zouk pour toujoursComment Kassav’ se réinvente-t-il après la mort de l’un de ses fondateurs ?

Avec du sang neuf (et toujours autant d’énergie), Kassav' retrouve la scène pour célébrer son héritage

zouk pour toujoursAprès le décès de son cofondateur Jacob Desvarieux en 2021 et l’accident vasculaire cardiaque du chanteur Jean-Philippe Marthély, le groupe a fait le choix d’accueillir deux nouveaux membres
Sélène Agape

Sélène Agape

L'essentiel

  • Jacob Desvarieux, cofondateur du groupe du zouk, est décédé vendredi 30 juillet 2021 des suites d’une infection liée au Covid-19, à l’âge de 65 ans.
  • Deux ans et demi plus tard, Kassav' est en tournée pour rendre hommage à son ancien leader, avec deux nouveaux membres au chant et à la guitare, Patrice Hulmann et Karin Verger.
  • « Jacob était une des figures essentielles de Kassav' », s’émeut Jocelyne Béroard, la chanteuse emblématique de la formation. Le groupe se produit à Paris les 18 et 19 mai à l’Accor Arena puis à l’Adidas Arena.

«Sé’w nou enmé », en créole. « C’est toi que nous aimons », en français. C’est le nom d’un ancien morceau de Kassav' et de la tournée en cours du groupe antillais, en hommage à Jacob Desvarieux. Le chanteur et guitariste guadeloupéen, décédé le 30 juillet 2021 des suites d’une infection liée au Covid-19, à l’âge de 65 ans, était l’un des fondateurs de la mythique formation depuis sa création en 1979 et inventeur du genre musical, le zouk, avec Pierre-Edouard Decimus et Freddy Marshall.

« Jacob était une des figures essentielles, majeures de Kassav'. On ne peut pas le laisser partir et sans lui dire merci pour tout ce qu’il a apporté au groupe, sa rigueur, ses engagements », indique Jocelyne Béroard, la chanteuse emblématique du groupe, qui sera en concert le 18 mai à l’Accor Arena et le 19 mai à l’Adidas Arena, à Paris. « C’était quelqu’un d’assez exceptionnel, qui contrairement à moi restait calme en toutes circonstances », ajoute-t-elle, amusée. La Martiniquaise salue le « courage extraordinaire » de son ancien camarade « qui ne se plaignait jamais » malgré ses ennuis de santé mais aussi « le super guitariste » qu’il était.

Un « grand cœur et une recette musicale »

« Jacob nous a fait passer de la musique traditionnelle à la musique moderne, en introduisant les codes de la musique internationale », comme le riff, souligne Fred Deshayes, le leader du groupe guadeloupéen Soft et ami musicien de Jacob. « Il n’avait pas seulement un grand cœur, mais une recette musicale. C’était un intellectuel, qui avec son groupe a représenté la musique antillaise et l’identité antillaise à un niveau d’excellence », ajoute le chanteur qui a d’ailleurs repris la chanson « Séw' mwen enmé », écrit par le cofondateur de Kassav et sa sœur Swanha. « Pour moi, c’est le plus beau texte d’amour écrit en créole, de zouk », dit-il.

Jacob Desvarieux avait composé plus d’une centaine de morceaux, qui ont touché de nombreux fans, affectés par sa disparition. « Dans la culture populaire contemporaine, les chanteurs sont un peu comme les saints de l’Église des temps du passé », analyse Diane Pacom, professeure émérite à la faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa dans un article du journal La Presse. « On développe non seulement des affinités avec eux, mais aussi des rapports presque familiaux. Ce sont des phénomènes qui consolident la société. Ces gens deviennent des points de repère. Quand ils meurent, c’est horrible pour ceux qui les aimaient », observe-t-elle.

Au cours des concerts hommages, « on va présenter des chansons dans lesquelles Jacob a mis sa patte, sa créativité. Ce sont des compositions de lui. Il y en a pas mal, donc on a été obligé de faire plusieurs medleys », détaille Jocelyne Béroard. Elle a notamment hâte de présenter celui avec des chansons faites avant 1984, « véritablement très beau, de la période avant Zouk la sé sèl médikaman nou ni. Ça va permettre aux fans de mieux découvrir ou redécouvrir Jacob et de l’apprécier à sa juste valeur ».

