Albin de la Simone : « L’idée des "Films fantômes" est de jouer avec le public à imaginer des films que j’ai inventés »
INTERVIEW•Albin de la Simone, musicien, chanteur et compositeur, invite à imaginer des films qui n’existent pas, dans le cadre du festival Paris l’étéPropos recueillis par Aude Lorriaux
L'essentiel
- Les Films Fantômes est un concert, ce vendredi et samedi, et une exposition, jusqu’à samedi, présenté dans le cadre du festival Paris l’été.
- Le chanteur et musicien Albin de la Simone propose au public, avec des comédiens et comédiennes et des musiciens et musiciennes, d’inventer des films.
- « C’est un hommage au cinéma, explique-t-il, un projet assez poilant qui ne se prend pas au sérieux », avec des films « caricaturaux » et empreints de clichés, pour faire appel à la « culture collective du cinéma de notre enfance ».
Le chanteur et compositeur Albin de la Simone présente, dans le cadre du festival Paris l’été, Les Films Fantômes, un concert et une exposition où il met en musique avec des comédiens et comédiennes des films qui n’existent pas. Un concept qui a intrigué 20 Minutes et une bonne occasion de discuter avec l’artiste de ce que l’art offre au public : tisser de l’imaginaire, rebondir par association d’idées… Et de cinéma bien sûr.
Qu’est-ce que c’est que ces « Films fantômes » ?
C’est une exposition et un concert, qui vont ensemble mais qui peuvent vivre séparément. L’idée est de jouer avec le public à imaginer des films que j’ai inventés. Je ne vais rien montrer de ces films pour ne pas contraindre l’imaginaire mais je vais donner des choses autour pour permettre la floraison de l’imaginaire. On raconte les films avec des comédiens et comédiennes, les musiciens jouent la musique. Et pour l’exposition ça passe par les yeux : on voit Karine Viard qui essaie d’avoir un rôle par exemple. Ou l’affiche japonaise d’un film, des prototypes de costumes, des micros-trottoirs de gens qui racontent ce qu’ils ont aimé. C’est un projet assez poilant qui ne se prend pas au sérieux. Les films sont caricaturaux, ça s’appuie sur des clichés, ce qui permet de puiser dans une culture collective du cinéma de notre enfance. Il y a des navets, aussi bien le nanar années 1970 que le film politique ou le blockbuster des années 2000… Et la musique aussi.
Cela veut dire qu’on ne retrouve pas votre musique ?
J’ai composé toutes les musiques, donc on retrouve une patte, mais c’est très « musique de films » et assez typé ! J’ai poussé les boutons un peu fort pour être sûr qu’on connecte, j’y ai mis beaucoup d’engrais…
Comment avez-vous eu cette idée un peu folle ?
C’est un projet qui mature depuis plus de 10 ans. Je viens du jazz, j’ai eu envie de composer de la musique instrumentale et je ne savais pas par quel bout attraper le truc. Je me suis dit que j’allais écrire des films et composer la musique à partir de ça… Et de fil en aiguille je me suis pris au jeu. Comme je suis dessinateur, et que je suis très attiré par les arts plastiques, j’ai commencé à mettre en page un article de journal… Et puis j’ai été artiste associé au Centquatre [centre culturel de Paris] en 2013, cela m’a laissé beaucoup de temps pour travailler là-dessus. L’expo au départ était sur des petits papiers, avec des pinces à linge. Jusqu’à ce que je joue au TNB à Rennes qui m’a donné les moyens de monter une vraie expo, qui n’est plus du tout bricolée. Et vous allez voir le lieu de l’exposition est vraiment fantastique.
C’est dans un lycée ?
Oui, un lycée très ancien [Jacques-Decour dans le 9e arrondissement] dans lequel François Truffaut a tourné Les Quatre Cents Coups. C’est presque une caricature de lycée parisien, avec une cour, des arcades, une statue, des arbres magnifiques et une chapelle-théâtre dans laquelle il y a l’exposition. C’est tout boisé et on joue dans la cour attenante… Et à 22 heures tous les soirs il y a un spectacle, avec des gradins de mille places… C’est le QG du festival.
Dans une interview, vous dites vous inspirer pour vos chansons de films…. que vous n’avez pas vu !
