« Dès que je parle d’héro dans le spectacle, ça glace le public, alors j’en joue », raconte l’humoriste Doully
INTERVIEW•Sa voix si caractéristique, son passé de junkie, la maladie de Charcot-Marie-Tooth dont elle est atteinte… Dans son seule en scène, « Hier, j’arrête ! », Doully manie avec brio l’autodérision qu’elle juge salvatricePropos recueillis par Fabien Randanne
L'essentiel
- La comédienne et humoriste Doully poursuit sa tournée avec son seule en scène « Hier, j’arrête ! »
- Dans ce spectacle à l’humour corrosif et parfois trivial et « davantage grossier que vulgaire », selon ses termes, Doully fait preuve d’un sens aigu de l’autodérision qu’elle évoque son addiction passée à l’héroïne ou sa « voix d’alcoolique ».
- « Il y a beaucoup de choses que je ne dirais à personne, à part à mes amis. Je sais que sur certains sujets, je pourrais déclencher un rire, mais je n’ai pas envie qu’on rie de moi là-dessus, confie-t-elle à 20 Minutes. Je parle de tout ce que j’assume et qui ne me pose aucun problème, des choses que je pourrais dire à un inconnu en soirée. Me foutre de ma gueule, je le fais dans la vie, pas que pour le spectacle. »
«Salut mes p’tits culs ! » Doully a sa manière bien à elle de saluer son public, dans ses chroniques, précédemment sur France Inter, désormais sur Nova, ainsi que sur les planches. Dans son seule en scène Hier, j’arrête !, qu’elle joue ce jeudi aux Folies Bergère, puis dans toute la France, avant de revenir à Paris pour un Olympia le 22 mai 2025, elle livre un cocktail irrésistible d’humour corrosif et parfois trivial. Elle y évoque sa voix si caractéristique, son passé de junkie, sa sobriété, mais aussi la maladie de Charcot-Marie-Tooth dont elle est atteinte. Rencontre avec une artiste lumineuse, pleine de tendresse qui a pris le parti de rire de tout plutôt que de s’apitoyer.
Lorsque je suis venu vous voir en représentation au Cirque Electrique, vous avez interagi avec le public. Vous vous êtes adressée à moi et quand je vous ai révélé que j’étais journaliste, vous avez dit « Bon, on va passer à quelqu’un d’autre… » Vous aviez peur que je me venge en interview ?
Non, pas du tout ! (rires) Je n’ai rien contre les journalistes, j’ai toujours eu de bonnes relations avec eux à vrai dire. C’était plus pour la vanne, pour que les gens croient que je n’avais pas envie d’avoir d’emmerdes (rires).
Au cours des interactions avec le public, vous avez eu des surprises ?
Oui, il y a parfois des pépites. Il y a des moments suspendus. Un soir, j’ai eu un fabricant de seringues en verre et j’avais trouvé ça exceptionnel dans le cadre de mon spectacle qui parle beaucoup de ça (rires).
Vous êtes la première cible de vos vannes. Etre à ce point dans l’autodérision vous permet-il d’être plus libre pour « taper » ensuite sur d’autres personnes ?
On peut faire ce qu’on veut avec soi. L’autodérision, c’est salvateur. Si on n’arrive pas à rire de soi, ça peut vraiment enfermer. Ça permet d’anticiper les gens qui voudraient se foutre de votre gueule (rires). On a besoin de savoir que les autres en chient aussi. Donc, voir une personne lucide sur elle-même et qui dit qu’il ne lui arrive que des merdes, ça réconforte. On se dit qu’on n’est pas le seul à en chier.
Vous allez assez loin par moments, vous vous êtes posé la question de limites à ne pas franchir ?
J’ai eu des doutes sur le fait de parler de l’héroïne. Dès que je prononce le mot dans le spectacle, ça glace le public. J’en joue. Mais il y a un vrai problème sur ce sujet tandis que le Tramadol et la codéine tout le monde s’en fout, alors que c’est exactement la même chose. Je me suis demandé si ça servait à quelque chose d’en parler et je pense que oui, parce que je reçois beaucoup de messages de junkies qui essayent de s’en sortir et voient à travers ça une porte de sortie, là où les centres d’addictologie ne laissent pas sous-entendre qu’on peut s’en sortir.
