Celle-ci a été présentée cette année sur le site Internet de The Conversation, qui publie des articles de recherche.

Principal enseignement : « Les VSS y sont omniprésentes », résume Marie Buscatto. Allant de la blague sexiste à l’acte sexuel non consenti, elles sont récurrentes pour 75 % des personnes interrogées et quasi permanentes pour 25 % d’entre elles. Et elles sont, pour les trois-quarts, le fait d’hommes.

« L’environnement professionnel de l’opéra est extrêmement propice », résume Soline Helbert, qui cite plusieurs explications : « des rôles de pouvoir tenus par des hommes, un milieu où le metteur en scène et le chef d’orchestre sont des demi-dieux, un secteur extrêmement hiérarchisé avec des chanteurs "en bas de l’échelle" ».

Ou encore « l’hypersexualisation des répertoires et des mises en scène ! », ajoute la sociologue Marie Buscatto.

Les chanteuses lyriques singulièrement fragilisées

Soline Helbert pointe du doigt « une extrême précarité » du métier : « on a toujours peur que notre contrat soit le dernier ». Car la concurrence est rude, en particulier pour les chanteuses lyriques, plus nombreuses que les chanteurs : « L’offre de travail reste concentrée sur quelques pays européens et se rétracte ».

Une ancienne pianiste du Conservatoire de Paris décrit pour sa part le milieu du classique comme très « en huis clos », où musiciens et musiciennes peuvent être davantage vulnérables dans la mesure où « ils donnent toute leur vie » à leur passion.

La réponse des institutions

« En quelques années, les directions se sont emparées du sujet », assure Paola Scotton, coordinatrice à la Réunion des opéras de France (ROF, 31 maisons d’opéra, 5 compagnies lyriques) : groupes de travail, mise en place de cellules de signalement, remontées et traitement des cas… « Il y a un changement de mentalité ».

La ROF, les Forces musicales (51 opéras et orchestres) et l’Association française des orchestres (44 membres) ont élaboré conjointement une charte tripartite, avec un comité de pilotage s’assurant du suivi de ces questions.

« Le sujet n’est plus un tabou »

« Aujourd’hui, la grande majorité des opéras et orchestres ont formé leurs équipes aux VSS, indique Claire Roserot de Melin, présidente des Forces musicales. Le sujet n’est plus un tabou, les victimes s’autorisent davantage à parler, et les personnes qui recueillent la parole sont plus expertes ».

Depuis 2021, le ministère de la Culture conditionne ses aides au respect d’un protocole de prévention et de signalement, tandis que l’organisme de protection sociale Audiens propose une cellule d’écoute. Dans le cas de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris depuis 1995, l’institution parisienne a suspendu son partenariat.

Notre dossier « Musique classique »

« Chartes, affichages dans les ascenseurs et les couloirs… sur ce plan, on sent qu’on a fait du chemin depuis cinq à dix ans. Mais est-ce que l’omerta est en train de reculer ? Je n’en suis pas sûre », estime, prudente, la chanteuse Soline Helbert.

* pseudonyme