Je n’ai aucun souvenir d’avoir dit ça ! (Rires)
Vous disiez vous inspirer de La chambre du fils de Nanni Moretti pour le morceau Les chiens sans langues…
Cette chanson parle à mots très couverts d’un couple qui a perdu son enfant. Je n’ai pas vu ce film, je ne veux même pas le voir : j’ai un enfant, et je n’ai pas trop envie de réfléchir à ça… Mais j’ai quand même écrit une chanson là-dessus. Parce que je me suis demandé ce que c’était des chiens sans langues, c’est une copine qui avait dit « Reims, sans toi, c’est comme un chien sans langue ». J’avais trouvé ça fou comme expression. J’ai voulu chercher ce que pourraient être des gens comme des chiens sans langue. Mais l’idée des Films fantômes, c’est justement d’imaginer des films en promettant que ces films n’existeront jamais.
Est-ce que vous êtes un fervent cinéphile ?
Dans « cinéphile », il y a l’idée de connaissance pointue, donc non, mais j’adore le cinéma, comme tout le monde je pense. Par exemple il y a un film incroyable, de Miloš Forman, son premier film quand il est arrivé aux Etats-Unis, Taking off. C’est très beau, très accessible, et c’est un film fou qui ne court pas les rues. Il a fait des films hyperconnus comme Amadeus, Vol au-dessus d’un nid de coucou, Hair…. Mais là c’est presque fantôme puisqu’il est peu connu ! Après j’adore David Cronenberg, moins ses derniers films, mais jusqu’aux films avec Viggo Mortensen, A History of Violence et Les Promesses de l’ombre.
Est-ce qu’un jour vous ferez un film ?
Non ! Sûrement pas ! Je respecte infiniment le cinéma. Mais mon projet n’existe que parce que les films existent ! Et c’est une vaste fumisterie ce que je fais, c’est un survol, un hommage au cinéma.
Vos chansons racontent des histoires, des histoires parfois très imagées. Est-ce que vos chansons sont aussi en quelque sorte des « films fantômes » ?
Tout ce que je fais, c’est un peu des films fantômes ! Une chanson, c’est tellement peu de mots. C’est l’inverse d’un roman, c’est les huiles essentielles, on ne peut pas développer, c’est du vinaigre balsamique ! Comme j’ai peu de place, je ne peux pas être très explicite. Alors je fonctionne par associations d’idées, par images. Et j’ai fait la découverte il y a peu que ce qui m’intéresse dans l’art, c’est ce qui n’est pas montré, ce qui n’est pas dit, pas réussi, pas parfait. C’est à cet endroit-là que cela me plaît. Les Films fantômes, c’est un canevas autour duquel les gens peuvent tisser. J’aime dans les dessins l’imperfection, le moment où une couleur dérape sur une autre. J’aime le doute. C’est dans le doute que le spectateur peut y mettre de lui-même. Si j’explique la chanson Chiens sans langue, les gens ne tricoteront plus autour de ça. Je vais vous montrer quelque chose. [Il se lève, va chercher un tableau]. C’est une artiste, Cécile Davidovici. Elle a fait une broderie d’une photo de Charlotte Abramow. Je trouve ça fantastique, cette relecture, ça me touche incroyablement. Je suis fou d’art brut aussi. Parce qu’il y a des failles et des faiblesses.
Un single de votre prochain album est sorti, « Un ami », qui est sans parole. Est-ce que vous avez décidé de moins utiliser les mots ?
J’ai finalement trouvé un moyen de faire de la musique instrumentale sans passer par des faux films. Il y a zéro parole dans ce disque parce que pendant le confinement je n’ai pas réussi à en écrire une seule, j’étais complètement coincé. En revanche, le robinet à musique était très riche, donc j’ai décidé de mettre un seau sous ce robinet-là. Et puis l’album s’appelle Happy end, c’est vraiment parce que c’est une musique tout le temps détendue, sans tension, c’est la musique de la fin de quelque chose, mais d’une fin heureuse. Après la mort, après une rupture où on est mieux, après le Covid. Un après de sérénité, enfin.
Exposition jusqu’à samedi, dès 18 heures. Gratuit, accès libre. Concert les 23 et 24 juillet à 19h30. 1h15. 22 à 28 euros. 22 à 28 euros. Lycée Jacques-Decour, 22, rue Trudaine (9e).