INCONTOURNABLEAprès trente ans d’existence, une nouvelle ère en vue pour la K-pop ?

K-pop : Après trente ans d’existence, une nouvelle ère s’ouvre-t-elle ?

INCONTOURNABLEMême si la K-pop fait indéniablement partie du paysage musical, la récente pause des BTS pourrait être le signe d’une nécessité de renouveau
Lucas Zaï--Gillot

Lucas Zaï--Gillot

L'essentiel

  • Apparue en 1992 avec le boys band coréen Sao Teiji And Boys, la K-pop s’est exportée partout dans le monde.
  • Ce succès est dû à une hybridation de styles, une standardisation des productions, un soutien de la Corée et une forte présence médiatique.
  • Trente ans plus tard, la K-pop pourrait amorcer une nouvelle étape d’expérimentation.

Impossible de passer à côté. La K-pop est partout, incontournable. Chaque nouvelle information fait l’effet d’une bombe, prenez-en pour exemple les annonces récentes de la pause des BTS ou du retour du girls band Blackpink. Twitter s’est enflammé aux quatre coins du globe. À l’aube de ce que les spécialistes et fans de K-pop appellent déjà la quatrième génération, certains voient la pause des BTS comme le signe d’un essoufflement de la K-pop.

À l’origine une musique régionale

« La K-pop fait partie intégrante du paysage musical global maintenant, il n’y a plus de question là-dessus », affirme Vincenzo Cicchelli, coauteur avec Sylvie Octobre de K-pop – Soft Power et culture globale, à 20 Minutes. Si, à sa création il y a trente ans, la K-pop était une contre-culture nationale qui se limitait à la Corée, ce style musical a toujours eu vocation à s’exporter. « Savant mélange de rythmes hip-hop, pop voire rock, de structures occidentales et d’éléments coréens traditionnels » pour Sylvie Octobre, la K-pop s’est fait connaître en 1992 avec le premier boys band coréen Seo Taiji and Boys qui a lancé ce qui s’appellera, a posteriori, la première génération.

Tous les éléments fondateurs de la K-pop sont là : des chorégraphies millimétrées, des chansons au croisement des genres et un soin tout particulier porté à l’esthétique. Cette première génération se caractérise par l’apparition des grands labels de production comme SM Entertainment ou YG Entertainment qui seront à l’initiative de la création des plus gros groupes et de l’entraînement des « idols », le nom donné à ces stars. Comme Vincenzo Cicchelli et Sylvie Octobre l’expliquent, le processus de sélection des idols est au centre de la K-pop. Ces jeunes sont soumis à de rudes entraînements au cours desquels ils ou elles doivent apprendre à danser, chanter, à animer une émission et aussi à se comporter en modèles irréprochables (pas de drogue, d’alcool... Bien loin du cliché du rockeur occidental).

Vers le sommet des écoutes internationales

Au début du XXIe siècle, la K-pop entame son internationalisation avec sa deuxième génération d’artistes. Les groupes comme Rain ou Se7en s’exportent dans toute l’Asie du Sud-est, notamment au Japon et en Chine. Des idols étrangers commencent à faire leur apparition dans des groupes comme Victoria et Amber au sein de f(x). Si un groupe est à retenir de cette décennie 2000-2010, c’est bien Big Bang, qui squatte la première place des ventes de disques en Asie du Sud-est.

Au début de la décennie 2010, la troisième génération commence à poindre avec des groupes comme EXO (qui explose en 2012). Cette troisième vague se caractérise par une explosion du nombre de groupes qui débutent, un processus de sélection des idols davantage médiatisé et une globalisation des écoutes. Un élément notable dans la globalisation de la K-pop est Gangnam Style. Il y a dix ans (oui, oui dix ans déjà), la danse et la chanson de Psy avaient explosé tous les compteurs, notamment celui de vues de YouTube.

