« La nuit où Laurier Gaudrault s’est réveillée », la pièce qui a inspiré la série de Xavier Dolan, se joue enfin à Paris
THEATRE•Le dramaturge québécois Michel Marc Bouchard évoque pour « 20 Minutes » les différences entre la pièce qu’il a créée en 2019 et la mini-série qu’elle a inspirée à Xavier Dolan. Le public peut aussi aller en juger sur place au Théâtre Tristan-BernardFabien Randanne
L'essentiel
- La pièce « La nuit où Laurier Gaudrault s’est réveillé » est actuellement à l’affiche du Théâtre Tristan-Bernard à Paris.
- Elle est jouée un an et demi après la diffusion sur Canal+ de l’adaptation en mini-série réalisée par Xavier Dolan. Michel Marc Bouchard auteur de la pièce, trouve « fascinant de voir le regard que peuvent poser les gens sur la pièce lorsqu’ils ont vu la série » et est étonné que les mots « macabre » et glaciale » reviennent aussi souvent dans les critiques qu’en font les médias français.
- Ce qui peut surprendre les spectateurs qui ont vu la série, c’est que la pièce laisse une grande place à l’humour. L’émotion ressentie lors du dernier acte où tout bascule n’en est, en contraste, que plus forte.
Elle est jouée pour la première fois à Paris. Un an et demi après la diffusion sur Canal+ de La nuit où Laurier Gaudrault s’est réveillé, la très réussie mini-série de Xavier Dolan, la pièce de Michel Marc Bouchard, créée en 2019, dont elle est une adaptation libre est à l’affiche du Théâtre Tristan-Bernard.
« Généralement, c’est plutôt l’inverse : les gens connaissent la pièce et voient ensuite l’adaptation à l’écran. C’est fascinant de voir le regard que peuvent poser les gens sur la pièce lorsqu’ils ont vu la série. Ils l’accueillent presque différemment », confie le dramaturge québécois à 20 Minutes. « Ce qui m’étonne c’est que les mots "macabre" et "glaciale" reviennent toujours dans les critiques des médias français, alors que je trouve que c’est assez chaleureux », fait-il remarquer…
Au théâtre, la mère n’apparaît que comme un cadavre
Le spectacle dure une heure quarante-cinq quand la mini-série compte cinq épisodes d’une cinquantaine de minutes. Donc, si la colonne vertébrale du récit - ce qu’il s’est vraiment passé la fameuse nuit où Laurier Gaudrault s’est réveillé - est identique, les dissemblances sont nombreuses.
La pièce est un huis clos se déroulant l’espace de quelques jours dans une morgue d’un coin isolé du Québec quand la version destinée à l’écran se déroule sur deux époques et fait vivre le personnage de la mère - incarnée par Anne Dorval - qui, au théâtre, n’apparaît que comme un cadavre.
Dans les deux cas, c’est autour d’elle que se noue et se dénouent les enjeux de l’intrigue. Au décès de sa maman, Mireille, une thanatopractrice de renommée mondiale, revient, pour embaumer son corps, dans la ville qu’elle a quittée depuis des années. Elle y retrouve ses frères, Denis, Elliot et Julien, avec lesquels elle a pratiquement coupé les ponts. Cette réunion sous le signe du deuil fait ressurgir rancœurs, secrets et non-dits…
« Xavier avait "dolanisé" la pièce »
« Mon travail repose beaucoup sur le thème du mensonge. Là, il s’agit de voir comment un mensonge créé dans un état de panique, en cinq secondes, a été déterminant pour le reste de la vie de certains personnages et de leur entourage », reprend Michel Marc Bouchard. Et de poursuivre : « Xavier a dolanisé la pièce en allant vers ses propres fixations. Il a par exemple fait d’Elliott, un protagoniste qui chez moi est là pour exposer la situation avec sa sœur, un personnage à part entière avec ses problèmes d’addiction. »
Si le dramaturge a dû faire certains « deuils » avec le scénario du réalisateur, il s’y est résolu sans problème. Il avait d’ailleurs prévenu qu’il acceptait que sa pièce soit adaptée à condition qu’il ne se charge pas du script. « Pour avoir travaillé avec Xavier Dolan sur Tom à la ferme [une autre de ses pièces qui a été transposée sur (grand) écran en 2013], je savais qu’il fallait lui laisser les coudées franches, lui donner tout l’oxygène pour voler. »
Un humour noir, sardonique
Ce qui peut surprendre quand on découvre la pièce après avoir vu la série, c’est de constater à quel point l’humour noir, absurde, sardonique, est présent dans les dialogues originaux. « Pour moi, c’est venu naturellement à l’écriture, explique Michel Marc Bouchard. Dans cette famille, les gens sont frontaux, ils n’ont pas de filtre et disent ce qu’il leur passe par la tête. Il y a des moments de gêne qui s’accompagnent de chose très drôles, et l’humour, parfois, prend une dimension tragique lorsque des propos épouvantables sont dits avec bonhomie. »
L’excellente distribution qui joue La nuit où Laurier Gaudrault s’est réveillé sur la scène du Théâtre Tristan-Bernard délivre, sans trébucher, ce texte parfois casse-gueule dans ses revirements de situation et changements de ton. Ni vraiment macabre, ni vraiment glaciale, cette pièce est une bombe à déflagration lente. Après que suffisamment de rires francs ou gênés ont crépité, il ne reste plus que la vérité pour faire exploser les larmes.
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