Le zouk en héritage

« Kassav' sans Jacob, ça devait arriver, mais son héritage est déjà là. Il nous a laissés de quoi étudier », observe Fred Deshayes. « Il faudrait que nous ayons le temps de parler aux gens de ce que nous avons fait et de comment nous avons travaillé. Chacun d’entre nous doit se permettre de faire des masterclass », assure Jocelyne Béroard. « On constate que beaucoup de gens ne connaissent pas le tiers de ce que Kassav'. Une des raisons pour lesquelles j’ai écrit mon livre [Loin de l’amer], c’est pour raconter l’histoire du groupe. Il y a plein de gens qui sont étonnés quand ils entendent que sur près de 200 pays dans le monde, on en a parcouru 83 », complète-t-elle. « Ils ne s’imaginent pas l’impact que ce groupe qui vient d’une petite île a eu dans le reste du monde. Peut-être que les fans pourront se dire : ''si Kassav l’a fait, je peux le faire''. On peut tirer nos îles vers le haut et les faire briller », loue la chanteuse qui encourage les enfants à rêver et à se projeter.

De son côté, Fred Deshayes réfléchit à lancer des conférences sur le travail du groupe et son identité antillaise : « leurs paroles ne sont jamais gratuites ». Pour perpétuer l’héritage de Jacob, « il faut étudier son œuvre, sa manière particulière de jouer, comme l’Europe a étudié Mozart », juge-t-il. Aussi, « il faut la jouer. Jacob faisait de la musique de concert, du zouk chiré. On ne peut pas la laisser mourir ».

Du sang neuf

Pour cette tournée, le groupe a recruté deux nouveaux membres. « Dans le groupe, on choisit des gens cool, pas une personne avec un ego démesuré. Il n’y a pas une star qui est plus qu’une autre, il fallait des gens qui ont une certaine humilité », précise Jocelyne Béroard. Ainsi, Patrice Hulman est arrivé au chant pour remplacer Jean-Philippe Marthély dit Pipo, en rémission d’un accident vasculaire cérébral (AVC), depuis février 2020. « Je l’avais vu dans un concert hommage à Patrick Saint-Eloi [ex-membre et chanteur de Kassav', décédé en 2010] et c’était celui qui m’avait le plus touché. Il est très bon et a une vraie volonté de bien faire », raconte la chanteuse.

A la guitare, c’est Karim Verger qui a succédé à Jacob Desvarieux. « Il est extrêmement doué et extrêmement jeune, ce qui me fait énormément plaisir », glisse Jocelyne Béroard. « Moi je dis que c’est Jacob qui nous l’a envoyé », sourit-elle. « Il contraste beaucoup avec Jacob, on voit qu’il n’est pas venu pour le remplacer », déclare Fred Deshayes, ravi de ce choix. « Avoir du sang neuf, c’est un nouveau jour » pour le groupe, affirme-t-il.

« C’était inattendu. J’ai accepté la mission avec humilité. J’ai été très bien accueilli dans la famille Kassav'. Tout le monde est bienveillant », nous confie Karim Verger. Il a relevé ce challenge avec « sérénité ». « Chaque musicien est unique. Je ne suis pas Jacob mais Karim. Je tiens à respecter ce qui a été fait, notre patrimoine », soutient le jeune homme de 29 ans, prêt à jouer au sein du groupe, « autant de temps qu’il le faudra ».

Après quelques concerts de rodage, Kassav' a trouvé ses marques avec ses nouveaux maillons. Prochaine étape après Paris : la Nouvelle-Calédonie. Et pour la suite ? « Notre manager est en train de monter la tournée, mais il avoue que c’est compliqué avec le prix des billets aujourd’hui » au départ des Antilles où vivent une partie des membres du groupe, explique Jocelyne Béroard.