haine« Anneaux de pouvoir », Star Wars… Anti-fans partout, justice nulle part

« Les anneaux de pouvoir » : De Star Wars à Tolkien… Comment les anti-fans ont pris le pouvoir

haineLa saison 2 de la série Prime Video, « Les anneaux de pouvoir », a débuté, et avec elle un flot de nouvelles critiques émises par… les fans de l’univers
Morfydd Clark, interprète de Galadriel dans la série Prime Vidéo « Les anneaux de pouvoir », et attire les critiques des anti-fans
Morfydd Clark, interprète de Galadriel dans la série Prime Vidéo « Les anneaux de pouvoir », et attire les critiques des anti-fans - Amazon MGM Studios
Benjamin Chapon

Benjamin Chapon

L'essentiel

  • La série Les Anneaux de pouvoir suscite beaucoup de critiques de la part des « anti-fans », ces fans qui concentrent leur énergie à exprimer leur dédain pour une œuvre.
  • Le phénomène anti-fan permet de harceler en ligne les femmes et les minorités, en utilisant la critique artistique pour déverser la haine.
  • Les anti-fans profitent des réseaux anti-wokes et complotistes, ce qui renforce la portée de leurs discours selon la chercheuse Rohitha Naraharisetty.

Qui aime bien, hait bien ? La deuxième saison des Anneaux de pouvoir, série inspirée de l’univers de Tolkien, a débuté sur Prime Vidéo. Et avec elle, son flot de critiques plus ou moins mesurées. Dès sa première saison, la série a en effet déchaîné contre elle des hordes de fans de Tolkien qui estiment que l’œuvre originelle n’est pas respectée.

En ce début de seconde saison, la haine contre Les anneaux de pouvoir ne s’est pas calmée. Plutôt bien accueillie par la presse, la série suscite à nouveau des attaques sur son budget, son casting, son intrigue… On pourrait alors penser que la série est tout simplement mauvaise. Mais depuis quelques années, chaque grosse production tirée d’un univers connu subit ce phénomène. La plupart des films et séries Star Wars, les jeux Harry Potter, les remakes de Ghostbusters… Le phénomène est dû à ce que l’on appelle désormais les anti-fans.

L’anti-fan est quand même un fan

« Les anti-fans sont des fans, ils se disent fans et vivent pleinement à l’intérieur d’un fandom, explique Meg Dowell, autrice d’une étude sur le sujet. En tant que connaisseurs et consommateurs, les anti-fans se définissent comme experts et veulent partager leurs connaissances. Mais eux choisissent de consacrer du temps et de l’espace à exprimer leur dédain pour un sujet de niche au sein de ce fandom. »

On pourrait penser que ces personnes à l’attitude négative ne méritent pas une attention particulière, mais leurs opinions, même minoritaires, connaissent un succès considérable en ligne du fait du fonctionnement des algorithmes. « Dans n’importe quel espace social en ligne, les publications critiques dominent presque toujours la conversation. Et ce n’est pas seulement une tendance, c’est rentable », explique Meg Dowell.

L’algorithme en allier

Le phénomène est bien connu : une publication très négative va susciter une somme de commentaires. Que ce soit de la part des personnes d’accord avec le jugement ou de celles qui ne sont pas d’accord et s’insurgent. Et plus l’opinion est tranchée, ou outrageante, plus elle fonctionne.

« Les fans sont tout aussi responsables de l’introduction de niveaux toxiques de négativité dans la conversation – car chaque fois qu’un anti-fan partage une opinion (ce qu’il a le droit de faire), les fans répondent, explique la chercheuse. Le fait que nous continuions à amplifier les critiques anti-fans, que ce soit intentionnel ou non, n’aide pas. Chaque fois que vous citez-tweetez un "mauvais jugement", que vous faites un lien vers une vidéo controversée ou que vous citez quelqu’un qui a déclenché une polémique pour attirer l’attention, vous continuez à entraîner l’algorithme à amplifier davantage de "mauvais jugement" et de vidéos controversées, exactement comme celle sur laquelle vous avez attiré l’attention. »

« Danser sur des tombes »

George RR Martin, auteur des romans dont ont été tirés les séries Game of Thrones et House of the dragon, s’est lui-même ému de ce nouvel ordre de l’Internet mondial dans une note de blog : « Il semble que la haine, déjà présente partout dans notre nation et dans le monde, a gagné le monde de la culture. Il est devenu impossible de discuter rationnellement des livres ou des films qu’on a aimés. Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont dirigés par des anti-fans qui préfèrent parler de ce qu’ils détestent plutôt que de ce qu’ils aiment et qui se délectent à danser sur les tombes de tous ceux dont le film a fait un flop… C’est tellement triste. »

Un exemple récent donne raison à George RR Martin. Disney vient d’annoncer que sa série Star Wars The Acolyte n’aurait pas de saison 2. Immédiatement, des millions de messages ont été échangés parmi les fans pour se réjouir de cette décision. Ainsi, l’annulation de The Acolyte a totalement éclipsé le lancement de la nouvelle série Star Wars, qui vise un public adolescent, Skeleton Crew.

Des anti-fans aussi anti-woke

La haine en ligne que la série The Acolyte a connue est parfaitement symptomatique de la doctrine des anti-fans. Les critiques à l’égard de cette série rejoignent toutes les tendances récemment observées. Par exemple, l’antiféminisme. « Ces cinq dernières années, 90 % des séries ayant subi des critiques particulièrement négatives avaient la particularité d’avoir un personnage principal féminin, note la sociologue Maria Murumaa-Mengel. Alors soit les séries avec une héroïne sont intrinsèquement mauvaises, soit les anti-fans, majoritairement des hommes, sont sexistes. »

Pour Rohitha Naraharisetty, chercheuse, le phénomène anti-fan est devenu « le meilleur moyen de harceler les femmes en ligne. En se cachant derrière un jugement critique, et derrière un statut de spécialiste, les anti-fans, où les masculinistes sont fortement surreprésentés, déversent leur haine des femmes sur le terrain de la légitimité artistique. »

The Acolyte concentre aussi des critiques sur la présence de personnes et personnages racisées et LGBT+ au casting. « Le phénomène anti-fan est porté par le courant anti-woke, analyse Maria Murumaa-Mengel. Tout est prétexte à des discours de haine, et ces attaques contre les minorités, accusées d’organiser un lobbying auprès des sociétés de production, renforcent la portée des publications des anti-fans. » Dans son analyse de l’épisode The Acolyte, qui a fortement éprouvé l’actrice Amandla Stenberg, Rohitha Naraharisetty explique : « Attaquer une série Star Wars qui a une héroïne noire, c’est s’assurer que votre publication sera soutenue en ligne par des millions de comptes racistes et d’extrême droite. »

Fantasme d’une oeuvre pure

Le phénomène anti-fan profite ainsi également des puissants réseaux complotistes. « Le discours anti-fan dénonce souvent des puissances financières, prétendument liées à un pouvoir mondialisé », analyse Rohitha Naraharisetty. Tout part souvent d’une critique du budget forcément excessif des séries. Pour un anti-fan, si une œuvre a « coûté cher », elle est forcément suspecte. Pour autant, les anti-fans ne sont pas des anti-capitalistes…

Les anti-fans observés par les récentes études dressent plutôt le portrait-robot de « vieux » fans nostalgiques d’une époque, forcément fantasmée, où l’objet de leur amour était « pur », et pas sali par l’argent (ou le progressisme social). Dans le cas de Tolkien, il s’agit bien sûr des romans, dans celui de Star Wars, de la première trilogie de films… Une époque aussi où les réseaux sociaux n’existaient pas.