« C’est la première fois que les Occidentaux entendent parler de la Corée du Sud pour autre chose que la guerre », rappelle Sylvie Octobre. Ces groupes de la troisième génération sont arrivés jusqu’aux oreilles des Français, Blackpink ou encore BTS (qui est un phénomène à part entière) en sont les parfaits exemples. Dans le top 10 des clips musicaux les plus vus dans les premières 24 heures, neuf sont de BTS ou de Blackpink. Le girls band est notamment le seul groupe de K-pop à avoir performé sur la scène du festival Coachella à Los Angeles, rendez-vous mythique de la scène musicale nord-américaine qui a accueilli nul autre que Beyoncé, Prince ou les Daft Punk, preuve de la reconnaissance de la scène musicale américaine.

Comment expliquer un tel succès ?

« Le marché interne coréen est tout petit, pas comme celui des Etats-Unis et de l’Inde, explique Vincenzo Cicchelli. Pour survivre, il y a une nécessité d’exporter en prenant les codes de l’exportation, par conséquent les codes musicaux internationaux. » Cette hybridation des styles s’accompagne d’une stratégie de soutien économique appuyé de la part de l’Etat Sud-Coréen. « La K-pop est un formidable outil de sweet power pour la Corée » explique la chercheuse. Avec cette musique et plus généralement la hallyu (« vague culturelle coréenne » en chinois), la Corée du Sud s’assure un rayonnement régional, puis international, qui lui permet d’exister face aux mastodontes que sont la Chine et le Japon.

Instagram, YouTube et TikTok sont les lieux de vie de la K-pop. Par ces plateformes, les idols renforcent le sentiment de proximité qu’elles ont avec leur communauté, très fidèle. Ces réseaux sont aussi le lieu de reprise des chorégraphies virales des groupes et donc deviennent des canaux de communication privilégiés rappellent les chercheurs. Gangnam Style est l’exemple parfait de l’engouement que les réseaux sociaux (qui avaient une place bien moins importante dans la société en 2012 qu’aujourd'hui) peuvent créer autour d’une danse et d’une musique.

Pour assurer ce succès culturel et économique, cette production musicale est un creuset. La K-pop est un recyclage de divers genres musicaux (punk, gothique, emo, street style, gangsta, etc.) et de diverses esthétiques : manga et films d’animation japonais, esthétique des jeux vidéo entre autres. « La création est un emprunt dynamique », rappelle Sylvie Octobre. Toutes ces influences permettent de créer un nouveau genre qui dépasse les frontières.

Vers une production internationalisée de la K-pop

Cette internationalisation de la K-pop atteint son paroxysme avec les différents featuring que les BTS ont fait avec Nicki Minaj ou encore Coldplay. Les narratifs et styles de BTS et de Coldplay peuvent se rejoindre pour Sylvie Octobre, « les deux groupes ont des fortes positions sur l’environnement, l’acceptation de soi avec un visuel très coloré et bienveillant ». Avantage non négligeable, cela permet aussi d’aller chercher de nouveaux publics.

Une des directions que pourrait donc prendre la K-pop serait celle d’une internationalisation croissante selon les chercheurs, sans perdre la spécificité coréenne de cette musique. « Même si elle s’hybride, la K-pop reste toujours particulière. Déjà, on y chante en coréen, il y a un univers référentiel qui est très coréen, notamment visuel. »

D’un autre côté, la pause des BTS, pour cause d’épuisement et pour se concentrer sur des projets solos, semble être un signal fort envoyé à l’industrie musicale coréenne. Il faudrait renouveler le « star-system qui ne laisse pas le temps de mûrir » pour les BTS. Un renouvellement qui pourrait s’accompagner de nouvelles sonorités à explorer pour les chercheurs. « La K-pop qui était naguère très joyeuse et colorée est en train de se transformer, s’hybrider et d’explorer de nouvelles palettes. Par exemple, J-Hope [un membre des BTS] vient de sortir un album très rock, un peu macabre ».

« C’est le principe du succès, concluent les experts. Soit vous faites toujours la même chose, auquel cas vous vous ennuyez et le public avec, soit vous allez expérimenter des choses nouvelles. » Peut-être est-ce là l’une des composantes de la quatrième génération de la K-pop.