Ce spectacle vous fait du bien ?
Il n’est pas une thérapie pour moi parce que j’ai fait le deuil depuis bien longtemps. C’est d’ailleurs pour cela que j’arrive à en rire. Je n’aurais pas pu faire des blagues sur ma maladie quand on me l’a diagnostiquée parce que ça m’a foutu un coup au moral mais, plus tard, je me suis dit autant en rigoler, autant rire du fait que la première fois que j’ai googlé « Maladie de Charcot-Marie-Tooth », ça m’a envoyé sur des sites du Téléthon. Tu as l’impression soudainement de devenir quelqu’un d’autre. Tu es une handicapée… Il vaut mieux rire que pleurer. D’ailleurs, je trouve toujours plus sains les amis qui ne te plaignent pas. La pitié, ça te tire vers le bas. Il faut que des gens se foutent de ma gueule, gentiment, avec amour, mais qu’ils rient de ça avec moi. Dans toutes les pires situations, je crois qu’il faut arriver à faire une blague bien sentie.
L’humoriste Hannah Gadsby, dans son spectacle « Nanette », commence justement par faire dans l’autodérision avant d’annoncer qu’iel ne souhaite plus être dans ce registre car les rires que cela provoque relèvent de l’humiliation. Certains rires du public vous blessent-ils parfois ?
Non. Il y a beaucoup de choses que je ne dirais à personne, à part à mes amis. Je sais que sur certains sujets, je pourrais déclencher un rire, mais je n’ai pas envie qu’on rie de moi là-dessus. Je décide de ce dont je parle ou non. Je n’irais pas dans des travers de souffrance réelle. Je parle de tout ce que j’assume et qui ne me pose aucun problème, des choses que je pourrais dire à un inconnu en soirée. Me foutre de ma gueule, je le fais dans la vie, pas que pour le spectacle.
Le spectacle est déconseillé aux moins de 16 ans…
C’est moi qui l’ai décidé. Dernièrement, il y a pas mal d’ados de 13, 14 ans qui sont venus et m’ont dit avoir kiffé. ça fait plaisir. Il n’y a pas tant de vulgarité que ça dans le spectacle, c’est davantage grossier. Cet avertissement est plus une question de compréhension de certaines thématiques. J’ai toujours peur que les plus jeunes se fassent chier. Moi, à cet âge-là, je me suis emmerdée devant des pièces de théâtre où on m’emmenait et où je me demandais ce que je foutais là. Je n’ai pas envie de voir ça dans leurs yeux et qu’ils passent un mauvais moment. Je respecte trop les ados pour ça, parce que je le suis encore moi-même (rires).
Quand avez-vous compris que vous étiez drôle ?
J’ai toujours aimé faire marrer les gens. J’adorais faire rire mon grand-père et ma grand-mère. Ils étaient bonne pâte mais ne riaient pas à tout, alors si j’arrivais à les faire rire… La première fois que tu génères un rire devant plus de deux personnes, ça te crée quelque chose. Ou pas. Moi, ça m’a procuré un sentiment de bien-être.
Quel a été le moment où vous avez su que vous vouliez être humoriste ?
Je ne me suis jamais posé la question de ce que je voulais faire dans la vie. A 17 ans, je jouais tous les soirs dans une pièce et je n’ai jamais gagné un euro, alors que c’était toujours complet. Ensuite, on m’a embauchée en boîte de nuit et là, on gagne sacrément bien sa vie. Donc ça m’a un peu écartée de ce chemin. La drogue aussi. A un moment donné, quand j’habitais en Espagne, je me suis dit que je devais me lancer. Mes parents, que j’adore, m’ont gentiment laissée partir de chez eux à 14 ans - je ne me suis pas enfuie, mais je devais aller ailleurs parce que j’en pouvais plus, je n’avais pas de chambre à moi, c’est tout. Mon père est guitariste, ma mère est peintre. Ils ne sont pas allés au bout de leur passion parce qu’ils devaient nous nourrir et donc gagner de l’argent. Ils ne savent pas se vendre, c’est une catastrophe. Je ne voulais pas vivre à mon tour cette frustration. Je sais depuis mes 3 ans que c’était ce que je voulais faire.
