Eurovision 2024 : Le concours s’est imposé comme une tribune pour les voix de la communauté LGBTQ
MUSIQUE•Pour la première fois, deux artistes non binaires participent à l'Eurovision. La compétition, dont la finale se tiendra le 11 mai reflète, depuis une trentaine d'années, l'évolution des sociétés européennes sur les questions LGBTQFabien Randanne
L'essentiel
- La finale de l’Eurovision se déroulera le 11 mai à Malmö (Suède). Parmi les artistes en lice, deux sont non binaires. Bambie Thug participera pour l’Irlande à la demi-finale de mardi et Nemo, pour la Suisse, chantera dans la demi-finale de jeudi.
- La participation d’artistes non binaires est une première à l’Eurovision, dix ans après la victoire de la drag-queen autrichienne Conchita Wurst.
- Depuis la fin des années 1990, la communauté LGBTQ (lesbienne, gay, bi, trans, queer) est de plus en plus visible sur la scène et dans le public de l’Eurovision. 20 Minutes vous explique pourquoi.
De notre envoyé spécial à Malmö (Suède)
Dix ans après la victoire de Conchita Wurst, iconique drag-queen autrichienne, l’Eurovision demeure une tribune pour les talents queer. L’édition 2024 connaîtra une première avec la participation de deux artistes non binaires, c’est-à-dire qui ne s’identifient ni au genre masculin, ni au genre féminin.
Bambie Thug, qui représente l’Irlande, sera en lice dans la première demi-finale mardi et Nemo concourra pour la Suisse dans la seconde, jeudi. « C’est cool de ne pas être lea seule, confie l’Helvète à 20 Minutes. Certains artistes non binaires ont fait leur coming-out après avoir participé à l’Eurovision, je crois. Que l’on soit deux cette année montre qu’il est temps d’en parler. J’espère que cela incitera les gens à s’informer sur ce qu’est la non-binarité et que cela créera des discussions. Peut-être que d’autres se diront "Nemo et Bambie sont elleux-mêmes sur scène, c’est aussi OK pour moi d’être qui je suis, je suis parfait·e comme je suis". »
Conchita Wurst triomphe en pleins débats sur le mariage égalitaire
Ce n’est pas la première fois que l’Eurovision s’impose comme une caisse de résonance des préoccupations sociétales traversant le continent. En 2014, Conchita Wurst a dédié sa victoire « à quiconque croit en un futur de paix et de liberté ». Trophée en main et larmes aux yeux, elle lançait : « Vous savez qui vous êtes, nous sommes l’unité et nous sommes inarrétables ». A cette époque, la question du mariage égalitaire était discutée dans plusieurs des pays participants. La France venait d’adopter la loi dite « mariage pour tous », le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Finlande ou encore Malte n’ont ensuite pas tardé à ouvrir ce droit aux couples gays et lesbiens par la suite.
La Russie, en revanche, a mis en place ses premières lois anti-gays, interdisant la pseudo « propagande homosexuelle » en 2013. Les huées qui se sont abattues sur les artistes russes à l’Eurovision dès 2014 sont en partie liées à cette législation homophobe. Car, c’est un fait : le concours de chansons est une tribune progressiste où la communauté LGBTQ (lesbienne, gay, bi, trans, queer) se fait entendre.
L’Eurovision fait son « coming out » à la fin des années 1990
La chanteuse lesbienne Dany Dauberson a représenté la France lors de la première édition en 1956 et Jean-Claude Pascal a gagné en 1961 pour le Luxembourg avec Nous les amoureux, une chanson racontant l’amour d’un couple homo dans une société intolérante. Cependant, pour en saisir le sens, il fallait lire entre les lignes : « Nous les amoureux, on voudrait nous séparer, on voudrait nous empêcher d’être heureux. Nous les amoureux, il paraît que c’est l’enfer qui nous guette ou bien le fer et le feu (…) Pourtant rien n’est plus évident que l’amour. » A ces premiers temps de l’Eurovision, le public pouvait feindre de ne pas entendre ce qui était sous-entendu et repousser l’homosexualité dans une dimension clandestine.
« La sortie de placard de l’Eurovision est survenue lorsque le télévote a été mis en place et que l’événement a commencé à se tenir dans des lieux plus grands, permettant aux fans d’être davantage visibles sur tous les écrans de télé européens. En outre, et c’est là le plus pertinent, ces changements ont coïncidé avec une série de progrès dans les Etats européens en matière de reconnaissance de droit des homos », écrit l’historien Dean Vuletic dans son livre Postwar Europe and The Eurovision Song Contest (inédit en français).