Quel a été le déclic ?
J’ai tardé par timidité, par peur de pousser des portes. J’avais envie qu’on me prenne par la main en me proposant un super rôle. On en rêve tous, de se balader sur une plage et que quelqu’un vous dise « C’est toi que je veux ! » Quand on attend, ça n’arrive pas. A un moment donné, j’ai compris que je devais plaquer tout ce que j’avais construit en Espagne.
Et vous êtes donc revenue à Paris…
C’était il y a huit ans, je suis repartie au RSA. Je ne connaissais personne dans ce métier. J’allais jouer dans des bars du 18e arrondissement avec des bouts de sketchs que j’avais écrits au sujet de ma voix. Une fois, j’ai joué devant le patron, un violoniste et deux Italiens… Au moins, tu ne te fais pas trop mal aux ailes, il n’y a pas trop de témoins de ta chute (rires). Petit à petit, j’ai commencé à rencontrer untel, puis untel, puis untel, et puis ça a pris.
Avez-vous connu des moments de découragement ?
Je n’ai pas eu de vie pendant ces huit dernières années. J’ai commencé à reprendre des vacances il y a deux ans seulement. Sinon, j’ai travaillé tous les jours et tous les soirs de ma vie. Un soir, un mec est venu me voir pour me demander des conseils, je lui ai répondu « Oublie ta vie ». Ce ne sont pas des conneries. A un moment donné, c’est un sacrifice de vie sociale et de vie privée. Il faut vraiment l’aimer, ce métier. Il y a des moments où je pète des plombs, mais je sais qu’il y a forcément des trucs jolis derrière. Quelques fois, la vie privée, ça manque.
En juin dernier, vous avez quitté France Inter et l’équipe de Charline Vanhoenacker. Vous étiez très émue dans votre dernière chronique…
Cela a été très dur. Je les aimais beaucoup et je continue à les aimer. Au départ, ils ne voulaient pas vraiment de moi à France Inter, ils me trouvaient trop punk, je ne parlais pas assez de politique. Tous les gens qui étaient dans cette émission ont bataillé des années pour que j’intègre la radio. Quand tous les gens qui ont contribué à ce que tu es s’en vont, pourquoi rester ? Il n’y a pas que Guillaume [Meurice, qui a été licencié], il y a Juliette Arnaud, qui est très importante pour moi. Jamil [Le Schlag] aussi. Lui, il a longtemps cité mon nom dans ses chroniques pour faire des appels de phare.
Quand j’ai su que Juliette et Ramzi [Assadi, le rédacteur en chef] s’en allaient, c’était la veille de cette chronique. Je n’avais pas décidé que c’était ma dernière chronique mais j’ai appris ça dans une manif contre le RN… Tout le monde a quitté le bateau et je pensais que Charline, que j’aime par-dessus tout, en ferait de même, fatalement. Mais si ma famille s’en va, je m’en vais avec. Je les regrette et je les regretterai toujours parce que j’étais bien à France Inter. Mais voilà, maintenant, je suis sur Nova, une fois par mois.
Y a-t-il une idée reçue sur vous qui vous énerve ?
Les gens pensent que j’étais alcoolique. Je n’ai jamais eu de problème avec l’alcool. J’aime l’effet, mais pas le goût. Je n’ai jamais bu seule. J’aime bien boire de temps en temps, c’est très rare, une fois tous les trois mois pour fêter quelque chose. Et le lendemain, je me dis que je n’ai pas du tout envie de recommencer (rires). Récemment, j’ai fait une vidéo en free party, parce que j’adore la musique, j’en écoute tout le temps, et j’aime danser. Je voulais montrer qu’on pouvait en faire une jusqu’au lendemain midi sans prendre de drogue. C’était le message : il est possible de s’amuser sans ça.
Et le message est passé ?
Des gens ont trouvé sur la vidéo un moment où ma mâchoire se décroche, alors que je suis en train de manger un bonbon en parlant. Il était 9 heures du matin, déjà que j’ai l’air bourré de base, t’imagine bien qu’après avoir dansé pendant des heures, à un moment donné, l’articulation se fait moindre (rires). Plein de monde ne veut pas me croire. Je trouve ça triste parce que c’est condamner ces gens qui ont eu un passé festif et qui n’auraient pas le droit d’en être revenus. C’est une négation de ma réalité et un déni de l’espoir pour les gens qui ont envie d’arrêter.
Cela a été difficile pour vous d’arrêter ?
Ce n’est pas une lutte, je ne me force absolument pas à ne rien prendre. Même bourrée au dernier degré, tu me proposes de la drogue, mon cerveau te dit non. Ce n’est même pas une option. On m’en a proposé plein de fois. C’est de pire en pire, d’ailleurs, la drogue, même moi, quand j’ai arrêté, on n’en prenait pas autant. Aujourd’hui, c’est un festival, un délire. Il y a des gens qui disent « Ce soir, j’ai pris ça, ça, ça et ça ». Moi, dans ma grande époque, je n’ai jamais fait ça.
Cela vous inquiète ?
Vous avez vu le Sniffy ? C’est une espèce de poudre qu’ils se sont mis à vendre dans les tabacs. Ça me scandalise. Ils vendent ça avec la paille, ils ont mis de la caféine, de la taurine dedans, mais ça banalise le fait de sniffer. Avant, pour beaucoup, le fait de sniffer, c’était être dans la catégorie des junkies, des gens à ne pas fréquenter. Maintenant, au tabac, dans la rue, tu peux sniffer ça sans que théoriquement personne ne soit choqué. [Un arrêté d’interdiction de commercialisation du Sniffy a été signé au mois de juillet.] Je trouve ça toujours choquant que quelqu’un se scandalise pour quelqu’un qui prend de l’héro et pas pour quelqu’un qui prend une plaquette de Tramadol.
Il y a les drogues « acceptables » et les autres ?
Une fois, à une soirée, une nana, est venue me voir. Elle avait les lèvres violettes de pinard, elle était déchirée et elle m’a fait un long discours sur les drogués qu’elle jugeait très mal. Je lui ai répondu : « Mais qu’est-ce que tu es, là ? Tu es droguée. A l’alcool. » Qui est peut-être la pire de toutes les drogues. Le curseur, il est là où on décide de le mettre. Dans le spectacle, je l’ai enlevé, mais je raconte qu’au début du XXe siècle, on vendait l’héroïne pour soigner la toux des enfants, elle était garantie « 100 % non addictive » contrairement à la morphine. Et on donnait de la coke aux gens pour soigner à peu près tout. Ben oui, tu ne sens plus rien, à court terme, ça marche, c’est sûr. Tout est une question de mode et de période. Est-ce qu’on a jugé Verlaine parce qu’il était déboîté ? Non. C’est toujours bizarre, les gens qui pointent du doigt.
C’est-à-dire ?
C’est très facile de juger. Ces gens-là ne connaissent pas la vie de ces personnes. Ce sont souvent des gens très sensibles qui tombent dans la drogue et essayent de se désensibiliser de cette vie difficile à supporter au quotidien. Je parle toujours de main tendue au bon moment, des bonnes personnes dont il faut s’entourer. Moi, même les gros junkies qui traînaient avec moi ont toujours respecté le fait que j’arrête. Là, j’ai un pote qui essaye d’arrêter la cocaïne et il m’a dit « Je vais perdre des amis ». Mais ce ne sont pas des amis si tu les perds pour ça. J’ai eu la chance de ne pas avoir ces amis-là, mais si tu n’as que des amis comme ça, c’est très dur de t’en sortir.
Il y a toujours une main tendue ?
Non, pas toujours. J’ai eu de la chance, parce que j’ai eu beaucoup d’amis, et qui n’étaient pas que là-dedans. J’ai arrêté en Espagne, c’est pas banal (rires). C’est comme essayer d’arrêter le sucre dans une confiserie. Au moins, t’es sûre que tu arrêtes vraiment.
Pour en revenir à votre métier de comédienne, quel serait votre rêve ?
De faire des jolis rôles au cinéma. J’adore l’exercice. Avec la tournée, je n’ai pas le temps et j’ai dû refuser des propositions, mais j’aimerais bien. Pas forcément que des comédies. J’aime bien les drames, les trucs un peu durs, où tu rigoles sans t’y attendre. On en revient au fait de dénoncer des choses difficiles en faisant sourire. Je pense que c’est là que le message passe.