Le tournant se situe donc à la fin des années 1990. En 1997, l’Islandais Paul Oscar est ainsi devenu le premier candidat ouvertement gay à participer à la compétition. La victoire de l’Israélienne Dana International en 1998 a cependant été le véritable point de bascule. L’artiste trans avait subi menaces de morts et suscité l’ire des juifs orthodoxes avant sa participation. « Cela a fait évoluer les choses en Israël, racontait il y a cinq ans Alon Amir, ex-membre de la délégation, à 20 Minutes. L’opinion publique a commencé à être de plus en plus favorable aux personnes LGBT en prenant conscience qu’elles pouvaient apporter beaucoup d’honneurs au pays. Dana International a été une pionnière. Elle a fait beaucoup de choses qui à l’époque étaient controversées, elle a fait ce qu’elle avait à faire et elle l’a bien fait. »
Instrumentalisations
« Sa participation promouvait à un niveau international l’image d’Israël comme un pays encourageant la diversité et la tolérance. Elle mettait en relief la crédibilité occidentale et démocratique d’Israël », écrit Dean Vuletic dans son livre. Il ajoute qu’en 2012, lors d’une fête officielle organisée par la délégation israélienne à l’Eurovision, des dépliants du ministère de la Diplomatie ont été distribués, présentant le pays comme un lieu accueillant envers les minorités sexuelles. « Le gouvernement israélien a été accusé d’instrumentaliser la question des minorités sexuelles pour détourner l’attention du manque de respect des droits humains envers les Arabes israéliens et les Palestiniens », rappelle toutefois l’historien.
En 2016, la chanteuse Ira Losco était apparue dans la salle de presse de l’Eurovision pour vanter les mérites de Malte, première, sur 49 pays, du classement établi par l’association Ilga-Europe (International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association) en matière de respect de l’égalité des droits. Un résultat qui pouvait surprendra car l’île, catholique, avait légalisé le divorce seulement en 2011 et interdisait alors complètement l’avortement. La volonté de communiquer sur cet aspect progressiste auprès des médias lors de l’Eurovision entérine le fait que l’événement est perçu comme une caisse de résonance pour les sujets liés aux personnes LGBT.
D’ailleurs, d’autres pays, gouvernés par des partis conservateurs ou d’extrême droite, se sont démarqués par la dynamique opposée en s’indignant de la dimension gay-friendly du concours. Certains, comme la Turquie ou la Hongrie, se sont même retirés sans forcément en assumer la raison.
A la fin, ce sont des chansons qui gagnent
« L’Eurovision c’est le Super Bowl queer, avance à 20 Minutes Mustii, qui représente la Belgique cette année. On s’adresse à tout le monde, mais clairement, la communauté queer est intégrée à l’Eurovision. C’est dû au fait que cet événement permet à tous types d’artistes de pouvoir s’exposer, s’exprimer. Il y a un effet miroir de la communauté LGBT+ qui doit se battre pour ses droits, pour exister, pour s’affirmer. Là, on a une plateforme où tout d’un coup on peut crier haut et fort ce que l’on a envie de crier. Il y a quelque chose de cathartique, de libérateur. Des artistes qu’on n’aurait pas attendus sur le devant de la scène peuvent jaillir sur la scène de l’Eurovision. Dans la communauté queer, on aide souvent les dark horses, les gens mis de côté. D’un coup, à l’Eurovision, tu peux briller. »
L’Eurovision est bien sûr avant tout un concours de chansons et ce n’est pas l’orientation sexuelle ou l’identité de genre de l’artiste qui fait sa victoire. Conchita Wurst a été plébiscitée car sa chanson Rise Like A Phoenix, aux accents james-bondiens, a été chantée avec brio et intensité. Le charisme et ce que pouvait symboliser son interprète n’a fait que renforcer son potentiel.
Cette année, lea Suisse Nemo est parmi les favoris et favorites des bookmakers, non en raison de sa non-binarité, mais parce que sa chanson, The Code, se démarque en entremêlant des élans lyriques à des passages rappés avec un refrain qui reste en tête. Idem pour Bambi Thug, dont les premières répétitions à Malmö ont impressionné et qui devrait marquer cette édition.
Le Britannique Olly Alexander lui, a annoncé qu'il souhaitait représenter son pays « de la manière la plus gay possible ». Il y a deux mois, à 20 Minutes, il précisait : « Ce que je voulais surtout dire par là, c’est que je serai juste moi-même – évidemment, je suis gay. Je veux surtout livrer une excellente prestation et impressionner les gens. »